Dans un extrait de sa communication aux députés nationaux balancé sur les réseaux sociaux, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, reproche à la Cour constitutionnelle de juger l’ancien ministre Augustin Matata Ponyo, actuellement député national, dans le dossier de la débâcle du parc agroindustriel de Bukanga Longo, sans être passée par le bureau de la Chambre base pour la levée de ses immunités. Il évoque le cas de l’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi, aussi devenu député national, dont l’audition par la Cour de cassation dans le dossier forages, a eu l’aval de l’Assemblée nationale. V.K se plaint ainsi de la violation, mieux de l’empiètement de la Constitution par la Cour constitutionnelle.
Son reproche n’a pas tellement de sens, estiment plusieurs analystes qui ne voient pas de similitude entre le cas de Matata et celui de Kazadi, d’autant plus que pour le premier, la comparution avait déjà eu, autorisée par le Sénat quand il était sénateur et que le dossier est en cours et n’a jamais été clôturé. Tandis que pour le deuxième, c’était la première fois que la justice voulait l’entendre. Parmi ces analystes, Ruffin Kubangisa Matondo, chercheur indépendant en droit public qui entend l’analyse du professeur Eavariste Boshab sur les mises en garde sur les dérives institutionnelles résonner avec acuité renouvelée vingt après.
« … la récente prise de parole du président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, demandant à la Cour constitutionnelle d’adresser une correspondance à sa chambre pour régulariser la levée des immunités de l’ancien Premier ministre Matata Ponyo, alors que M. Matata n’était pas député au moment où le parquet général saisissait la Cour constitutionnelle par une requête en fins fin de fixation de date d’audience, illustre un inquiétant retour à des pratiques contraires à l’esprit de l’État de droit », argumente le juriste Ruffin Kubangisa qui démonte, point par point, dans sa tribune ci-dessous, les erreurs juridiques et les dangers institutionnels que recèle l’intervention de Vital Kamerhe :
« Non Messieurs les députés, vous avez juridiquement tort ! », c’est la courageuse réaction du chercheur indépendant en droit public Ruffin Kubangisa Matondo aux propos du président de l’assemblée nationale Vital Kamerhe en réponse à la demande de l’ancien premier ministre Matata Ponyo poursuivi dans le dossier Bukanga Lonzo.
Sur un ton ferme et sans détours, le professeur Evariste Boshab écrivait il y a presque de cela vingt ans en arrière que « le décalage entre le principe de séparation des pouvoirs et son application, son interprétation erronée et les tentatives de sa suppression par l’Assemblée nationale : ce sont là des raisons suffisantes pour justifier l’effort tendant à fixer les esprits sur […] ses difficultés d’intégration sinon d’apprivoisement dans le système politique africain, et de manière particulière, en République démocratique du Congo ».[1]
Ce constat de l’éminent juriste congolais opéré dans un ouvrage qu’avait curieusement préfacé le même Président de l’Assemblée nationale en ce temps-là et aujourd’hui encore, ne cesse de trouver son terrain d’actualisation jusqu’à ce jour.
Si en 2007, le professeur Boshab s’exclamait en disant « comment ne pas tressaillir de peur, lorsque du haut de l’hémicycle, l’on peut entendre des personnalités respectables suggérer la censure des arrêts de la Cour suprême de Justice, par l’Assemblée nationale ! » ;[2] et il renchérissait en affirmant qu’ « on ne peut que s’en inquiéter ; puisqu’il s’agit là non seulement de la remise en cause d’une règle considérée comme le socle de la protection des droits des citoyens en démocratie, mais aussi et surtout de la manifestation du danger permanent qu’encourt tout système démocratique naissant, lorsque les garde-fou sautent… » ;[3] aujourd’hui encore, je ne peux que m’exclamer pareillement.
En effet, ce matin, j’ai lu au travers des réseaux sociaux que le Président de la chambre basse demande à la Cour constitutionnelle d’adresser une correspondance à l’Assemblée nationale pour régulariser la question de la levée des immunités du député national MATATA PONYO, actuellement poursuivi devant la Cour constitutionnelle pour les infractions commises lorsqu’il était Premier ministre.
Cette prise de position du Président de cette chambre devant la plénière appelle un devoir de clarification.
1. Elle énerve la Constitution qui interdit de saper le principe de séparation des pouvoirs
L’article 151 de notre Constitution dispose en son alinéa deux que « Le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution ». Statuer, c’est prendre une décision sur une affaire. Dans le cas de l’article 151, cela signifie que le pouvoir législatif qu’incarnent les deux chambres du Parlement ne peut prendre une décision sur un différend juridictionnel, et cela simplement parce que la Constitution l’interdit, sur fond de la séparation des pouvoirs.
Demander à la Cour constitutionnelle d’écrire en vue de régulariser un différend se trouvant déjà dans son office et dont l’instruction a déjà démarrée il y a belle lurette, c’est énerver l’article 151 de la Constitution, une disposition essentielle de notre démocratie constitutionnelle.
2. Elle méconnait certaines règles de procédure
En effet, la solidarité parlementaire agit de manière étonnante en RDC. Elle peut aller jusqu’à l’obnubilation sinon au nihilisme. Elle peut nier l’évidence : la clarté d’une disposition telle l’article 151 de la Constitution qui ne peut être interprété.[4]
Suivant la loi organique relative à la Cour constitutionnelle, en ses articles 100 et suivants, c’est Le Procureur Général près cette Cour qui assure l’exercice de l’action publique dans les actes d’instruction et de poursuites contre le Président de la République, le Premier Ministre ainsi que les coauteurs et les complices. C’est à lui qu’incombe la charge, dans le cas de l’affaire BUKANGA LONZO, de saisir la chambre parlementaire concernée pour l’autorisation des poursuites. En ce moment où l’affaire se retrouve dans l’office du juge pénal de la Cour constitutionnelle, laquelle a été saisie par une requête du Procureur général près cette Cour, le parquet général se retrouve dessaisit et ne peut donc plus poser un quelconque acte de procédure, car à ce niveau, c’est la Cour elle-même qui conduit l’instruction.
La Cour ne peut donc et n’a donc légalement aucun moyen de saisir l’Assemblée nationale pour demander la levée des immunités de Monsieur MATATA, car cette étape est réservée au parquet qui s’est cependant dessaisi.
L’on a par la voie des ondes entendu que les avocats de l’ancien Premier ministre ont soulevé une exception liée à la procédure de leur client du fait qu’elle a été irrégulière à leur entendement. La Cour a joint cette exception au fond pour l’examiner après la prise en délibéré de l’affaire. Cela donc ne pouvait appeler un débat politique !
3. Le procès MATATA n’est pas de fraiche date
Le Président de l’Assemblée nationale ne pouvait premièrement pas s’adresser à la Cour en vue de suspendre le cours d’une procédure judiciaire en cours, ce qui est une réelle tentative d’entorse aux dispositions essentielles de la Constitution. Ensuite, le député MATATA n’était pas député au moment où le parquet général saisissait la Cour constitutionnelle par une requête en fins fin de fixation de date d’audience. Le Parquet s’est dessaisi dès lors. Revenir sur une question déjà close depuis avant les élections de 2023, c’est vouloir entraver le cours de la justice, ce qui est sévèrement interdit à l’article 151 en son premier alinéa.
C’est à tort, que le Président de l’Assemblée nationale a pris une telle position juridiquement incongrue.