8 juillet 2011 – 8 juillet 2021, dix ans se sont écoulés depuis le crash de l’appareil de la société Hewa-Bora, emportant plusieurs vies humaines dont celle de Monseigneur Camille Lembi Zaneli, évêque du diocèse d’Isangi et ancien recteur du petit séminaire de Bolongo à Lisala. Dans un livre à apparaître bientôt, Hilaire Tinda Mandeba, l’un de ses anciens élèves au petit séminaire lui rend hommage et invite tous les anciens de Bolongo, afin que souvenir se maintienne, de la date fatidique du 8 juillet 2011 et du passage au bosquet initiatique de Kubulu sous d’heureux auspices d’un initiateur intransigeant et infatigable mais, ô combien bienveillant !
Le texte ci-dessous, relate brièvement mais dans les détails, la tragédie de la fin de vie d’un père qui aura marqué plus d’une génération :
« Deux mois après le crash, le film de l’extraction de son corps des débris de l’avion en feu est venu remuer le couteau dans la plaie qui se cicatrisait déjà. Il fallait se munir d’un courage presque surhumain pour supporter le spectacle de ces images passablement insoutenables.
En effet, sous une pluie qui baissait en intensité, les secouristes locaux appuyés par quelques militaires du contingent de la Mission des Nations Unies abattent un travail de titan : retrouver parmi les décombres de l’avion brisé en morceaux et qui brûlait encore, les corps brûlés et calcinés des passagers, au milieu des bagages dispersés sur le sol et sur les racines des bambous au-dessus desquels l’avion s’était écrasé. Le spectacle de ces dizaines de corps, dénudés et calcinés pour la plupart, étendus à même le sol, était véritablement cauchemardesque ! Il s’apparentait au contexte cataclysmique de certains récits eschatologiques !
La douleur atteint son paroxysme lorsque le corps inerte de Mgr Lembi est retiré de ces détritus, porté sur un brancard, déposé à même le sol et recouvert d’un pagne de fortune, sous les pieds de l’Archevêque de Kisangani accouru sur l’endroit même du crash. Alors que nombre des passagers morts portaient sur leurs corps de très graves brûlures, n’avaient plus des vêtements sur eux et étaient rendus méconnaissables, le corps de Mgr Lembi est resté presque sans brûlure. Ses habits, ses chaussures, ses chaussettes, sa montre, son anneau épiscopal au doigt n’ont connu aucun dégât. Seul son visage ensanglanté semble indiquer qu’il a reçu un choc mortel à la tête.
En dépit de l’insoutenable douleur générée par ces images, ce film venait heureusement combler un vide, le vide de l’image de cette mort inopinée. N’ayant pas été présent aux obsèques comme la plupart des élèves qui l’ont connu, j’avais besoin de voir ces images pour que mon deuil soit définitivement clos. C’était en même temps, pour moi, une façon de graver à jamais dans mon esprit la dernière image de cet homme hors pair dont le destin avait été pendant longtemps lié au nôtre. Il nous avait tellement marqués que chacun de nous cherchait à lui ressembler.
Après cet accident qui a endeuillé plusieurs familles et qui a causé tant d’émois dans le pays, j’ai eu plusieurs fois l’opportunité de passer par l’aéroport de Kisangani, entre septembre 2011 et mai 2014.
Comme on peut se l’imaginer, l’approche de cet aéroport et le survol des mêmes espaces qui ont servi de cadre au funeste accident ont constitué pour moi des moments de forte émotion. Durant ces passages, du siège où je me trouvais, et sans avoir les références exactes de l’endroit précis du crash, j’essayais de reconnaître rapidement, à travers les hublots de l’avion en instance d’atterrissage ou de décollage, l’endroit précis de l’accident. Je n’avais aucun guide pour m’indiquer, ne fût-ce que vaguement, la zone précise où l’avion s’était écrasé. Mais, c’était déjà assez de survoler ce paysage. Je voulais juste assouvir un besoin intense de représentation et de reconstitution des faits !
En chacun de ces passages, dans l’avion qui s’apprêtait à atterrir, je vivais des moments de forte concentration et de réflexion intense, mais aussi de très grande frayeur. J’essayais de me représenter les derniers instants de vie de Mgr Camille Lembi, quelles pensées lui avaient traversé l’esprit au moment où il avait la certitude qu’il allait périr dans cet avion ! En même temps, je pensais à ma propre situation, car tant que l’avion n’avait pas encore atterri, je n’étais pas non plus logé à la meilleure enseigne. Loin s’en faut !
Du coup, j’ai senti le désir irrésistible d’écrire pour exprimer les sentiments qui m’assaillaient en ces moments précis, mais aussi et surtout pour témoigner de la vie exceptionnelle de l’Abbé Recteur Camille Lembi qui a eu une influence bénéfique sur la construction de la personnalité de beaucoup de jeunes qui sont passés par le Petit Séminaire de Bolongo et dont l’histoire restera à jamais marquée par son action.
L’histoire de la relation avec Mgr Camille Lembi avait commencé, trente-deux ans plus tôt, à notre arrivée au Petit Séminaire de Bolongo, en septembre 1979. Nous venions entamer les Humanités Littéraires dans une école parmi les plus renommées de la Province, sinon du Pays, et qui détient une longue et riche tradition de formation des futurs prêtres. L’Abbé Lembi était encore diacre et se préparait à son ordination sacerdotale intervenue quelques semaines plus tard. Une page essentielle de notre histoire s’apprêtait d’être écrite, l’histoire complexe, protéiforme et mouvementée de notre ouverture consciente et critique au monde et à la vie, laquelle s’est réalisée au Petit Séminaire de Bolongo, grâce à l’action éducatrice dont l’Abbé Camille Lembi a constitué comme le maillon central ».