Alors qu’elles venaient, le 11 mai dernier, de fêter leurs 113 ans d’existence, les Plantations et huileries du Congo (PHC) sont confrontées à un malentendu entre les deux actionnaires de cette entreprise que sont Straight KKM2 (76% des parts) et l’Etat congolais (24% de parts) ; lequel malentendu est né à la suite de la désignation d’office par la ministre d’Etat, ministre du Portefeuille, de Mme Julia Luhonga comme présidente du Conseil d’administration (PCA) au sein PHC, en remplacement automatique de Georges Buse Falay qui représentait l’Etat congolais.
En effet, les violons de s’accordent pas entre les deux parties sur ce choix de l’Etat congolais. Les administrateurs de Straight KKM2 le rejettent tandis que ceux de l’Etat congolais le soutiennent. Et au regard du pli des correspondances à la disposition de Scooprdc.net, rien qu’à partir du mois d’avril 2024 que ces administrateurs se sont adressés entre eux-mêmes, puis celles que les officiels congolais ont adressé à l’actionnaire majoritaire, il y a lieu de conclure que la méfiance totale s’est installée entre les administrateurs de deux camps à tel point que si l’on n’y prend garde, la paix sociale risque d’être troublée au sein de l’entreprise.
Accusations graves, dangereuses et nuisibles pour la société
Les deux administrateurs de l’actionnaire minoritaire RDC qui tiennent mordicus à l’installation de la PCA Julia Luhonga Mamba bien que soit contestée sa désignation d’office par la ministre d’Etat, ministre du Portefeuille, mettent en cause la gestion financière de la société par KKM2 et portent des accusations sans doute graves, dangereuses et nuisibles les PHC.
Dans leur lettre du 22 avril, ils accusent et somment la directrice générale de PHC, Mme Monique Gieskes, de leur fournir les explications sur un « paiement de bonus d’un montant de 3 millions en sa faveur », paiement qui été effectué, selon eux, sans que celui-ci n’ait été soumis à l’approbation préalable du Conseil d’administration.
Pire, c’est lorsque le même jour du 22 avril, les deux administrateurs saisissent le Conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité, celui-là même qui gère le Conseil national de sécurité (CNS), pour dénoncer « la fraude liée au blanchiment des capitaux et au financement des mouvements insurrectionnels en RDC au sein de la société Plantations et huilerie du Congo ».
Sans visiblement détenir des preuves matérielles, les deux administrateurs représentant l’Etat congolais au sein des PHC mentionnent qu’il a été récemment porté à leur connaissance des éléments qui laissent présumer des activités financières suspectes liées au financement du terrorisme et du mouvement insurrectionnel M23. Moïse Mazaburu et Désiré Kabasele insinuent que « des transactions financières douteuses impliquant des montants importants ont été effectuées sans justification claire ni autorisation adéquate ».
« Il est impératif que des mesures de sécurité renforcées soient prises pour enquêter sur ces activités financières suspectes et prévenir toute implication dans le financement du terrorisme ou du mouvement insurrectionnel M23 », écrivent Moïse Mazaburu et Désiré Kabasele au professeur Jean-Louis Esambo avant de marteler sur leur vraie préoccupation qui est l’entérinement automatique de la PCA Julia Luhonga Mamba, lequel entérinement est catégoriquement refusé par les administrateurs de l’actionnaire majoritaire SKKM2 qui n’exigent que le respect des statuts en cette matière.
Voulant vraiment enfoncer la gestion des PHC, les deux administrateurs représentant la RDC au sein de cette société écrivent au président de la République le 24 avril 2024 pour dénoncer l’absence des états financiers ; des dépenses non justifiées et sans respect de procédure de décaissement ; la création par l’actionnaire de catégorie A d’une fondation dénommée PHC SA à l’insu de l’actionnaire de la catégorie B ainsi que le blocage de la cooptation de madame Julia Luhonga Mamba désignée PCA.
Le même 24 avril, ils écrivent également à la Première ministre Judith Tuluka, bien que n’étant pas encore entrée en fonction, pour qu’elle « sauve » les PHC.
Et pour couronner tout, Moïse Mazaburu et Désiré Kabasele écrivent le 29 avril au président du Tribunal de commerce de Kinshasa-Limete pour faire opposition au procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 22 mars et réclamer sa nullité absolue pour « abus de la majorité par l’actionnaire SKKM2 ».
Réplique de SKKM2 et sa récusation de deux administrateurs « nuisibles »
Dans sa lettre du 24 avril adressée à la ministre d’Etat, ministre du Portefeuille, monsieur Francis Wale Adeosun, administrateur et chairman de SKKM2, lui manifeste son indignation face au comportement des administrateurs de l’Etat congolais au sein des PHC.
« Au cours de deux dernières semaines ayant succédé à la dernière réunion du conseil d’administration tenue en date du 22 mars 2024, il s’observe une campagne de déstabilisation des dirigeants sociaux de la société par des accusations sans fondement à leur endroit. Ces actes portent préjudices non seulement à une équipe managériale hautement qualifiée et compétente, mais aussi à la plus grande entreprise agroalimentaire employant plus de 10.000 travailleurs et leurs dépendants. Grande est notre indignation ce jour de constater que parmi les propagateurs de faux bruits figurent deux administrateurs représentant l’actionnaire Etat congolais à savoir messieurs Moïse Mazaburu Atibasay et Désiré Kabasele Teho qui cherchent à ternir l’image de la société en sapant toutes les lois du pays sur la tenue du conseil d’administration et la gestion interne d’une entreprise dument constituée selon les lois du pays », peut-on lire dans cette correspondance de Francis Wale adressée à Adèle Kayinda, regrettant qu’au lieu de favoriser un environnement propice à l’investissement et à la croissance économique durable, il assiste à une série de comportement anti-patrie qui compromet sérieusement le climat des affaires en RDC. « Les attitudes prises aujourd’hui entraineront des répercussions durables sur le ‘’doing business’’ et notre société dans les décennies à venir », fait-il remarquer.
Et de récuser Moïse Mazaburu Atibasay et Désiré Kabasele Teho : « Au vu de leur comportement tendant à créer une crise généralisée, il est impératif que ces deux administrateurs ne fassent plus partie de notre conseil d’administration afin de permettre à la société de poursuivre son programme d’investissement pour l’intérêt général des populations bénéficiaires, surtout que la nation congolaise fait face à des défis économiques considérables ».
Enfin, Francis Wale précise qu’avec d’autres administrateurs de son obédience, ils respectent pleinement le droit de l’Etat congolais de désigner les administrateurs de son choix, cependant ils souhaitent que l’Etat congolais reconnaisse leur pouvoir statutaire en tant qu’investisseur privé majoritaire et apporteur des capitaux frais, d’émettre un avis sur les candidats administrateurs proposés comme ce fut toujours le cas.
Rejet catégorique du choix sur Julia Kahonga comme PCA
Dans sa lettre à la ministre d’Etat, ministre du Portefeuille, M. Wale lui demande la désignation des administrateurs compétents et consciencieux par l’Etat et qui doivent agir avec intégrité.
Au sujet de la candidature de Mme Julia Luhonga, l’administrateur et chairman de SKKM2 est clair : convoquer une réunion du conseil d’administration pour traiter de la nomination de Julia Luhonga est sans objet d’autant plus que, selon lui, cette question a déjà été résolue lors de la réunion du Conseil du 22 mars 2024.
« Dans le plus grand respect du partenariat historique entre PHC et l’Etat, il convient d’attendre la mise en place du nouveau gouvernement pour que les questions du partenariat entre l’actionnaire privé majoritaire apportant le capital et l’Etat congolais au sein de PHC SA puissent être examinées par le nouveau ministre du Portefeuille », tranche monsieur Francis Wale.
La présidence de la République tranche : Julia Luhonga ou rien
Dans sa lettre du 19 avril 2024, Guylain Nyembo, directeur de cabinet du président de la République qui dit être mandaté par ce dernier, fait remarquer à Francis Wale que « dans une relation apaisée, il n’y a pas lieu de soumettre la désignation de Mme Julia au vote, car il n’y avait qu’une seule candidate proposée par l’Etat actionnaire à moins d’abuser de sa majorité ».
« A titre de rappel, monsieur Buse Falay avait été proposé à l’époque président du Conseil d’administration et aucun vote n’avait été exigé si ce n’est par pur formalisme, sachant que le poste de PCA est réservé à l’actionnaire RDC qui avait décidé d’y désigner une personne de son choix. Dès lors, le refus des administrateurs de l’actionnaire privé contre une décision de l’actionnaire RDC ne peut se comprendre à moins d’avoir des raisons inavouées », écrit Guylain Nyembo, directeur de cabinet du président de la République Félix Tshisekedi, à Francis Wale, chairman de KKM2, en martelant : « je réitère la volonté de Son Excellence monsieur le président de la République, chef de l’Etat, de confirmer la personne proposée par madame le ministre d’Etat, ministre du Portefeuille, en l’occurrence madame Luhonga Mamba, étant donné que les administrateurs de l’actionnaire Straight KKM2 n’ont donné aucune raison objective de leur rejet, à moins de vouloir entretenir l’opacité dans la gestion ».
Comme pour soutenir la thèse de l’opacité dans la gestion, développée par les deux administrateurs de l’actionnaire RDC, Guylain Nyembo fait aussi observer : « Aujourd’hui, il se dégage clairement que PHC SA n’est pas gérée conformément à ses statuts, pas de Conseil d’administration à cause de l’absence d’un administrateur de l’Etat, pas de commissaire aux comptes, donc absence des états financiers fiables rendant les dirigeants sociaux passibles des infractions au regard de l’article 891 de l’Acte uniforme ».
Et Guylain Nyembo de trancher : « …l’article 15.1 des statuts de PHC SA ne donne pas aux administrateurs un droit de veto sur les personnes proposées par l’un ou l’autre actionnaire, à moins que l’on démontre que la personne a un comportement immoral ou a été condamnée en justice. Le droit de vote ne peut être qu’un vote de conformité. Somme toute, le chef de l‘Etat espère que vous allez revenir sur votre position dans un bref délai, et ce, pour le retour à la paix et à une gouvernance corporative au sein de la société qui est confrontée à des défis plus importants ».
Vers un bras de fer…
Avec toutes ces positions opposées, un bras de fer s’observe entre les deux actionnaires. Non sans raison, car le communiqué publié le 15 mai dernier par la direction générale des PHC asserte la thèse. Dans ce communiqué, l’on peut lire : « À ce jour, à la suite de la démission de l’ancien président du CA, aucun nouveau président n’a été désigné par le Conseil. Par conséquent, toute personne prétendant être le président du CA de PHC S.A n’agit qu’en son propre nom et n’engage en rien la société. Pour pallier ce vide juridique, à la demande de certains administrateurs, le Tribunal de Commerce de Kinshasa/Gombe a désigné un mandataire ad hoc. Ce dernier est habilité à exercer les prérogatives du président du CA jusqu’à la nomination d’un nouveau président, conformément aux dispositions du droit OHADA et des statuts de PHC S.A ».
En effet, la désignation d’un mandataire ad hoc assumant les fonctions de PCA dont parle le communiqué, découle d’un jugement rendu le 03 mai dernier par la Tribunal de commerce de Kinshasa-Gombe qui a siégé en matière de référé commercial sous le RRC.006. La requête a été introduite par Kamal Devinderpal Pallan et Shaka Mwangi Karuiki, tous deux administrateurs de KKM2. Et c’est monsieur Botho Lisasi Blanchard, expert-comptable agréé à l’ONEC qui a été désigné pour exercer les attributions de PCA au sein de PHC jusqu’à la désignation ultérieure d’un autre PCA par le Conseil d’administration.
Mais ce parait contradictoire, le même Tribunal de commerce de Kinshasa-Gombe a rendu avant un autre jugement sous RRC 005 en date du 26 avril sur base de la requête de la RDC, désignant un mandataire ad hoc des PHC aux fins de convoquer et présider la réunion du conseil d’administration devant prendre acte de la désignation de madame Julia Luhonga en qualité de PCA. Et c’est Kuku Kiese Nzalabar Eric qui a été désigné mandataire ad hoc par le Tricom de Kinshasa-Gombe.
A quel jugement croire : à celui RRC 005 en faveur de l’actionnaire RDC ou à celui RRC 006 en faveur de l’actionnaire KKM2, les deux rendus par le même tribunal désignant deux administrateurs ad hoc différents pour la même tâche ? A quel jeu les juges se sont-ils livrés ? Soit !
Le 23 mai 2024, Kuku Kiese Nzalabar Eric a écrit à Mme Monique Gieskes, directrice générale des PHC pour prendre des dispositions en vue de la convocation de la réunion du Conseil d’administration.
Mise en ampliation, la sortante ministre d’Etat, ministre du Portefeuille, Adèle Kayinda n’a pas tardé de répondre le 24 mai à la lettre de Kuku Kiese Nzalabar Eric : « Y réagissant, je me réjouis de votre désignation et compte sur votre intégrité ainsi que votre compétence pour assumer votre rôle afin de doter la société PHC d’une gouvernance corporative conforme aux statuts et à la loi dans le respect des intérêts des actionnaires dont la République démocratique du Congo que je représente ».
Il est évident que l’actionnaire majoritaire qui a déjà rejeté la candidature de Mme Julia Luhonga, ne va se laisser faire par le jugement RRC 05. Il va certainement l’attaquer pour valoir le sien. Et ça sera un bras de fer. Cependant, il faut signaler que ce conflit risque de mettre en péril l’emploi d’au moins 10 mille travailleurs qu’utilise PHC dans ses trois sites d’exploitation dans la Tshopo, Mongala et Equateur, sans oublier les agents de la direction générale à Kinshasa. Du traitement sage de ce dossier, dépendra la survie et la sauvegarde des emplois de ces milliers de Congolais. A suivre !