Selon le magazine Africa Intelligence, un rapport confidentiel financé par la Banque mondiale et remis à la présidence congolaise, indique que l’Angola a largement tiré profit de blocs pétroliers situés en partie dans la zone maritime à laquelle Kinshasa pourrait prétendre. Il s’agit des blocs 15, 15/06 et 31.
Un rapport remis en août 2022 à la présidence de Félix Tshisekedi estime à 78,8 milliards de dollars américains les pertes causées par l’exploitation pétrolière par l’Angola, entre 2009 et 2021, des blocs situés dans les zones maritimes auxquelles la RDC pourrait prétendre devant une Cour de Justice internationale. Si toutefois elle en prenait l’initiative, ce qu’elle n’a jamais fait sous Joseph Kabila, ni depuis l’élection de Félix Tshisekedi en 2019.
L’étude, financée par la Banque mondiale, indique que ce chiffre est calculé selon des variables basses, prenant en compte la production de pétrole et de gaz. Le document, resté confidentiel, qu’Africa Intelligence a pu consulter, a été réalisé au profit du Conseil présidentiel de veille stratégique (CPVS) dirigé depuis avril 2020 par François Muamba Tshishimbi, ancien ministre et conseiller sous Mobutu Sese Seko puis Joseph Kabila avant d’être coordonnateur du Mécanisme national de suivi de l’Accord d’Addis-Abeba (MNS).
Huit mois après sa remise, aucune action n’a été diligentée. Et pour cause : l’Angola a coutume d’utiliser ses réseaux à Kinshasa pour anesthésier toute velléité de la part des politiques congolais de se pourvoir devant une quelconque juridiction. D’autre part, depuis la mi-2022, le président angolais João Lourenço mène pour le compte de l’Union africaine la médiation entre Tshisekedi et son homologue rwandais, Paul Kagame. Des troupes angolaises (environ 500 hommes) devraient être prochainement déployées dans l’est de la RDC, non pas pour combattre le M23, groupe soutenu selon les Nations unies par Kigali, mais pour sécuriser les hypothétiques zones de cantonnement des rebelles et participer à leur désarmement.
Calcul des arriérés
Les blocs pris en compte dans l’étude rendue à la présidence congolaise sont les 15, 15/06 et 31. Ils se situent au large de la province du Kongo Central, et dans la Zone d’intérêt commun (ZIC) constituée en 2007 par les deux pays et dont la délimitation évite le moindre champ exploitable. Les près de 80 milliards de dollars de perte en douze ans sont, selon le rapport, « sous-estimés », car ils ne prennent pas en compte le fait que la plupart de ces permis, notamment le 15 qui a produit jusqu’à 500 000 barils par jour à lui seul, ont commencé à être mis en production dès la fin des années 1990.
L’exploitation de ces blocs litigieux s’est poursuivie par TotalEnergies, ENI, Galp qui vient de vendre ses parts à Somoil, ExxonMobil et Chevron. Et selon les mêmes critères de calcul, les revenus cumulés, entre 2022 et 2032, avoisineront les 15 milliards de dollars.
Selon l’accord signé par Kinshasa et Luanda en juillet 2007 créant la Zone d’Intérêt Commun (ZIC), le partage de l’exploration comme de la production était censé s’effectuer à parts égales, pour les sociétés pétrolières publiques angolaise (Sonangol), et congolaise, Société nationale des hydrocarbures (Sonahydroc).
Toutefois, José Eduardo dos Santos puis João Lourenço, n’ont jamais tenu compte des accords passés, et ont privilégié des arrangements avec Joseph Kabila, et notamment la société Nessergy d’un des proches de l’ancien président, l’homme d’affaires israélien, Dan Gertler, ciblé par des sanctions américaines.
Incapacité à agir face à Luanda
Le rapport, qui circule actuellement à la présidence congolaise, préconise pourtant bien la saisine d’une cour arbitrale ou la recherche d’une « solution négociée » avec l’Angola, dans de brefs délais. « Au fur et à mesure que le temps passe et que l’exploitation à grande échelle continue, la RDC risque de se réveiller trop tard et d’apprendre que les gisements de pétrole se trouvant dans sa zone maritime sont épuisés. » Selon des données de Sonangol, les puits s’amenuisent et une extinction est envisagée aux environs de 2032, ce qui, note l’étude, change radicalement les « termes de la négociation » avec l’Angola.
Ces discussions ne sont pas vraiment à l’ordre du jour. Le président Tshisekedi affichait, au début de son mandat, sa détermination à poser un rapport de force sur cette question stratégique avec son homologue angolais. Le président Lourenço lui a fait savoir qu’il n’était disposé à aucune concession. Fragilisé sur le plan politique et dans les rapports de force régionaux, Tshisekedi n’a pu prendre le risque de se froisser avec son puissant voisin. Quant à son ministre des hydrocarbures, Didier Budimbu, il a vainement tenté d’aborder le sujet et de renégocier en septembre 2021 les termes de la ZIC avec son homologue Diamantino Azevedo.
Si la RDC se décidait à porter ce dossier devant la justice, elle aurait de grandes chances d’obtenir une décision favorable. Selon la convention du droit de la mer de Montego Bay, tout Etat côtier dispose d’un accès à la haute mer et la RDC verrait ainsi certains permis angolais coupés en deux avec une partie se retrouvant côté congolais, captant ainsi une manne pétrolière dont elle est aujourd’hui privée.
Pour l’économie congolaise, l’enjeu est de taille. Le taux de croissance aurait pu augmenter de 14,3 % en 2020, selon le rapport qui s’appuie sur des données de la Banque mondiale. Or, Kinshasa peine actuellement à mobiliser des budgets pour s’équiper militairement en vue d’espérer affronter le M23 ou encore à endiguer une dette publique passée de 5,6 à 10 milliards de dollars en quatre ans.