La mort inopinée du chef de travaux Liévin Mputu en pleine soutenance de sa thèse doctorale à l’Université de Kinshasa (UNIKIN), mercredi 15 janvier dernier, a laissé perplexes étudiants, professeurs et tout le corps scientifique à la Colline inspirée.
Face à cet incident tragique, le professeur Alain Alisa Job Sambokera a mené une réflexion sur la mystification de l’école doctorale en RDC. Pour lui, les doctorants subissent des pressions psychologiques, morales, physiques et financières démesurées. Ci-dessous la réflexion de ce docteur en Pédagogie et Didactique des Disciplines, orientation Gouvernance électorale et sécuritaire à l’Université pédagogique (UPN), mais également Officier supérieur de la Police nationale congolaise au grade de Commissaire supérieur principal :
Le décès du Chef des Travaux Liévin Mputu en pleine défense de sa thèse de doctorat est un événement tragique et bouleversant. Il interpelle profondément sur les réalités du système doctoral en République Démocratique du Congo (RDC), où les candidats sont souvent soumis à des pressions psychologiques, morales, physiques et financières démesurées. Toute la nuit, je me suis concentré à réfléchir sur cet événement, avec une multitude de questions qui ne cessaient de m’assaillir : Comment avons-nous permis que le parcours académique devienne un fardeau si insupportable ? Pourquoi mystifions-nous autant le processus doctoral, au point d’en oublier son essence fondamentale ?
La mystification de l’école doctorale : un fardeau insoutenable
En RDC, le doctorat est souvent perçu comme un sommet intellectuel, entouré d’une aura mythique. Cette perception, bien que valorisante, est devenue un piège pour les candidats. Dès leur inscription, ils entrent dans un système qui les expose à des exigences souvent arbitraires, un jugement social constant et une pression académique asphyxiante.
1. Torture psychologique et morale : La quête du doctorat est marquée par une série d’épreuves, non seulement académiques, mais aussi personnelles. Les candidats sont soumis à des critiques incessantes, même de la part de ceux qui ignorent les subtilités de la recherche scientifique. Cette stigmatisation alimente un stress chronique, fragilisant leur équilibre mental.
2. Épuisement physique : Le manque de soutien institutionnel pousse les doctorants à travailler dans des conditions précaires, souvent au détriment de leur santé. L’intensité des efforts fournis, combinée à des délais prolongés et à des obstacles administratifs, épuise progressivement leur énergie.
3. Charge financière écrasante : Le coût exorbitant des études doctorales en RDC oblige de nombreux candidats à sacrifier leurs ressources personnelles et familiales. Ce fardeau économique devient une source supplémentaire d’angoisse, qui affecte leur capacité à se concentrer sur leur travail scientifique.
Une gestion défaillante des études doctorales
L’incident tragique du Chef des Travaux Liévin Mputu n’est pas un cas isolé ; il est le reflet des défaillances systémiques dans la gestion des études doctorales en RDC. La thèse, qui devrait être un moment d’accomplissement scientifique, se transforme souvent en un calvaire à cause :
- Des exigences démesurées de la part des encadreurs et jurys ;
- De l’absence d’un accompagnement institutionnel adéquat ;
- D’un système qui valorise davantage la critique que le soutien.
Cette culture académique, axée sur la mystification et la compétition, étouffe la créativité et décourage de nombreux chercheurs potentiels.
Mes réflexions nocturnes : des questions pour une réforme
Durant cette nuit de réflexion, plusieurs interrogations ont émergé : Pourquoi avons-nous rendu ce parcours si inaccessible ? Pourquoi transformons-nous le doctorat en un parcours de souffrance, alors qu’il devrait être un tremplin pour l’innovation scientifique et le progrès national ? Ces questions mènent à une évidence : le système doit être réformé pour mettre l’humain au centre du processus académique.
Propositions pour une école doctorale plus humaine
1. Démystifier le doctorat : Promouvoir une culture où la thèse est perçue comme une contribution scientifique accessible, et non comme une épreuve mythique ou un rite initiatique.
2. Instaurer un soutien institutionnel : Créer des mécanismes d’accompagnement psychologique et moral pour les doctorants, afin de les aider à faire face aux pressions sociales et académiques.
3. Réformer les conditions financières : Réduire les coûts liés au parcours doctoral pour le rendre plus inclusif et équitable.
4. Former les encadreurs et jurys : Sensibiliser ces derniers à l’importance d’un encadrement bienveillant et constructif, pour encourager les candidats au lieu de les décourager.
Conclusion : un appel à l’action
Le décès de Liévin Mputu est une tragédie qui doit servir de catalyseur pour une introspection collective sur le système doctoral en RDC. C’est un appel à tous les acteurs académiques, intellectuels et politiques à repenser l’école doctorale pour qu’elle redevienne un lieu d’épanouissement intellectuel et non un terrain de souffrance.
Pr. Alain Alisa Job Sambokera