Par Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue et analyste des politiques publiques et ancien conseiller à la direction Afrique centrale du ministère canadien des Affaires étrangères.
Les deux concepts utilisés dans cet article sont tirés de moments importants qui ont jalonné l’histoire du Québec au début des années 60 et celle de la Tchécoslovaquie à la fin des années 80. Ces deux moments historiques, à savoir, la « Révolution de velours » qui a mis fin, en quelques semaines, à plus de trente années de plomb de l’un des régimes communistes les plus durs en Europe de l’Est, d’une part, et la « Révolution tranquille » qui représente une période charnière de l’histoire du Québec contemporain, marqué par des réformes importantes sur les plans politique, économique et social et de la modernisation de l’État québécois, d’autre part, ont contribué à une profonde transformation du modèle économique et social de ces deux nations et joué un rôle déterminant à la fois sur le développement de leurs sociétés et sur le bien-être de leurs populations.
À son accession au pouvoir comme président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi était confronté à deux défis majeurs qui l’attendaient, à savoir, d’une part, comment dompter le redoutable Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, qui avait des tentacules dans toutes les institutions publiques nationales et provinciales prêtes à bloquer toute initiative susceptible d’être mise à l’actif du président Tshisekedi et, d’autre part, comment relever la situation socio-économique et financière désastreuse.
Confronté à de vives tensions avec ses alliés du FCC, dès les premières semaines, pour des nominations présidentielles bloquées par le ministre du Portefeuille, personne ne donnait la moindre chance à Félix Tshisekedi de tirer son épingle du jeu, dans cet environnement politique où tous les leviers du pouvoir étaient verrouillés et tenus bien en main par les partisans de Joseph Kabila. Deux ans après, on n’entrevoyait toujours pas la lumière au bout du tunnel et les événements tendaient à conforter les sceptiques dans l’idée que c’était toujours le FCC qui menait le jeu. Il était impensable d’imaginer, ni même de prédire, un tel dénouement en quelques semaines seulement, même si l’on se rappellera qu’en avril 2019, dans un rassemblement avec les Congolais de la diaspora à Washington, Félix Tshisekedi avait rassuré qu’il allait déboulonner le système Kabila.
Félix Tshisekedi relève le premier défi et déboulonne
L’onde de choc qui a marqué le point de basculement dans la bataille politique larvée entre Félix Tshisekedi et son allié d’alors Joseph Kabila, et qui a provoqué l’effondrement de la coalition gouvernementale, c’est le refus délibéré des présidents de deux chambres du Parlement et de membres du gouvernement issus du FCC, d’assister à la prestation de serment de nouveaux juges de la Cour constitutionnelle. Cet incident, tout à fait regrettable pour le FCC, a, non seulement, blessé l’amour-propre du président Tshisekedi qui a vécu cela comme une humiliation aux yeux des Congolais, et signé la chute brutale de la coalition FCC-CACH. En effet, dans ce climat de tensions constantes, il n’était plus possible pour Félix Tshisekedi de maintenir cette coalition de façade, ni même de s’abriter derrière elle, pour continuer à aménager son allié Joseph Kabila.
Félix Tshisekedi a alors déployé l’artillerie lourde pour gagner cette bataille, en menaçant d’user de ses prérogatives constitutionnelles pour procéder à la dissolution du Parlement, s’il n’obtenait pas le ralliement de la majorité des députés à sa vision. Il aura suffi de quelques semaines seulement pour venir à bout de l’incontournable FCC qui était, en réalité, très fragile et vacillant.
Le discours historique de six minutes prononcé par le président Tshisekedi, le 23 octobre 2020, dans lequel il dressait les principaux points de divergence persistant au sein de la coalition, est l’acte qui a scellé définitivement la fin de la coalition, l’effondrement rapide du FCC de Joseph Kabila et l’adhésion massive à la vision de Félix Tshisekedi, de créer une Union sacrée de la Nation. Aujourd’hui il ne reste que des ruines du FCC.
Si la révolution de velours signifie notamment un changement politique pacifique qui se fait sans trop de violence, si cela signifie un changement sans qu’aucune goutte de sang n’ait été versée, alors nous pouvons dire que ce qui s’est passé en RDC avec Félix Tshisekedi est une révolution de velours.
La Révolution tranquille est-elle possible avec Félix Tshisekedi ?
Au Québec, l’expression Révolution tranquille désigne une période-clé pendant laquelle de grandes réformes économiques, de changements sociaux, la modernisation de l’État et de l’administration publique, ont été mises en œuvre par le gouvernement libéral de Jean Lesage, de 1960 à 1966. Avant la révolution tranquille, le Québec était gouverné par des élites placées elles-mêmes sous la férule de l’Église et de la bourgeoisie anglophone. La population était la moins scolarisée d’Amérique du Nord. La priorité du nouveau Premier ministre était notamment de s’attaquer au favoritisme politique, d’éliminer la corruption afin de renflouer le Trésor public, de modifier la carte électorale de façon à diminuer l’importance des caisses électorales occultes et permettre aux régions urbaines d’être mieux représentées etc. Pour cela, il s’était entouré d’un cabinet qu’on a baptisé « l’équipe du tonnerre ». En quelques années seulement, ce gouvernement a réussi à mener à bien et à amorcer un grand nombre de réformes pour renforcer l’influence de l’État dans ses compétences sociales et économiques, notamment en procédant à des réformes en matière de santé et éducation, avec la mise sur pied d’un système d’hôpitaux publics, la création de leviers économiques tels que la Caisse de dépôt et la Société générale de financement, ou la nationalisation de l’électricité.
Même si nous sommes bien conscients que toute comparaison est imparfaite en raison de différences systémiques, nous nous inspirons toutefois de cette Révolution tranquille qui a permis au Québec de mettre en œuvre de grandes réformes qui ont eu un grand impact sur les plans économique et social, pour rattraper le retard en la matière.
Maintenant que le président Tshisekedi a le pouvoir d’exercer la plénitude de ses prérogatives sur le choix des membres du gouvernement, nommés les « Warriors » (les guerriers), le peuple congolais attend avec impatience que ce nouveau gouvernement puisse s’atteler à relever le deuxième défi majeur, celui de la situation socio-économique et financière désastreuse, en prenant des mesures fortes et urgentes pour améliorer les conditions de vie de la population.
Certes, il n’en demeure pas moins que le président Tshisekedi fait preuve d’une forte volonté politique nécessaire pour apporter le changement que son cher parti a fait rêver aux Congolais durant les trente-sept ans de combat politique pour accéder au pouvoir. Mais les spécialistes des politiques publiques vous diront que le changement ne repose pas seulement sur la seule volonté politique, il dépend également de plusieurs autres facteurs déterminants pour donner des résultats concrets. Il faudrait avoir une grande détermination, se fixer des objectifs précis, avoir une approche stratégique, disposer des ressources nécessaires pour passer à l’action et pouvoir atteindre les objectifs visés.