Tiré de Jeune Afrique Magazine.
À la tête de l’Entreprise générale du cobalt, liale de la Gécamines, cet ancien du groupe Bolloré a la lourde tâche de superviser les activités non industrielles d’extraction et de commercialisation de ce minerai stratégique, potentiel catalyseur de développement pour la RDC.
« C’est un défi colossal », reconnaît le Congolais Éric Kalala quand il parle de la mission de l’Entreprise générale du cobalt (EGC), une filiale de la compagnie publique Gécamines, dont il est directeur général depuis juin 2023. Car l’objectif d’EGC, qui bénéficie en théorie du monopole de commercialisation du cobalt artisanal (extrait sans engins ni infrastructures industriels) en RDC, est ambitieux. La société doit mettre en place une chaîne d’approvisionnement responsable pour ce secteur clé de l’économie, c’est-à-dire qu’elle doit assurer de bonnes conditions de travail aux creuseurs, tout en veillant au respect des droits humains, de l’environnement et de la traçabilité.
De quoi changer la vie des 450 000 creuseurs dans le cuivre et le cobalt – dont 40 000 enfants –, essentiellement concentrés dans les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga, mais aussi accroître les revenus de l’État, qui pâtissent de la clandestinité très répandue dans l’artisanat, lequel représente 10 % de la production de cobalt du pays. Et le cobalt étant un minerai essentiel à la transition énergétique (en particulier à la fabrication de batteries lithium-ion), il constitue un formidable levier de croissance pour la RDC, qui en est le premier producteur au monde avec près de 70 % des volumes extraits au niveau mondial.
Vingt ans au sein du groupe Bolloré
Aujourd’hui à la tête d’EGC, Éric Kalala n’a pas toujours été un grand commis de l’État. Pendant vingt ans, il a travaillé en RDC pour le groupe Bolloré, qui l’a recruté en 2003 après ses études supérieures à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et un master en management international obtenu à HEC Paris.
Il a gravi rapidement les échelons au sein du groupe. D’abord contrôleur de gestion des ports maritimes, il devient responsable financier pour le Katanga en 2009 : « À l’heure du boom minier dans la province, explique-t-il, nous faisions du transport et du dédouanement, et avons accompagné le développement de plusieurs projets de cuivre et de cobalt : Tenke Fungurume, Kisanfu, Kamoto ou encore Sicomines. »
En 2012, Éric Kalala est promu directeur régional au Katanga, où il accompagne la montée en puissance du groupe pour en faire, dit-il, « un leader du marché ». En 2019, il est nommé directeur général du groupe pour toute la RDC, et, deux ans plus tard, devient PDG de Bolloré Transport & Logistics RDC – devenu depuis Africa Global Logistics (AGL).
Un ancien du groupe explique sa progression par « des qualités de leadership, une vraie connaissance métier et un très bon relationnel […] Il est capable de tirer les dossiers vers le haut de façon pragmatique, même les plus complexes. On voyait son potentiel lorsqu’il s’entretenait avec des gens de très haut niveau ». Un aspect essentiel de ses fonctions chez EGC, où les rencontres avec les patrons, les ministres, les gouverneurs, voire avec le chef de l’État, sont fréquentes.
Éric Kalala présume que son « expérience dans le domaine des mines, de l’excellence opérationnelle et de l’efficacité en entreprise » a joué dans la proposition que lui ont faite les autorités congolaises de prendre la tête d’EGC. « C’est une opportunité que l’on n’a pas deux fois dans sa vie, ajoute-t-il. Le projet est novateur, potentiellement disruptif : un artisanat minier bien géré peut être un déclencheur du développement de la RDC. C’était aussi l’occasion de rendre à mon pays ce qu’il m’a donné. » Et ce, même si un nouveau cycle, avec de vrais défis, débutait chez Bolloré, devenu AGL à la suite de son rachat par MSC.
La relance d’un projet contesté
La tâche aurait pu en rebuter plus d’un. Fondée en 2019, EGC n’avait toujours pas commencé ses activités quand Éric Kalala en a pris la direction, à la mi-2023. Car, si le projet est lancé en grande pompe et très rapidement, en 2021, la situation se gâte : le premier site minier choisi par EGC pour lancer ses activités est exploité par une société chinoise qui n’entend pas partir. La ministre des Mines d’alors, Antoinette N’Samba Kalambayi, conteste quant à elle le monopole d’EGC, qui « viole le code minier », et l’accord commercial signé avec Trafigura, « qui revient à transférer cette exclusivité à un opérateur privé ».
Mais, surprise, en mai 2023, le chef de l’État, Félix Tshisekedi, nomme un nouveau conseil d’administration. Avec un président, Gino Buhendwa Ntale, un directeur général, Éric Kalala, et la ferme intention, cette fois, de concrétiser le projet. Dès le mois de septembre suivant, la nouvelle équipe organise un atelier avec les parties prenantes : creuseurs, administration, ONG, partenaires étrangers… « Un débat ouvert. Chacun a fait valoir ses craintes et détaillé les dysfonctionnements », raconte Éric Kalala.
C’est là que jaillit l’idée de tenter le concept EGC sur des sites pilotes. « Les parties prenantes ont préconisé d’arrêter les discussions “ésotériques” et d’aller sur le terrain pour tester, puis ajuster », poursuit le patron d’EGC. Communiquer et collaborer semblent être les maîtres-mots de sa démarche. Et c’est peut-être la bonne, puisque le projet avance.
Le prix du cobalt au plus bas depuis dix ans
« Notre objectif, c’est de travailler dans tout le pays »
En février 2024, la Gécamines octroie cinq carrés miniers (soit 5 km ) à EGC, sur lesquels l’entreprise peut enfin tenter sa proof of concept (POC). Depuis, les travaux se poursuivent, et les partenaires étrangers se multiplient, parmi lesquels le gouvernement américain, qui apportent un précieux appui technique et financier. Éric Kalala y croit : « La production démarrera au premier trimestre 2025. »
Le minerai passera ensuite par un centre de négoce à Kolwezi, capitale provinciale du Lualaba, où il sera analysé par un laboratoire certifié, afin d’éviter les fraudes. Puis EGC vendra le cobalt. Quant aux acheteurs potentiels, les pistes sont nombreuses. Éric Kalala assure discuter régulièrement avec Trafigura (qui a préfinancé une partie des activités) et avec d’autres. « Nous échangeons avec l’Union européenne et nous expliquons la nouvelle donne aux Chinois. L’objectif est de diversifier nos partenaires. Mais nous souhaitons aussi maximiser consommation et transformation locales. » Il ne se satisfera pas non plus d’un succès sur les seuls sites pilotes : » Notre objectif, c’est de travailler dans tout le pays. » Et comme l’avait révélé Africa Business+, l’entreprise envisage de s’étendre aux autres minerais stratégiques pour la RDC, notamment le coltan, ce qui nécessitera des moyens.
Des obstacles à franchir
Éric Kalala le concède, il y a encore beaucoup à faire. Le plus urgent est de finaliser les études géologiques, de valider le modèle économique d’EGC et de sélectionner les coopératives de creuseurs avec lesquelles travailler.
Des obstacles plus épineux existent. Des membres de la société civile estiment que l’approche d’EGC n’est pas bonne et que les sites pilotes sont éloignés des lieux de vie des creuseurs, ce qui complique la mise en œuvre des projets. Des personnalités politiques détiendraient par ailleurs des intérêts dans l’artisanat minier, qui joueraient en défaveur du projet… Un point que réfute Éric Kalala, qui souligne le fort soutien de l’État au projet.
Enfin, le prix du cobalt baisse, fortement, et des travaux sont en cours pour limiter son usage dans les batteries électriques. Un risque pour EGC ? Une chance, selon Éric Kalala, pour qui cela permet de travailler sereinement, sans que les creuseurs envahissent les sites pilotes en quête de cobalt lucratif. En tout cas, il en est sûr : « Si EGC est un succès, ce sera un exemple à reproduire au niveau international. L’artisanat minier est un défi partout. En partant du terrain, en RDC, on peut avoir une influence sur le monde entier. Ça n’a pas de prix ! »