Le procès suspendu le 04 novembre dernier de l’affaire dite de « forages », opposant le ministère public à l’ancien ministre d’État du Développement rural, François Rubota, et à l’entrepreneur Mike Kasenga, patron de Stever construct, société ayant signé le contrat avec le gouvernement congolais pour la construction de stations de pompage et traitement d’eau, a repris ce lundi 18 novembre à la Cour de cassation. La haute juridiction poursuit le second pour le détournement de 46.160.000 USD, solde du montant global de 71.816.829 USD décaissé par la trésor public congolais et le premier pour avoir favorisé ce détournement. Le détournement est donc l’unique infraction retenue pour les deux.
Après le moyen exceptionnel soulevé par la défense de François Rubota sur la compétence de la Cour de cassation à juger ce dernier et la remarque faite par la défense de Mike Kasenga sur le versement par le ministère public de nouvelles pièces au dossier qui fait passer celles-ci de 195 à 1843, la Cour a décidé de l’instruction sommaire de l’affaire tout en acceptant la demande d’accès à toutes les pièces et l’accord d’un délai suffisant pour les analyser, formulée par les deux défenses.
Premier à être auditionné : François Rubota. Pourquoi avoir écrit au ministre des Finances alors que le projet devait être préfinancé ? S’était-il rassuré de l’effectivité de ce préfinancement par la société Stever construct ? A ces questions de la Cour, l’ancien minétat lui fait savoir qu’à sa prise des fonctions le 27 avril 2021, il avait trouvé le projet déjà en exécution. Et qu’en contrôlant les stocks des matériels dans les entrepôts à Kinshasa et dans certaines provinces, achetés par la société Stever construct sur fonds propres pour au moins 150 stations de pompage et traitement d’eau, cela témoignait déjà son préfinancement d’autant plus qu’à son arrivée, cette société n’avait encore bénéficié d’aucun rond du gouvernement congolais, alors qu’elle avait déjà construit quelques stations de forage.
L’ancien minétat François Rubota devant les juges de la Cour de cassation ce lundi 18 novembre 2024.
Pourquoi avoir écrit plusieurs fois au ministre des Finances pour libérer les fonds ? Quel intérêt personnel avait-il parce ce son insistance aurait influencé les paiements par le ministre des Finances ?
« Je n’avais aucun intérêt personnel à part l’intérêt général de voir les populations rurales victimes de viol, des morsures de serpent, accéder à l’eau potable surtout que nous étions dans un contexte de Covid-19. Si j’avais un intérêt personnel, j’aurais laissé passer le décaissement total de 375 millions USD du projet comme c’était déjà décidé. C’est moi qui ai bloqué pour que le paiement soit échelonné parce que j’ai estimé que pour un projet de 5 ans et on ne pouvait pas payer le tout à la première année. Donc, j’ai sauvé le pays », s’est défendu François Rubota.
Sa préséance en tant que minétat a certainement influé sur le ministre des Finances pour qu’il effectue des paiements, estime la Cour. Là, François Rubota ironise que cette préséance était théorique, de forme seulement car fait-il savoir à la Cour, la plupart des membres du gouvernement y compris les VPM, faisaient des courbettes devant le « tout-puissant » ministre des Finances pour se faire payer.
« La décision de payer n’était pas ma décision. Je soumettais à son appréciation la demande et il ne payait pas parce que moi j’ai demandé mais parce qu’il appréciait. Pour preuve, tous nos engagements dans les différentes lois des finances n’ont pas été respectés par le ministre des Finances. En 2021, nos engagements n’étaient exécutés qu’à 7,7%, en 2022 ils étaient à 1,4% et en 2023 ils étaient exécutés à 4% », révèle-t-il à la Cour en mentionnant que quand bien même Nicolas Kazadi payait dans le cadre des forages, lui n’était saisi par aucun document en tant que ministre d’État du Développement rural et autorité contractante.
Pourquoi être parti de 1.000 stations à 1340 stations de forages ? Pourquoi des paiements en mode urgence ? A ces questions et d’autres, François Rubota a prié la Cour de les poser au ministre des Finances. Réponse qui a poussé la Cour à déclarer qu’elle appréciera au moment venu de la comparution ou pas de l’ancien argentier de la RDC.
Conclusion de François Rubota : si le gouvernement congolais avait disponibilisé les sites où devaient être érigées les stations de forage, les travaux seraient finis.
Mike Kasenga imperturbable et droit dans ses bottes devant les juges
Différence entre forage et une station de pompage et traitement d’eau. Telle est la première question que la Cour pose à l’entrepreneur Mike Kasenga, patron de Stever construct. A l’aise comme un poisson de l’eau, il éclaire techniquement la Cour sur la nette nuance entre les deux ouvrages. La Cour comprend vite qu’il y a eu manipulation de l’opinion lorsque l’on parle de 4 mille ou 6 mille USD pour faire faire un forage. D’ailleurs, se référant des tarifs du projet PRISE financé par la Banque mondiale sur appel d’offre international variant entre 650 mille et 390 mille USD l’unité dont pièce versée dans le dossier, la Cour s’est montrée convaincue pour écarter l’allégation de surfacturation par Stever construct de ses stations de pompage et traitement d’eau, telle que distillée dans l’opinion publique.
Le projet devait être préfinancé par vous, pourquoi avoir sollicité du gouvernement des fonds alors que les travaux n’étaient pas finis ?
« Avant même d’avoir un rond du gouvernement, nous avions déjà installé quelques stations, on avait un stock des matériels disponible pour 151 stations. C’était donc un préfinancement », s’est défendu Mike Kasenga expliquant que le recours au financement du gouvernement s’est justifié par le fait de Covid-19 qui avait ralenti les activités des banques rendant celles-ci incapables de financer les opérateurs. C’était un cas de force majeure survenue alors qu’il fallait acheminer et déployer les matériels dans les provinces ciblées pour les travaux.
Pourquoi le retard des travaux alors que vous prétendez avoir tous les matériels et avez bénéficié des fonds du gouvernement, la première tranche de 71 millions USD ?
« Dans le contrat il est dit que le gouvernement doit mettre à notre disposition des sites où nous devons érigés les stations. Nous avons écrit, écrit et les sites ne sont pas mis à notre disposition au rythme normal, à tel point que nous sommes parvenus à acheter nous-mêmes de portions de terres dans certaines localités et avons recouru à la bienfaisance des églises catholique et protestante pour avoir des sites », explique aisément Mike Kasenga à la Cour, déclarant attendre du gouvernement l’indication des endroits où ériger les stations dont les matériels pour leur construction sont disponibles dans les différents entrepôts de Stever construct.
« Le contrat n’a jamais été arrêté malgré que je suis en prison », révèle-t-il à la Cour en l’informant que pas plus que le 15 novembre dernier, sa société a livré 5 stations à Lisala, dans la province de la Mongala.
A d’autres questions liées à la sous-traitance avec Solektra du Malien Samba Bathily et d’autres sociétés comme celle de Amadou Diaby, Mike Kasenga a donné des explications en se référant au contrat qui ne l’interdit pas. La Cour ainsi éclairée, a remis la cause à lundi 25 novembre prochain.
Il faut dire que dans cette affaire, Mike Kasenga est le seul à être en prison plus de quatre mois par la seule volonté du procureur général près la Cour de cassation pour des raisons inavouées, alors que l’affaire est purement civile d’autant plus qu’il s’agit d’un contrat. D’ailleurs, beaucoup de questions posées par la Cour au patron de Stever construct, ont tourné ce 18 novembre autour de l’exécution des clauses dudit contrat. Ce qui prouve à suffisance que c’est une affaire civile dont les conséquences devraient se limiter à des dédommages en cas de non observation des clauses. Et il s’avère difficile, à l’allure où se déroule le procès, au ministère public de prouver le détournement dont il poursuit le patron de Stever construct en cette matière de contrat, observent certains avocats dans la salle d’audience et qui ne prennent pas part à ce procès.
N’empêche, les avocats de Mike Kasenga ont tout de même introduit une demande de liberté provisoire pour qu’il comparaisse comme son co-accusé François Rubota, en homme libre. Requête à laquelle la Cour devrait donner la suite ce mercredi 20 novembre 2024.