Par Jean-Marcel Ndumbi-Tshingombe, EAO.
L’organisation des Jeux de la francophonie à Kinshasa a laissé plusieurs infrastructures qui sont là pour rester. Les paysages kinois ont ainsi changé. Les autres chantiers d’envergure pullulent de part et d’autre en RDC sans oublier les projets annoncés de 145 territoires. Il n’est plus un secret pour personne qu’après la construction de ses infrastructures, leur entretien est la clé de voûte de leur viabilité et de leur pérennité. Qui entretiendra les différentes infrastructures jetées çà et là en RDC ? Doit-on inviter les expatriés, donc étrangers, pour s’occuper de leurs entretiens ? Cela exige notamment, des plombiers, des électriciens, des maçons, des forgerons, des ajusteurs etc. bien formés et capables de relever les défis. Où forme-t-on les gens de divers métiers en RDC ? Que fait l’Institut national de préparation professionnelle (l’INPP) ? Quelle est sa mission réelle en RDC ? Quelle est la différence entre cette institution et les écoles offrant la formation des métiers ? Et que dire de Kanyama Kasese et de ses bâtisseurs ? La réponse à ces questions est l’objectif de cette réflexion qui va aboutir à un plaidoyer pour la formation des jeunes congolais à des métiers de l’avenir.
Au Congo-Kinshasa, la jeunesse presque dans sa quasi-totalité rêve de travailler dans l’administration, bref, de trouver un travail au bureau. Après les études secondaires, la grande majorité se retrouve dans les programmes universitaires (droit, lettres et autres). Ils se retrouvent facilement en politique, car, on ne peut se le cacher, la politique est devenue la vache laitière pour tous ceux qui veulent gagner leur vie en RDC. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les listes des candidatures déposées à la CENI aux différentes positions pour les futures échéances électorales de 2023.
Par ailleurs, les métiers (plomberie, électricité, mécanique,…) ne sont pas valorisés. Ceux qui les pratiquent sont généralement considérés comme moins intelligents et inaptes aux études universitaires.
Certains diraient que l’Institut national de préparation professionnelle en forme déjà. Lors de sa création en 1964, cette institution à caractère technique et social est placée sous la tutelle du ministère de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance Sociale. Au jour d’aujourd’hui, l’INPP est dorénavant sous la tutelle du ministère de Formation professionnelle, Art et Métiers et a des projets de mise sur pied des INPP dans plusieurs nouvelles provinces du pays. Le hic est justement de savoir que les attributs de formation académique et pratique ne se reflète pas dans ce que nous autres, on croit être la mission des collèges et institutions de formation permettant aux finissantes et finissants d’avoir non seulement un titre, une certification, mais aussi et surtout l’acquisition des compétences techniques pour réaliser les tâches dignes de techniciens. À lire de près la livraison de Le Potentiel du 8 janvier 2023 : Rayonnement de l’INPP : le personnel et la nouvelle équipe regardent dans la même direction, il n’y a nullement question de la matière académique, mieux scientifique destinée à faire la différence des récipiendaires fréquentant cette institution. Selon nous, il y a alors un sérieux problème nécessitant une profonde réforme et une définition des objectifs.
Tout compte fait, avant d’aller plus loin, donnons la réponse à cette question sur la différence entre les études universitaires et les études collégiales. Autrement dit, quelle est la différence entre les études supérieures universitaires et postsecondaires collégiales ou autres ? Prenons le cas du Canada.
Au Canada, le domaine de l’Éducation est du ressort provincial. Presque dans toutes les dix provinces et les trois territoires, la différence est nette entre les deux systèmes éducatifs après les études secondaires. Les programmes universitaires mettent l’accent sur la théorie, la recherche et la compréhension des principes fondamentaux d’un domaine.
Par contre, les programmes collégiaux privilégient l’apprentissage pratique et les compétences professionnelles nécessaires pour entrer sur le marché du travail. Ces programmes étant conçus en fonction des besoins spécifiques du marché du travail, sont régulièrement mis à jour. Ce qui n’est pas le cas pour les programmes universitaires. Les études universitaires sont d’au moins 3 ans alors que les études collégiales durent entre quelques mois et 3 ans dépendamment des programmes. L’université confère à la fin des études un baccalauréat, une maîtrise ou un doctorat alors que le collège octroie un certificat, un diplôme et, dans certains cas, un baccalauréat. Comme on peut le voir, les études collégiales ont une portée pratique permettant l’acquisition nécessaire des habiletés et des compétences pour entamer une carrière. De manière générale, les études collégiales sont orientées vers les programmes suivants : administration; agroalimentaire ; apprentissage (briqueteur-maçon, charpenterie, menuiserie, électricien, construction et entretien, plombier, praticien (ne) du développement de l’enfant, régleur – conducteur de machine – outils) ; architecture et génie civil (technologie de l’architecture, technologie du génie civil – construction, technologie de construction en mode coopératif) ; art et design (animation 3D, arts numériques, design graphique, initiation aux arts numériques) ; communication (création de contenu médiatique, publicité et communication – techniques de médias et communication numériques) ; construction et mécanique (pratique de la charpenterie et de la rénovation, techniques de chauffage, de réfrigération et de climatisation, techniques de la construction et du bâtiment, techniques de soudage etc.) ; électronique, environnement forestier et faunique, génie, hôtellerie, informatique ; médias ; sciences appliquées ; sciences de la santé ; sécurité/service d’urgence. Cette liste n’est pas exhaustive.
Offrir une formation de qualité aux jeunes finissants la 8e année d’études primaires ou élémentaires, exige non seulement les moyens matériels, mais aussi et surtout la volonté politique d’opérer de profondes réformes dans ce domaine. Il s’agira d’orienter les élèves sélectionnés dès la fin des études secondaires, partant de leurs notes pondérées en français et en mathématiques, vers les programmes à temps plein énumérés ci-haut. Il est alors impérieux, voire important de proposer des réformes profondes concernant cette formation aux métiers.
Créé pour encadrer les jeunes délinquants de la République Démocratique du Congo, le Service National (SN) a vocation de former et prendre en charge les jeunes appelés en jargon kinois «Kuluna». Mais, les conditions d’admissibilité à ce service sont principalement le fait d’être criminels mineurs ou majeurs. Quelles sortes de critères de base ? Il est aberrant de compter sur un tel système pour la gestion de la forme digne de ce nom pour les jeunes congolais. Peu importe comment on les appellera en contexte congolais, les collèges des métiers nécessitent d’être implantés et vulgarisés à travers toutes les provinces du pays avec comme motif de bien former, bien outiller les jeunes pour non seulement l’équilibre et la place des études universitaires, mais aussi et surtout pour la sauvegarde de la qualité de l’enseignement postsecondaire en RDC.
A quelques mois des échéances électorales en RDC, il suffit de jeter un coup d’œil aux projets ou programmes de société de différentes plates-formes politiques afin de constater l’inexistence des réformes ou des projections liées à la formation des jeunes après les études secondaires. Et pourtant, c’est une nécessité. Un impératif pour l’avenir d’un pays aux richesses et ressources diverses.
Afin de s’adapter aux profondes mutations et changements de notre société, sans la formation de qualité surtout orientée vers les divers métiers, les conséquences et le manque à gagner pour la classe moyenne seront d’une grande ampleur. La classe moyenne est souvent considérée comme un levier du développement de tous les pays du monde. À en croire Maher, la classe moyenne est synonyme de développement et de stabilité socio-économique voire politique. (1)
Pour terminer, il n’est pas surprenant, encore au XXIe siècle, que les Congolais qui habitent un pays appelé scandale géologique, ne sachent guère à quoi servirait le diamant sans forcément parler de cobalt et de l’uranium. Quelle est la faculté ou le programme dans nos universités ou instituts postsecondaires qui forment les jeunes à la connaissance des minerais de la RDC ? Et que dire de l’exploitation forestière? Nos grumes sont même coupés et extirpés du pays dans un état brut. Il y a beaucoup à faire et ça devrait changer, hic et nunc.
(1) Samir Sobh, La classe moyenne, pilier du régime. Dans les cahiers de l’Orient 2010/01 (N°97) pages 41 à 46. Consulté le 13 octobre 2023 sur le site web https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2010-1-pa ge-41.htm