Winner Loto et l’appétit du risque : Vers une lecture économique du phénomène en RDC (Chronique de Maurice Mukendi, Economiste et expert financier)

Le jeu de hasard, en particulier Winner, s’est imposé comme un véritable phénomène de société en République démocratique du Congo, attirant une frange croissante de jeunes et, plus récemment, un nombre significatif de femmes. Si pour certains observateurs, cette tendance est perçue comme un facteur d’oisiveté et de manque d’ambition productive, une lecture économique plus nuancée permet d’envisager une autre interprétation.

L’appétit du risque et l’Instinct d’investissement

Dans toute économie de marché, le goût du risque est une caractéristique fondamentale des entrepreneurs et des investisseurs. Contrairement à une vision purement récréative du jeu, l’engouement pour Winner révèle chez une partie de la jeunesse congolaise une appétence pour la prise de risque et la spéculation, deux éléments clés du capitalisme moderne. Derrière chaque mise, se cache une logique spéculative : évaluer les probabilités, anticiper un gain potentiel et accepter la possibilité de perdre son investissement.

De plus en plus, ce sont les femmes qui jouent beaucoup au Winner Loto à Kinshasa

Dans un environnement économique plus structuré, notamment avec la présence d’un marché boursier dynamique et accessible, ces jeunes démontreraient probablement leur sens du risque dans des investissements plus productifs, tels que l’achat d’actions, l’investissement dans des start-ups ou la participation à des fonds d’investissement. Le problème ne réside donc pas tant dans leur comportement, mais plutôt dans l’absence de canaux d’investissement adaptés aux réalités locales.

L’absence d’alternatives structurées : une explication économique

L’essor du jeu de hasard en RDC peut être analysé comme une conséquence directe du manque d’opportunités financières inclusives et accessibles. Dans un pays où le marché financier reste embryonnaire et où l’accès au crédit demeure limité, les alternatives d’investissement sont quasi inexistantes pour la majorité de la population. De ce fait, Winner devient une forme de marché spéculatif informel, où les individus tentent de maximiser leur capital à court terme dans un environnement incertain.

L’absence d’un marché boursier fonctionnel, adapté aux réalités économiques congolaises, empêche les jeunes d’exprimer leur goût du risque dans des activités plus structurées. Un marché financier inclusif, avec des instruments tels que des actions accessibles, des fonds communs de placement et des plateformes de financement participatif, permettrait de canaliser cette appétence pour le risque vers des investissements réels et productifs, contribuant ainsi à la croissance économique du pays.

Perspectives pour un modèle alternatif

Plutôt que de diaboliser Winner et les autres jeux de hasard, il serait plus pertinent d’adopter une approche proactive pour transformer cette dynamique en opportunité économique. Plusieurs actions pourraient être envisagées :

1. Création d’un marché boursier adapté : en mettant en place une bourse accessible aux petits investisseurs, où ils pourraient investir progressivement dans des entreprises locales et des projets à fort potentiel.

2. Éducation financière et inclusion économique : sensibiliser la population, notamment les jeunes, aux mécanismes de l’investissement et aux opportunités alternatives au jeu de hasard, comme l’entrepreneuriat, le micro-investissement et l’épargne active.

3. Développement de plateformes de financement participatif : encourager des modèles comme le crowdfunding, permettant aux jeunes de canaliser leurs fonds vers des projets innovants au lieu de les risquer dans le hasard.

4. Encadrement des jeux de hasard : plutôt que d’interdire Winner, il serait judicieux de réguler ce marché pour qu’une partie des bénéfices soit réinvestie dans des programmes de formation ou d’inclusion financière.

Conclusion

L’essor de Winner en RDC ne doit pas être uniquement perçu comme un signe d’oisiveté ou de désintéressement des jeunes pour des opportunités productives. Il révèle en réalité un manque de canaux d’investissement formels et accessibles, qui empêche ces jeunes d’exprimer leur goût du risque dans des activités plus structurées et productives. Plutôt que de combattre ce phénomène, une stratégie économique avisée consisterait à transformer cette appétence spéculative en une dynamique d’investissement durable, au service du développement du pays. 

  • Bendélé Ekweya té

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