Le dossier judiciaire de Fortunat Biselele dit Bifor, ancien Conseiller privé du président Félix Tshisekedi, commence à tanguer par faute de la solidité des accusations.
En effet, interpellé et détenu à l’Agence nationale de renseignements (ANR) juste après son limogeage du cabinet du président de la République, puis transféré dans l’après-midi de vendredi 20 janvier 2023 à la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe où se déroule son procès, il est reproché à Fortunat Biselele, entre autres la trahison, l’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et la propagation des faux bruits. Les infractions que les services ont présentées au magistrat pour qu’il soit jugé.
Mais d’après le Collectif de ses avocats, comme pour l’affaire de François Beya accusé autrefois de comploter contre le président de la République, les actes renseignés dans le dossier Biselele n’ont aucun lien avec les infractions mises en exergue. Des mêmes méthodes, mêmes accusations, même affabulations, mêmes contradictions de la part des services de sécurité du pays, comme du temps de François Beya, argumentent les avocats.
Dénonçant une arrestation et détention arbitraires sur fond de règlement de compte politique car opérées dans le mépris total des lois de la République et des instruments juridiques internationaux de protection des droits de l’homme, les avocats de Biselele parlent beaucoup plus d’un dossier « politique d’apparence judiciaire ».
« L’arrestation et la détention ont été faites sur base d’un tract portant mention « de note d’OPJ ». Cette fameuse note n’indique ni les noms et qualités de celui qui l’a rédigé ni encore moins le lieu de son établissement ; ce qui conduit à s’interroger sur sa valeur juridique. Tout juriste sérieux sait que l’article 126 de l’ordonnance N° 78-289 du 03 juillet 1978 relative à l’exercice des attributions des officiers et agents de police judiciaire près les juridictions de droit commun, impose aux officiers de police judiciaire d’énoncer leurs noms, post-noms, leur fonction principale ainsi que leur qualité d’officiers de police judiciaire en tête de tous les procès-verbaux qu’ils établissent en matière de police judiciaire et d’indiquer en outre, le lieu où ils instrumentent, leur numéro d’identification et l’étendue de leur compétence matérielle. Le tract sur base duquel Monsieur Biselele a été arrêté et poursuivi ne comporte aucune de ces mentions exigées par la loi. Pire, ce tract n’a pas été établi en présence du précité ni encore celle de ses avocats », dénoncent les avocats.
Et de renchérir en chargeant le patron de l’ANR, Jean-Hervé Mbelu : « la lecture de cette fameuse note d’OPJ laisse apparaitre sans un effort que l’affaire Biselele est un dossier éminemment politique, et non judiciaire. Il s’agit d’une âpre lutte d’influence au sein des cercles qui se disputent le contrôle du pouvoir, d’un violent règlement des comptes entre factions rivales et au final, d’un abus excessif de position par le chef de l’ANR qui veut à tout prix s’imposer comme seul bouclier et ‘’homme sûr’’ du régime ».
Nullité et fausseté des infractions mises à charge de Bifor, selon les avocats
L’affaire Biselele est, selon ses avocats, l’une des affaires révélatrices de l’instrumentalisation à outrance de la justice aux fins de règlement de compte politique. Pour eux, il s’agit d’une abomination judiciaire qui heurte le bon sens le plus élémentaire. Non sans raison, ils balayent l’une après l’une, les infractions mises sur le dos de leur client.
S’agissant de la trahison par exemple, de la lecture de la note d’accusation de l’OPJ mentionnée ci-dessus, il est reproché à Fortunat Biselele d’avoir, selon les propos lui attribués, appelé au téléphone le 28 octobre 2022, le professeur Serge Tshibangu, Mandataire spécial du Chef de l’Etat au processus de Nairobi, pour l’alarmer en lui demandant d’évacuer urgemment la ville de Goma qui allait être prise sous peu ; mais aussi pour avoir envoyé au précité un message WhatsApp libellé comme suit : « Kagame s’en moque, il va prendre Goma. On n’a pas de soutien diplomatique ».
Selon l’accusation, Biselele aurait trahi l’Etat congolais pour avoir appelé monsieur Charles Deschriver et le Général Franck Ntumba, respectivement responsable de l’aviation présidentielle et Chef de la Maison Militaire du Chef de l’Etat, pour les informer et leur demander d’exfiltrer le plus tôt possible, le Professeur Serge Tshibangu qu’il considérait comme son jeune frère. Ces appels et déclarations auraient, selon l’ANR, semé la panique dans la sphère de l’armée, des troupes combattantes engagées au front.
Les avocats expliquent encore que la prétendue trahison dont se serait rendu coupable Fortunat Biselele est enfin basé sur le fait pour lui de s’être exclamé en disant à un prétendu voisin de siège, lors du discours du Chef de l’Etat à la Nation le 10 décembre 2022 devant le Congrès et dans lequel il avait publiquement dénoncé l’agression de la RDC par le Rwanda, en désignant clairement le Président Paul Kagame comme étant auteur de cet acte rétrograde, contraire au droit international, que « on va le tuer, Kagame ne blague pas, pourquoi il a dit ça ? ». Ces propos seraient, selon l’accusation, de nature à démoraliser la Nation et à envenimer davantage la situation diplomatique entre la RDC et le Rwanda.
Considérant que tous ces faits sont montés de toute pièce et se révèlent comme un scenario écrit à l’avance dans l’intention de nuire à un compatriote dont la loyauté envers la Nation et le chef de l’Etat n’est pas à prouver, les avocats estiment que tels que ces faits sont présentés, ils ne peuvent nullement et même dans l’imaginaire être constitutifs de l’infraction de trahison même en temps de guerre telle que prévue et punie par l’article 183 du Code pénal livre II. Car, pour être poursuivi pour trahison en temps de guerre, rappellent-ils, l’agent doit, outre la volonté d’attenter à la sûreté extérieure de la RDC, poser les actes ci-après : porter les armes contre la RDC ; provoquer des militaires ou des marins à passer au service d’une puissance étrangère, leur faciliter les moyens ou faire des enrôlements pour une puissance en guerre avec la RDC ; entretenir des intelligences avec une puissance étrangère ou avec ses agents en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la RDC et ; participer sciemment à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation ayant, pour objet de nuire à la défense nationale.
« Dans le cas de monsieur Fortunat Biselele, il n’est nullement démontré qu’il aurait porté les armes contre la RDC ou qu’il aurait poussé les militaires ou les marins congolais à passer au service du Rwanda. Il n’est pas non plus indiqué qu’il aurait facilité le moyen au service rwandais ou procéder à l’enrôlement en leur faveur pour attaquer la RDC. L’accusation ne démontre pas non plus que monsieur Fortunat Biselele a entretenu des intelligences avec le Rwanda ou ses agents en vue de favoriser ce pays dans son entreprise criminelle contre la RDC. Il est de notoriété publique que le Rwanda opère en intelligence avec les éléments du M23 dont les noms et les adresses sont connus aussi bien des autorités congolaises que celles des Nations Unies. Il ne saurait être question de chercher ceux qui aident le Rwanda ailleurs », argumentent les avocats de la défense.
Et de marteler aussi : « il n’est pas également démontré que Monsieur Fortunat Biselele aurait participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la Nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale. L’accusation a du mal à indiquer à quel moment ou lieu Monsieur Fortunat Biselele aurait participé à la démoralisation de l’armée congolaise ou des troupes au front à l’Est. Aucun contact avec la hiérarchie de l’armée n’a été rapporté. En quoi demander l’évacuation de Serge Tshibangu de Goma constitue-t-il une trahison ? Serge Tshibangu était-il le Chef des troupes déployées au front ? En quoi cette évacuation aurait-elle facilité le M23 et le Rwanda à avancer sur terrain ? »
Les avocats de Fortunat Biselele trouvent drôle que l’on se base sur le propos selon lequel leur client aurait dit à son voisin de siège que Kagame va tuer le président de la République pour conclure à la démoralisation de la nation et donc justifier la trahison ! « Non seulement que l’identité du prétendu voisin de siège n’est pas connue, mais aussi ces propos n’ont pas été rapportés aux citoyens congolais afin de prétendre qu’ils auraient démoralisé la nation. Ici encore, il n’y a aucun acte qui puisse justifier l’interpellation et la détention de monsieur Fortunat Biselele. Ceci ressemble, il y a peu, à l’affaire Fantomas, à qui il était reproché d’avoir dit à quelqu’un que ‘’le président de la République aza matama, aliaka fufu !!’’ », défendent les avocats leur client Fortunat Biselele.
Pour eux, l’accusation est incapable de donner des réponses à toutes les questions soulevées et posées, mais elle ne fait que divaguer en cherchant pêle-mêle les faits sur quoi s’en tenir. Ils soutiennent que le législateur congolais a tellement pris soin de déterminer avec précision les actes constitutifs de trahison de telle sorte que toute machination en la matière n’est pas admise. Il en est de même de l’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat.
Quant à l’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, une autre infraction mise sur le dos de Fortunat Biselele reproché d’avoir entretenu des intelligences avec les agents d’une puissance étrangère de nature à nuire à la situation militaire et diplomatique de la RDC d’une part, ainsi que pour avoir entretenu, sans autorisation du Gouvernement, une correspondance ou des relations avec les sujets ou les agents d’une puissance étrangère.
Concrètement, il est reproché à Fortunat Biselele d’avoir communiqué le 13 août 2020 au général rwandais James Kaberebe, des informations qui touchent à la sécurité nationale, notamment les photos de la mutualisation des forces FARDC/UPDF qui devaient combattre les ADF/MPM. Il lui est reproché également d’avoir transmis à James Kabarebe, en date du 19 novembre 2020, des images du défilé des avions militaires angolais sur le sol congolais dans le cadre de la coopération RDC-Angola ainsi que d’être en contact permanent avec quelques responsables des services rwandais de renseignements sans apporter l’autorisation lui accordée par le Gouvernement congolais pour ce faire.
« Comme pour la trahison, l’accusation est également sur un point faible, fantaisiste et dénuée de tout fondement. Elle porte essentiellement sur l’examen des échanges sur le téléphone de l’intéressé et ses correspondants étrangers, dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions. Conseiller privé du président de la République, mieux introduit dans les milieux politiques et sécuritaires des pays voisins avant sa nomination à ce poste, il ne peut, par la suite, lui être reproché ces contacts dès lors que cela était un des éléments déterminants en sa faveur. Peut-on lui reprocher d’avoir des contacts à l’étranger alors que cela était mieux connu de son Chef avant sa nomination ? La réponse est négative. Ses relations avec ses anciens amis du RCD ne sauraient constituer une infraction aujourd’hui, dès lors qu’avant sa nomination, il était déjà, à ce titre-là, proche du Chef de l’Etat qui, à son accession au pouvoir, a utilisé ce réseau pour établir des liens privilégiés avec le pouvoir de Kigali », déclarent les avocats.
Et d’ajouter « qu’en sa qualité de Conseiller privé du Président de la République, Monsieur Fortunat Biselele ne pouvait pas manquer d’être en contact avec les responsables des services rwandais. Dépendant de l’institution Président de la République à qui il rendait compte à tout moment, Biselele n’avait pas besoin d’obtenir une autorisation particulière du Gouvernement congolais pour exécuter le mandat lui confié par le président de la République. Dès lors, il ne peut être reproché au précité d’avoir porté atteinte à la sûreté extérieure de la RDC pour avoir posé les actes qui rentrent dans le mandat lui confié par son Chef auprès de qui il rendait compte ».
Pour la défense de Fortunat Biselele, l’accusation ne démontre pas en quoi les prétendus échanges que leur client auraient eus avec les responsables des services rwandais ont nui à la situation militaire ou diplomatique de la RDC ou qu’ils auraient permis au Rwanda avec ses supplétifs de M23 d’avancer sur terrain. En plus, font-ils savoir, « le défilé militaire angolais sur le sol congolais ainsi que l’entrée des forces ougandaises sur le territoire congolais dans le cadre de mutualisation des forces FARDC/UPDF ont eu lieu en plein jour et ont été couverts par les médias tant nationaux qu’internationaux. Les services rwandais n’avaient pas besoin de Fortunat Biselele pour accéder aux photos et informations sur ces opérations-là. Pour toutes ces raisons, il ne peut être établi dans le chef du précité, l’infraction d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ».
Enfin, de l’infraction de propagation des faux bruits, il est reproché à Fortunat Biselele d’avoir affirmé, dans une interview accordée au journaliste franco-camerounais Alain Foka, qu’il avait effectué plusieurs missions au Rwanda auprès du président Paul Kagame pour négocier un deal win-win sur l’exploitation des minerais congolais. Et pour l’accusation, cette déclaration aurait provoqué un tollé et poussé certains congolais à s’en prendre au président de la République. Ainsi, l’accusation estime que les fausses nouvelles répandues par Fortunat Biselele sont de nature à alarmer les populations, à les inquiéter ou à les exciter contre le pouvoir établi dans l’objectif de porter les troubles dans l’Etat.
« Ici également, monsieur Fortunat Biselele n’a jamais répandu de faux bruits comme le prétend l’accusation. En effet, lors de sa visite officielle à Rubavu (Rwanda) le 25 juin 2021, le président de la République avait, au cours de son point presse à côté de son homologue rwandais, affirmé que les deux pays s’étaient engagés à travailler sur plusieurs dossiers économiques. Dans le cadre de la préparation de cette rencontre, le Chef de l’Etat avait dépêché son Conseiller privé dans cet objectif. Par ailleurs, l’accusation ne rapporte pas la preuve des actions posées par la population à l’égard du président de la République du fait des propos tenus par l’accusé. Sur ce point précis, l’accusation est contredite avec précision par monsieur Pacifique Kahasha qui, dans son audition, déclaré que ‘’la chronique d’Alain Foka était très appréciée même par le président de la République’’ », défendent les avocats leur clienten concluant que de tout ce qui précède, les infractions de haute trahison, d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et de propagation de faux bruits que l’on colle « honteusement » à Fortunat Biselele ne sont pas établies en fait comme en droit. C’est un dossier politique sur fond de règlement de compte.
Il est vrai que ceci n’est que la version des avocats qui tirent le drap de leur côté, l’officier du ministère qui est l’accusateur ayant endossé les allégations des « Services » dira lui autre chose en tirant aussi le drap de son côté. Et c’est de la bonne guerre juridique, mais la décision finale reviendra aux juges. Cependant, l’on craint seulement que ces derniers se plantent comme dans le procès François Beya dont l’issue est hypothétique présageant un aboutissement en eau de boudin.