Par Gaby Kubabekanga (Correspondance particulière).
Depuis quelques années, le cobalt est au cœur de l’industrie automobile et des technologies de l’information et de la communication. La RDC est considérée comme la plus grande réserve mondiale de ce métal exploité dans l’ex-Katanga. Un décret du premier ministre l’a même érigé en «minerai stratégique » après la révision du Code minier en 2018. Deux ans après, on s’interroge sur la stratégie mise en place par l’Etat pour contrôler le cobalt et en tirer bénéfice.
L’illusion du gain immédiat
Le gouvernement congolais était emballé par l’idée de tirer profit immédiatement de son cobalt ; non, sur la base d’une profonde réflexion dans la durée, mais sur des faits conjoncturels. Il sied de noter que la RDC n’est pas parmi les acteurs qui influencent le marché des métaux. Elle subit des événements. Elle ne contrôle ni ses ressources, ni leur exploitation, ni les exportations. Le Congo n’est pas maître du jeu et de son destin. Peut-être dans l’avenir, mais pour le moment, non.
Les prix des métaux varient de façon cyclique. Ils dépendent aussi de la loi de l’offre et de la demande. L’embellie des cours des matières premières n’est pas perpétuelle mais circonstancielle. Il y a trois ans, on avait observé un bond spectaculaire du prix du cobalt sur le marché international. La tonne a frôlé 100.000 dollars américains en 2017, avant de chuter à moins de 30.000 en 2018, pour stagner autour de 34.000 $ fin 2019. Au début du premier trimestre de cette année, il semblait amorcer une remontée jusqu’à dépasser le seuil de 35.000 USD/T. Il est de nouveau retombé sous l’effet du coronavirus depuis mars 2020 pour se stabiliser à 29.500 USD/T. Mais, contrairement au cuivre auquel il est associé et qui reprend un peu de couleurs avec le début du déconfinement, passant de 4.626 USD/T à mi-mars 2020 à 6.600 USD/T aujourd’hui, le cobalt ne semble pas profiter de la reprise de l’activité économique. Si la baisse des cours devrait persister, la cause est à rechercher dans le surapprovisionnement du marché par les miniers pressés de se défaire des stocks cumulés.
Il fauter que l’exploitation minière industrielle de la RDC est l’œuvre des compagnies étrangères. Les sociétés minières de l’Etat ne sont que l’ombre d’elles-mêmes. L’essentiel de la production exclusivement congolaise, est artisanal (20 à 30%). Le cobalt issu de l’artisanat est capté par des étrangers dont la majorité est constituée des Asiatiques (Chinois, Indiens, Libanais, Pakistanais, Coréens,…) qui dictent les prix. Pas de retombées significatives pour le pays.
Le chien attrape le gibier mais ne mange que des os (proverbe bantou)
Cet adage illustre la situation des exploitants artisanaux. La production industrielle du cobalt est de 75% en RDC. Tandis que la production artisanale avoisine 25 à 30%. Les creuseurs, faute d’échantillons représentatifs, ignorent la valeur marchande des minerais. Les entités de traitement qui achètent la production artisanale, ne se limitent qu’aux produits semi-élaborés à exporter. Les raffineries se procurent ainsi les précipités et les transforment en métal de 99,9% qu’ils fournissent aux consommateurs finaux. La fraude est de ce fait orchestrée en plusieurs étapes : – le creuseur vend un minerai dont il ne connaît pas la valeur exacte; – l’exportateur déclare ce qu’il veut et peut; – l’OCC, la DGDA et tous les autres services le taxent sur la base d’une simple déclaration. Ils ne maîtrisent ni le tonnage ni la teneur moins encore le contenu réel. Au lieu de 30 tonnes, par exemple, l’opérateur déclare 20. Le reste n’apparaît jamais dans sa comptabilité. Conséquence : ¼ du cobalt devient fantôme. Il y a donc ignorance des flux de matières. Le Congo perd et les autres gagnent.
Une telle situation met le Congo à l’écart du marché pour plusieurs raisons : – aucune entreprise à capitaux congolais ne produit du cobalt-métal ; – toute la production est exportée à l’état brut car, il n’existe plus de raffineries au pays; – la plus-value et la valeur ajoutée profitent aux pays qui raffinent ce cobalt à savoir la Chine, la Finlande, l’Allemagne, la Pologne, la Belgique, le Canada, etc.; – la RDC ne stocke pas le cobalt pour tenter d’influencer le marché. Que le prix baisse ou augmente, le Congo est spectateur.
Silence, on jette le cobalt et on tue les Congolais !
Il est connu qu’aucune opération de traitement des minerais n’est parfaite. Toutefois, certaines pertes sont inacceptables. L’exemple le plus choquant est celui de la Gécamines qui utilise encore la technologie de 1929 dans les usines de Shituru ; celles de 1960 à Luilu étant cédées à KCC. Pour rappel, ces usines étaient configurées pour maximiser la récupération du cuivre à 90%. Le cobalt fatal, obtenu sans efforts à 50%, était considéré comme un sous-produit. C’est le cuivre qui était le métal phare de l’époque. Aujourd’hui, le cobalt a plus de valeur marchande que le cuivre. Dommage, l’outil de production n’est pas adapté à la réalité actuelle. Il est suranné.
L’exploitation minière au Katanga est un sinistre et un drame. Elle est une catastrophe qui passe inaperçue. Elle est la principale source de pollution environnementale qui décime des milliers de personnes sous le regard impuissant de tous les responsables de l’Etat. Des spécialistes nous révèlent qu’à quelques exceptions près, très rares sont des entreprises qui récupèrent 35% du cobalt. Moins de trois entreprises récupèrent 70% du cobalt. D’après un mémorandum adressé au premier ministre de la RDC en 2019 par l’Ir métallurgiste, Raphael Ngoy, ancien cadre de la Gécamines, «cette entreprise n’a récupéré que 5% du cobalt et a jeté plus de 90% dans les rivières et dans la nature ».
Loin de sa capacité nominale historique de 1989 avec 15.000 T/Co, la Gécamines a produit 60T en 2018 et 20T en 2019. Avec l’obsolescence des usines de Shituru, son rendement est aujourd’hui quasi nul comme le confirme l’absence de production au 1er semestre 2020 avec zéro tonne. C’est scandaleux et gravissime! Au regard de ce tableau sombre, on peut s’interroger : Comment gère-t-on les rejets solides et en solution ? La réponse est simple : on exploite, on jette et on tue sans que personne ne s’en rende compte et ne dise un mot. Le concentré d’un tel pourcentage de récupération, est raffiné, traité et vendu à l’étranger. La cathode de la Gécamines est vendue avec une forte décote sur le marché international. Après quoi, on applaudit l’échec. Pathétique !
Un sursaut d’orgueil national mais folklorique et utopique
La plus grande quantité (plus de 70% du cobalt congolais) est raffinée en Chine. Pour que le Congo soit dans le circuit, il doit raffiner localement son cobalt. C’est l’une des conditions de l’appropriation du métal. Pas de simples vœux pieux. La transition énergétique est en marche et le cobalt de la RDC devrait jouer un rôle de premier plan dans la fabrication des batteries des véhicules électriques. Le discours officiel depuis un temps, insiste sur la nécessité ou le bien-fondé de fabriquer les batteries au Congo, une idée géniale de la Gécamines. Cependant, un producteur de café n’est pas forcément un fabricant de liqueurs s’il ne dispose pas d’usines de transformation pour avoir des produits manufacturés. De même, un cultivateur de coton n’est pas un industriel du textile. Ces deux exemples expliquent mieux un problème fondamental qu’on n’aborde pas : Dire que la RDC veut produire des batteries électriques parce qu’elle possède le cobalt sans préciser comment procéder et avec quelle structure, relève de l’utopie. Les producteurs des métaux fournissent des matières premières aux consommateurs finaux (les industries automobiles et électroniques). Ils ne sont pas de fabricants des équipements. On ne copie pas si on ne sait pas coller, dit-on.
La production augmente mais le gouvernement se plaint de la modicité des recettes
Les statistiques de production sont hallucinantes pour l’année 2019 : 1.400.000T/Cu, 110.000T/Co, plus de 33 tonnes d’or, 19.000 tonnes de cassitérite et 1.256 tonnes de coltan, etc. Un record historique en RDC. Mais lorsqu’on regarde les recettes de l’Etat, rien d’intéressant. Les retombées financières ne correspondent pas à la production minière. Paradoxe ! On peut faire un simple exercice de calcul, facile à comprendre : Les 110.000 T de cobalt ont généré 3.850.000.000 de $ (trois milliards huit cent quatre-vingt-cinq millions) s’il faut considérer la tonne à 35.000$ fin 2019. Un pays averti, aurait gagné 770.000.000 de $ (sept cent soixante-dix millions de $) en raison de 15 à 20% des perceptions de l’Etat. Le cuivre produit en 2019 a généré 8.400.000.000 (huit milliards quatre cent millions de $ US) si l’on considère la tonne à 6.000 $. Le Congo devrait gagner au moins 15 à 20% de cet argent à l’instar du Chili. Cela équivaudrait à 1.680.000.000 de $ (un milliard six cent quatre-vingt millions de $). Hélas, ce n’est pas le cas. Les 33 tonnes d’or créditées de 1,012 milliards USD, auraient dû rapporter à l’Etat une somme conséquente. Une once d’or vaut actuellement 1.980 $. Dommage,… Même si l’on tablait sur les cours de l’or fin 2019, à 1.000 ou 1.200$/o, la part de la RDC serait marginale. C’est analogue à 800 ou à 900 $/o. Les recettes du pays resteraient toujours modiques.
Le principal opérateur privé Kibali produit depuis 2014 pas moins de 600.000 onces/an. Il déclare avoir investi 2.5 milliards de $ dont le remboursement n’interviendra qu’après 2025 selon ses études de faisabilité. Cependant, avec 1.980$/o aux cours actuels, les capitaux auraient dû être remboursés plus tôt que prévu autour de 2022- 2023. L’or, valeur refuge qui, à un moment donné, avait atteint le pic de 2.000 $/o, devrait beaucoup rapporter à l’Etat congolais. Hélas, personne ne suit et ne vérifie réellement ce que dit et fait l’opérateur. La compagnie publique – SOKIMO -, partenaire de Barrick Gold aurait dû y veiller. Mais, elle est amnésique voire moribonde, il y a belle lurette. Que peut-elle faire ? Et, c’est pareil pour toutes les filières. A qui la faute ? Au privé ou à l’Etat ? Le ver se trouve dans le fuit. Le pays ne peut expliquer le contrôle, la taxation, le calcul de sa production, de ses exportations et de la vente. En outre, comment gère-t-il le peu d’argent collecté du secteur ? La RDC cartonne et caracole dans le hit-parade de la corruption.
D’après le Bulletin économique quadrimestriel n°2, page 56, édité par l’ex-premier ministre Matata Ponyo, les recettes issues des mines se sont élevées à 1.600.000.000 de $ US (un milliard six cent millions seulement) en 2019. Elles baisseront encore cette année à cause de l’arrêt des activités de certaines entreprises sous le regard complaisant du gouvernement. Principale raison aujourd’hui de la chute libre des recettes : Le covid-19, une excuse facile. Qui se rappelle encore des éloges au lieu des remontrances du ministre des Mines, Willy Kitobo envers les opérateurs miniers en février dernier à Indaba ?
Le mythe d’un Code minier bénéfique à la RDC
Le principal argument lors de la révision de la loi minière en RDC était que l’Etat devrait « augmenter ses revenus car le code faisait la part belle aux opérateurs ». Certains pseudo-spécialistes déclaraient d’ailleurs que le code révisé rapporterait à l’Etat 2 milliards de dollars chaque année. Plusieurs impôts et taxes ont certes été revus à la hausse. Cependant, aucune disposition ne détermine un montant de 2 milliards. Où sont les 4 milliards 2 ans après la révision de la loi ? Peut-être qu’ils sont détournés. On doit arrêter ce discours incongru. Les doutes sur les budgets 2018, 2019 et 2020, attestent l’inadéquation entre l’exploitation minière crescendo et les recettes publiques decrescendo.
Récupération de la STL et la création de la Société générale du Cobalt
On constate une certaine prise de conscience avec de bonnes initiatives du comité de gestion de la Gécamines depuis 3 ans. Après un litige qui l’opposait au Belgo-franco-néozélandais, Georges Arthur Malta Forrest, la Gécamines a récupéré la Société des Terrils de Lubumbashi (STL). Avec le plus grand four d’Afrique, l’opérateur public fait savoir que la STL produira du germanium, du cobalt, du cuivre et du zinc. Bravo !
Cependant, il faut que le four ait la capacité avec des installations complètes et modernes pour le traitement de tous ces minerais. Aussi, avec le même management de la Gécamines, le même outil de travail, on ne produira que des alliages qui seront raffinés ailleurs, fait savoir un expert. Dans le passé, Malta Forrest raffinait la production issue de la scorie de la STL en Finlande. Le flou persiste lorsqu’on récupère le même four avec la même capacité pour produire les différents métaux précités à Lubumbashi. De plus, le modèle financier a été modifié parce que la STL achetait les scories de la Gécamines. Celle-ci recevait aussi le zinc comme bonus. Cette source de financement est coupée parce que la Gécamines devra exploiter seule sa scorie. Sera-t-elle capable ? Bon vent à la compagnie publique ! Il sied aussi de scruter la présence et l’apport des Chinois. Ils sont majoritaires pour faire tourner ce four. Albert Yuma, PCA de la Gécamines a déclaré, il y a peu que : « les Chinois assurent la formation des ouvriers congolais ». Que vont-ils gagner ou laisser lors de leur retrait ? Jusque-là, on n’a pas de réponses précises.
Contraste entre le discours et l’action
La production artisanale du cobalt dépasse de loin celle de la Gécamines. Cette situation alimente le marché parallèle et rend le contrôle du « minerai stratégique » difficile. Chaque creuseur vend sa production à qui il veut. Et les principaux acheteurs de la production artisanale du cobalt congolais sont essentiellement des trafiquants asiatiques. L’idée de la Gécamines de créer une société pour récupérer cette production, est à saluer. Toutefois, une expérience du passé a échoué avec la Nouvelle Compagnie (NOUCO), créée dans la même optique. Point n’est besoin de rappeler que la Gécamines était insolvable vis-à-vis de ses fournisseurs. Mais, les échecs antérieurs peuvent servir des leçons aux décideurs pour mieux rebondir. L’équation à ce propos consiste à convertir les creuseurs en employés d’une industrie qui exige la qualification et la professionnalisation que la majorité d’entre eux n’ont pas. Un autre obstacle est que les creuseurs exigent toujours du cash aux acheteurs. La Gécamines doit penser à cet impératif et à la collecte des minerais à travers des sites artisanaux éparpillés.
Deziwa, oui, mais…
Le projet Deziwa dont on attend beaucoup, soulève plusieurs interrogations. L’analyse de l’expert minier, Léonide Mupepele jette un pavé dans la marre. Il s’interroge sur la rentabilité de ce projet pour la RDC. On peut résumer ses inquiétudes comme suit : « Après une douzaine d’années d’exploitation, l’outil de production sera dans quel état ? Quels sont les taux d’emprunt et les échéances de remboursement des capitaux ? Combien a-t-on affecté à l’exploration de nouveaux gisements et à la certification des réserves ?». Tels sont les risques d’une coquille vide à la fin du partenariat lorsque le projet deviendra la propriété de la Gécamines à 100%.
Glencore, pyromane et sapeur-pompier
Ce grand manipulateur ouvre et ferme ses activités quand il veut. Les raisons qu’il avance dans ses oscillations sont très floues : Tantôt, il arrête à cause du déficit énergétique, tantôt, il veut renouveler l’outil de production, tantôt, il manque d’acide (en surproduction chez son fournisseur en Zambie). Aucun de ces problèmes n’a été résolu lors de ses différentes interruptions des activités. Avec ses deux filiales, KCC et MUMI, il est le premier producteur du cobalt en RDC. Seuls, les initiés comprennent qu’il joue sur la loi de l’offre et de la demande. Il produit et stocke quand il veut et crée la rareté lorsqu’il faut doper les prix. Et l’Etat congolais dans ce jeu, reste aphone et atone. Quelle insouciance ? Quelle langueur ? Quelle mollesse ? Quelle nonchalance ? Quelle indolence ? C’est l’état d’un ‘’non-Etat’’. Rien d’étonnant.
Le récent accord entre le constructeur automobile américain Tesla et le suisse Glencore peut donner un coup de pouce au cobalt congolais, a indiqué récemment RFI. Tesla s’approvisionnera en cobalt auprès de Glencore pour ses nouvelles usines de batteries. Le fabricant des véhicules électriques achètera 6.000 tonnes de cobalt par an à Glencore, destinées à ses nouvelles usines basées à Shanghai puis à Berlin.
RDC, un passage obligé pour se procurer du cobalt
Une campagne internationale d’intoxication est menée contre le cobalt de la RDC à cause du supposé travail des enfants dans les mines. Cependant, les alternatives au cobalt congolais ne sont finalement pas si faciles à trouver. Des batteries électriques sans cobalt ont bien été mises au point, non plus au lithium-ion, mais au lithium-fer-phosphate. Le problème est qu’elles ont un plus faible rendement. Le cobalt congolais (plus 70% de l’offre mondiale), reste donc incontournable pour assurer l’essor des véhicules électriques. Tesla qui devra multiplier par sept ses capacités dans les dix prochaines années selon les prévisionnistes, l’a bien compris et soutient l’approvisionnement à partir de la RDC.
Tesla a choisi Glencore parce qu’il est l’un des deux groupes miniers de la RDC certifiés par l’Initiative des minerais responsables de l’OCDE. Ce contrat serait-il une revanche pour le géant suisse du négoce, encore poursuivi par la justice américaine et suisse ? « Les loups ne se mangent pas entre eux », dit un adage. Les cours du cobalt pourraient ainsi rebondir de leur seuil de 30.000 $ la tonne. Mais quelles seront les retombées pour la RDC dans ce juteux contrat ? Telle est l’inconnue.