La vengeance est un plat qui se mange froid et non chaud. C’est visiblement la notion qu’a ignorée le directeur de cabinet de la première ministre, Judith Suminwa, qui s’est précipité d’induire sa patronne en erreur, laquelle erreur discrédite malheureusement le régime Tshisekedi, sans qu’elle s’en rende compte.
Tenez, bien que ce soit une procédure normale que peut enclencher un procureur général ou même de la République selon les cas, l’autorisation sollicitée auprès de l’Assemblée nationale par le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, pour auditionner le ministre d’État, ministre de la Justice, Constant Mutamba, qui gère un ministère régalien avec pouvoir d’injonctions sur tous les procureurs y compris lui-même Firmin Mvonde, sur un prétendu détournement des fonds destinés à la construction d’une prison à Kisangani, peut paraitre anodine pour les non-initiés des méandres de la scène politique congolaise. Mais pour les initiés dont les analystes de Scoop RDC qui ne sont pas frappés de la cécité, il s’agit d’une précipitation dans un complot de vouloir régler des comptes à un ministre de la justice qui dérange en combattant les antivaleurs.
En effet, en voulant régler des comptes au ministre d’Etat, ministre de la Justice et de garde des sceaux, Constant Mutamba, pour plaire à sa patronne qui aurait été ridiculisée par ce dernier – dans l’affaire odeur de la corruption lors de la campagne de l’IGF pour sensibiliser les jeunes à la lutte contre la corruption et l’appel au patriotisme, le 03 mars dernier -, Michael Lukoki, directeur de cabinet de la première ministre Judith Suminwa, a induit sciemment ou inconsciemment, mais certainement par défaillance administrative, son patronne en erreur. Une erreur que le procureur général près la Cour de cassation, frustré plusieurs fois par le minétat de la Justice, penserait profiter pour le clouer au pilori.
Scoop RDC qui s’est penché et a enquêté sur ce dossier de prétendu détournement tantôt de 39 millions USD, tantôt de 19 millions USD, estime, après l’analyse minutieuse de la documentation à sa disposition, qu’il s’agit tout simplement d’une volonté manifeste de « vouloir arroser un arroseur » tant au niveau de la primature qu’à celui parquet près la Cour de cassation en se servant de la CENERAF comme tremplin. Mais ce qui est curieusement étonnant dans ce dossier, ce que tous les trois acteurs ligués contre le minétat Mutamba, sont d’une même province : le Kongo central. S’agirait-il d’une conspiration tribale ?
Tremplin de Kisula
En date du 02 mai 2025, le secrétaire exécutif de la Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF), qui garde encore son statut de premier avocat général près la Cour de cassation, a, par sa lettre référenciée 093, demandé à la première ministre, des informations sur l’approbation du contrat de gré à gré signé par le ministère de la Justice avec la société Zion construction Sarl.
« …la CENAREF a ouvert une enquête à la suite d’un paiement, en date du 16 avril 2025, au titre de ‘’lancement des travaux de construction d’un établissement pénitentiaire dans la ville de Kisangani’’, de la somme de 19.900.000 USD sur le compte de la société Zion construction Sarl, compte ouvert un jour avant en les livres de la Rawbank. La transaction d’un si grand montant réalisée dans les conditions de complexité inhabituelles sur un compte en instance d’ouverture a attiré l’attention de la CENAREF. C’est ainsi qu’en date du 17 avril 2025, j’ai procédé au blocage dudit compte et à la saisie de la somme s’y trouvant pour me permettre de vérifier sa destination », peut-on lire dans la lettre d’Adler Kisula Betika, secrétaire exécutif de la CENAREF.
Et de continuer : « C’est pourquoi, je m’adresse à votre haute autorité pour savoir si le contrat de gré à gré à la base du paiement susvisé a obtenu votre approbation comme le veut le décret n° 23/12 du 3 mars 2023 portant manuel de procédure des marchés publics, en son article 20 ».
Toutefois, Adler Kisula annexe à sa correspondance, la lettre que le ministre d’Etat de la Justice avait adressée, le 1er avril 2025 à la première ministre, sollicitant l’approbation de ce contrat avec la société Zion.
Turpitudes de Suminwa
A la lettre du minétat de la Justice, la première ministre n’a répondu que le 08 mai 2025, soit un mois et une semaine après, désapprouvant ce contrat entre le ministère de la Justice et la société Zion. Certainement que c’est la lettre du secrétaire exécutif de la CENERAF lui écrite une semaine plus tôt qu’il l’a réveillée. Or, l’article 20 du décret n° 23/12 du 3 mars 2023 portant manuel de procédure des marchés publics évoqué par le secrétaire exécutif de la CENERAF, stipule portant dans ses alinéas 2 et 3 que « le refus d’approbation des marchés publics est notifié à l’autorité contractante dans un délai ne dépassant pas dix jours calendaires. A défaut d’une décision expresse, le silence de l’autorité approbatrice (première ministre, Ndlr) vaut acceptation ».
Dans sa lettre au ministre d’Etat de la justice, le directeur de cabinet de la première ministre agissant au nom de sa patronne, fait observer que les 10 jours évoqués dans l’article 20 du décret portant manuel de procédure des marchés publics, ne concernent pas les marchés de gré à gré. Le dircab Michael Lukoki se fonde sur le décret n° 010/34 du 28 décembre 2010 fixant les seuils de passation, de contrôle et d’approbation des marchés publics.
Mais en lisant ce décret brandi par le dircab de la PM Suminwa qui n’a que 22 articles, cette conditionnalité due à la différenciation des contrats, n’est mentionnée nulle part. Ce qui démontre du coup que le cabinet de madame Judith Suminwa a failli administrativement à cette exigence du délai de 10 jours imparti à l’approbation d’un contrat soumis à son appréciation. La désapprobation devait en principe se faire entre le 02 et le 12 avril 2025 et non le 08 mai. Le fait d’avoir gardé silence et de n’avoir pas répondu à Constant Mutamba dans le délai, à cause de la défaillance ou du dysfonctionnement de son cabinet, la première ministre lui a donné feu vert étant donné que le décret portant manuel de procédure des marchés publics est clair : le silence vaut acceptation. Elle ne peut nullement se prévaloir donc de ses propres turpitudes.
La maladresse revancharde de Mvonde
En recourant vite à l’Assemblée nationale pour avoir l’autorisation d’auditionner son chef hiérarchique, tout observateur voit dans le chef du procureur général près la Cour de cassation dont les rapports sont tumultueux avec ce dernier, l’esprit revanchard. Non sans raison, car outre les quolibets et autres invectives réciproques sur la place publique qui ont caractérisé leurs relations professionnelles, le ministre d’Etat a enjoint, en novembre 2024, l’Agence nationale de renseignements (ANR), la Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF) et l’Inspection générale des finances (IGF), d’enquêter sur l’acquisition présumée d’un bien immobilier d’une valeur estimée à 900.000 euros à Bruxelles par le procureur général près la Cour de cassation de la RDC, Firmin Mvonde (lire l’article de Scoop RDC : Acquisition suspecte d’un bien immobilier très valeureux en Belgique : le PG Firmin Mvonde serait pris la main dans le sac !). Pour ce dernier, cette enquête exigée par Constant Mutamba dont l’on attend encore jusqu’alors les conclusions, est non seulement une offense, mais aussi une humiliation impardonnable. Ainsi, pour lui, la « transaction d’un si grand montant réalisée dans les conditions de complexité inhabituelles sur un compte en instance d’ouverture » telle que décrite par le secrétaire exécutif de la CENAREF, est une passe en or lui faite à transformer en « tentative de détournement ». Son désir annoncé d’auditionner son chef hiérarchique en l’accusant ainsi d’un présumé détournement, serait aussi sa façon de salir et ternir l’image de celui que l’opinion publique considère comme le médecin de la justice congolaise malade.
Le PG Mvonde qui a manqué de conditionner l’opinion publique comme il l’aurait voulu, parviendra-t-il à anéantir le « Croco de Lubao » et se venger ?
Provenance de fonds supposés détournés
La construction d’un bâtiment pénitentiaire de deux étages (R+2) et d’une capacité de 2.000 détenus, faisant l’objet du contrat entre le ministère de la Justice et la société Zion, lequel contrat présenté à la première ministre, devra être financée sur fonds propres du ministère de la Justice. Et la provenance de ces fonds, d’après les documents consultés par Scoop RDC, est bel et bien la quotité de 12% réglementés dont le ministère de la Justice est bénéficiaire dans les frais d’indemnisation par l’Ouganda des victimes de la « guerre de six jours » à Kisangani.
D’après les sources du ministère de la Justice, cette quotité était avant l’avènement de Constant Mutamba une aubaine pour sa prédécesseuse qui, dit-on, se partageait la cagnotte avec la primature. Or, le jeune ministre d’Etat actuel de la Justice n’est pas dans cette logique de se faire un matelas financier à lui avec cette quotité. Il a préféré l’affecter à la construction des prisons et des maisons d’arrêt en commençant par Kisangani, victime pourvoyeuse de ces fonds.
La confusion créée dans ce dossier serait de faire croire à l’opinion qu’il s’agissait du détournement de l’argent de FRIVAO (Fonds de réparation et d’indemnisation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC). Or, bien que sous tutelle du ministère de la Justice, le FRIVAO est une institution dotée d’une autonomie administrative et financière, ayant un conseil d’administration et un comité de gestion.
« Comment peut-on alors parler d’un détournement sur une quotité revenant de plein droit au ministère de la Justice qui, au lieu d’être dirigée comme par le passé dans les poches des individus, est affectée à la construction des infrastructures pénitentiaires ? », interroge un proche du ministre d’Etat Mutamba qui soutient que « La construction des prisons étant une matière spécifique et sécuritaire comme l’achat des armes ou des uniformes militaires dont on ne peut pas procéder par appel d’offre ouvert ou restreint, Constant Mutamba n’aura nullement péché en recourant au gré à gré et en mettant l’argent dans un compte séquestre pour garantir l’entrepreneur ».
Il faut révéler que si cette prison de Kisangani est construite, non seulement qu’elle va régler tant soit peu le problème de surpeuplement des prisonniers, mais elle va surtout marquer le bilan positif du président de la République, Félix Tshisekedi, comme premier chef d’Etat à construire une prison depuis le départ des colonisateurs. Non sans raison, car ni Mobutu, ni les Kabila père et fils, personne n’a construit une prison pendant son règne. Or, celles que les Belges ont laissées, toutes vieilles de plus de 70 ans, sont soit en état de délabrement prononcé, soit déjà écroulées. Donc, il y a nécessité d’en construire dans toutes les provinces comme d’ailleurs l’avait indiqué la première ministre elle-même au cours de la 41ème réunion du gouvernement tenue le 25 avril dernier. Elle avait exigé l’accélération des partenariats public-privés pour la construction et/ou la réhabilitation des prisons et maisons d’arrêt conformément aux instructions du président de la République. Ce qui fait croire que Mutamba est dans le bon, sinon l’empêcher de construire les prisons, sera pour la première ministre vouloir une chose et son contraire.