Tiré de Geopolis Hebdo.
Doit-on craindre un grand déséquilibre économique et social en République Démocratique du Congo dans les jours qui viennent ? Un chamboulement des prix de certains biens de consommation est constaté sur le marché. La cause de ces variations est la mise en place d’un système de traçabilité des douanes d’accises, selon la Fédération des Entreprises du Congo. La FEC qui dénonce un droit mis en place en contradiction avec les textes légaux existant, se dit en outre, victime d’un forcing qui d’abord, la met en porte-à-faux avec le gouvernement et va ensuite se répercuter sur la vie économique du pays en impactant le pouvoir d’achat des consommateurs et en réduisant sensiblement les investissements. Entre les pouvoirs publics et le secteur privé, les prises de paroles autour de cette question, sont devenues source de contradiction et de contrariété. La question reste pendante, mais le premier ministre est saisi de la problématique. Comment démêler l’écheveau de cette situation et comment en saisir la nuance rationnelle ?
Les prix augmentent sur le marché chaque jour, et les consommateurs surtout ceux à revenus faibles ne parviennent plus à accéder facilement aux biens autrefois à leur portée. Que ce soient les produits brassicoles, l’eau en bouteille plastique, le tabac, les boissons alcooliques produites localement, les eaux de table, sans parler des produits pétroliers, tous ces biens sont en hausse sur le marché. Les associations des consommateurs crient au scandale, mais sans grand effet. Les populations se tournent vers les producteurs pour les pointer du doigt, arguant des supposés appâts de gain, ces derniers plaident non coupables car « obligés » sont-ils par le contexte contraignant de faire face à des situations imprévues. La vie de la nation doit se poursuivre, notamment grâce à des acteurs au comportement économique rationnel. En plus, le contexte général ne peut se payer le luxe d’une contradiction qui peut déstructurer le climat social.
Il faut dire que si les faits ne sont pas replacés dans leur contexte, il y aura sans doute des malentendus qui vont énerver le climat des affaires qui est déjà perturbé par des situations multiples. La République Démocratique du Congo dont le besoin de croissance est un facteur clé de son développement ne peut se permettre que le secteur économique soit source d’instabilité sociale. C’est dans le but d’apporter un éclairage sur ces différentes augmentations observées ou celles en cours, rendues inévitables par un discours des sourds qui semble s’installer entre les différentes parties prenantes que notre rédaction s’est donné la mission de descendre sur terrain, de récolter l’ensemble des éléments qui participent à l’explication de cette situation d’augmentation des prix, situation sur laquelle les différents acteurs se rejettent la responsabilité.
Controverse autour de la vignette fiscale
Plusieurs opérateurs interrogés par notre rédaction sont préoccupés par le risque majeur de la détérioration du climat des affaires et des investissements consécutifs à la décision du Gouvernement de procéder à la mise en œuvre du système de traçabilité des droits d’accises. Cette décision, affirment-ils, ne fruste pas en elle-même les opérateurs économiques car, elle procède de la recherche de l’efficacité de l’État dans sa mission de réguler aisément les activités économiques. Seulement, là où le bât blesse, c’est le fait que le Gouvernement impute cette dépense à la charge des mêmes opérateurs économiques. Ils sont obligés de payer l’effort du Gouvernement de doter ses propres services des instruments de suivi et de contrôle. C’était déjà difficile à faire passer auprès des acteurs concernés dans la mesure où cette dépense non prévue, va forcément influer sur le prix de revient et inévitablement, sur le prix de vente et partant, toucher le pouvoir d’achat des consommateurs. Au moment où le pouvoir d’achat est en décroissance, augmenter les prix des biens est une décision qui ne relève pas du comportement de l’homo-économus.
En fin de compte, déclare la Fédération des entreprises du Congo (FEC), cette décision rend des mauvais services à tout le monde et ne fera que compromettre le taux de croissance. Voilà que le goulot d’étranglement est d’application avec des méthodes qui portent atteinte aux droits privés, selon la FEC, et à ce jour, on peut constater une augmentation générale des prix, autant au niveau des produits importés, que des biens produits localement. Que ce soit l’eau en bouteille, l’essence, le tabac, la bière et d’autres produits de luxe, les indices de prix signalent une relative augmentation et la tendance est à la hausse. Les prix repris dans le tableau ci-dessous font foi et corroborent les appréhensions des opérateurs économiques qui n’ont eu de cesse de sonner l’alerte. Pour ne pas assister amorphe à cette dégradation du tissu économique et social, en date du 1er novembre, la FEC, à travers son président du Conseil d’administration Albert Yuma, a adressé une lettre de protestation au premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde. Dans cette correspondance, la FEC dénonce l’installation forcée par des agents de la DGDA et de l’ANR, des machines de codification en ligne dans le cadre de la mise sur pied du système de traçabilité des douanes d’accises (STDA). Albert Yuma dénonce également l’arrestation des opérateurs économiques dans la ville de Kinshasa et menace d’arrêter toute production locale avec toutes les conséquences possibles sur le plan social et économique. La menace de la FEC pourrait s’appliquer dans le secteur de production des eaux de table, des jus, des limonades et autres boissons, puisque ce sont ces produits qui sont visés par le STDA.
Dans sa lettre, le PCA de la FEC dénonce et écrit : « Cette situation est d’autant préoccupante que cela constitue une violation grave du domaine privé et que les chefs d’entreprises ainsi que leur personnel ont été séquestrés pendant plusieurs heures. Ce qui est une atteinte aux droits des personnes, consacré par la constitution et les autres lois en vigueur dans notre pays ».
Et d’ajouter : « Nous relevons à votre intention qu’en cas de poursuite des menaces auprès des opérateurs économiques et de non prise en considération de leurs préoccupations légitimes, les entreprises se verront obligées d’arrêter la production locale avec toutes les conséquences qui en dérouleront sur le plan économique et social ». Cela a le mérite d’être clair. En réalité, il s’agit bien d’une urgence qui demande une certaine diligence dans sa résolution en cette période de fin d’années où la moindre tension économique peut faire chambouler la vie sociale de tout un pays.
La FEC en appelle d’ailleurs à l’arbitrage du président de la République, rappelant que le chef de l’État «ne cesse de rassurer, au travers ses différentes interventions, le secteur privé et partant, les opérateurs économiques qui ont investi des dollars dans notre pays, sur l’amélioration du climat des affaires, mais que les services publics ont du mal à respecter », dit la missive de la FEC.
Les appréhensions antérieures de la FEC disaient déjà que, à cause de la vignette fiscale, « L’Etat verra ses recettes diminuer, les entrepreneurs vont voir leurs chiffres d’affaires décroître et les consommateurs seront confrontés à une baisse drastique de leur pouvoir d’achat. Tel est le scenario qui se dessine dans l’espace économique national ». Cela est vérifiable aujourd’hui.
Le ministère des finances interpellé
Entre les revendications de la fédération des entreprises du Congo et les obligations pour l’Etat de renflouer légalement le Trésor public, il y a une rationalité à saisir qui peut-être, échappe à la compréhension de plusieurs. La rédaction de Géopolis a mené une enquête auprès des acteurs concernés, des autorités du secteur, des consommateurs et des chercheurs en matière de fiscalité et de parafiscalité. Les premiers éléments qui sont remontés à la surface, sont relatifs à la nature de la taxe querellée et on se rend compte que la Fédération des entreprises du Congo avait déjà pris position et averti son partenaire le Gouvernement des conséquences néfastes de garder cette disposition en l’état sans perturber les équilibres en place. Par sa lettre, la FEC avait déjà alerté le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, de la nécessité de retirer son arrêté du 26 novembre 2021 qui institue la mise en œuvre du système de traçabilité des droits d’accises. Selon les documents consultés, le ministère des Finances conditionne l’acquisition des vignettes fiscales pour marquer les produits importés, fabriqués localement, les tabacs et monitorer les services de la téléphonie mobile. Déjà à l’époque, le patronat congolais déplorait le fait que ce système avait pour vocation d’instaurer des frais supplémentaires au-delà des droits d’accises à payer au trésor public à charge des opérateurs qui seront à leur tour obligés d’augmenter les prix des produits et services sur le marché local.
Selon le patronat congolais, l’arrêté du ministre est en contradiction flagrante avec le rapport de la commission économico-financière de l’Assemblée nationale qui sur le sujet, s’agissant du projet de Loi de finances de l’exercice 2022, avait recommandé à ce que le trésor public prenne en charge les frais pour le monitoring et la traçabilité des droits d’accises à l’intérieur notamment et ce, pour ne pas perturber les équilibres du marché. A partir du moment où les différents acteurs au sommet n’émettent pas sur la même longueur d’ondes, on comprend que les prises de paroles soient devenues des moments de grande contrariété.
Le Président de l’APK donne sa lecture sur la question des vignettes
Pour en savoir plus, nous avons approché le président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa (APK), le professeur Godé Mpoy qui, sur la question, a une approche nuancée. Selon le professeur Mpoy, il faut considérer que les compétences en matière d’accises ne courent pas les rues et que le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) aurait aussi dans ce domaine besoin de l’éclairage des experts. Mais, l’honorable président estime aussi que le patronat est fiscophobe. Le président de l’APK va plus loin en distribuant des cartons jaunes en disant que le Gouvernement aussi, apparemment, ne semble pas murir ses décisions : « La particularité de l’impôt d’accises, c’est d’avoir comme assiette que les biens nocifs et des biens de luxe, dans tous les pays normaux, car on n’accorde pas de privilèges fiscaux sur des biens nocifs et des biens de luxe, c’est aussi cela l’impôt social ».
Poursuivant sa démonstration argumentaire, le président Mpoy a évoqué le Code des accises de 2018, en son article 52, qui pose le principe de ce dispositif. Selon le professeur Godé Mpoy, le dispositif qui est à charge de l’administration, c’est celui qu’on pose dans les usines des fabricants, pour suivre en temps réel les opérations de fabrication. Ça, c’est gratuit. Mais la vignette est un instrument de lutte contre la fraude, elle garantit la traçabilité des produits ayant acquitté correctement l’impôt. Et comme il s’agit des droits d’accises, la vignette a un coût. Mais ce point de vue n’est pas totalement partagé par le patronat.
S’agissant des couts relatifs à l’acquisition des timbres à apposer sur les différents produits, il convient de signaler que ce prix a été revu à la hausse avec une augmentation de plus de 500%. Alors que ces timbres étaient achetés localement pour le prix de 3,5 dollars pour 1000 timbres, le gouvernement les a augmentés pour la même quantité à 22,9 dollars. Cette décision, on peut s’en douter n’a pas plu aux opérateurs économiques qui dans un memo, se sont adressés à la DGDA pour des discussions quant à ce. Rien n’est sorti de cette mise en situation. Revenant même sur une proposition de conciliation en disant que ce taux soit revu à la baisse jusqu’ à 10 dollars. Même cette proposition n’a pas rencontré l’assentiment de l’Etat qui a tenu à ses 22 dollars. Face à ce bras de fer qui ne pouvait être qu’en défaveur des opérateurs car pas assez outillés pour faire face à l’Etat, ils ont en désespoir de cause proposé que cette augmentation soit étalée sur deux ans avec 10 dollars la première année et 15 dollars la deuxième année. Hélas tous ces efforts n’ont pas abouti et quelques secteurs sont déjà en train de payer au taux imposé. Le risque de voir des sociétés fermer car soumises à des contraintes qui rendent inopérants leurs calculs de rentabilité est très grand.
La FEC déplore le manque de consensus autour de cette question et craint le pire
A l’occasion de la présentation des vœux au mois de février dernier, Albert Yuma, le président du Conseil d’administration de la FEC, avait déploré la hauteur des frais mis à charge des opérateurs dans le cadre du marquage des produits importés et fabriqués localement assujettis aux droits d’accises. Mais, c’est le président Lenny Ilondo de la commission industrie de la Fédération des entreprises du Congo qui a fait une lecture claire du dossier. Pour lui et pour ses pairs, les droits d’accises font partie des contributions indirectes qui permettent à l’Etat, au travers de ses organes attitrés, de s’assurer d’un flux des revenus continu en vue de faire face à ses obligations. Et les droits d’accises font également partie de la structure des prix car, incorporés dans le prix de vente. Mais aujourd’hui, la question qui se pose avec acuité est celle de la traçabilité qui par ailleurs est importante car, elle permet de combattre la fraude et les produits contrefaits et ceux de la contrebande.
Si cette opération est importante, sa mise en application est réglementée par des textes précis. C’est à ce niveau que la FEC n’est pas d’accord avec l’arrêté du ministre des Finances en la matière : « Nous sommes des entreprises citoyennes affiliées à la FEC qui payons nos taxes et nous n’avons pas le pouvoir de nous opposer aux Lois du pays. Seulement, nous avons attiré l’attention sur le fait que l’arrêté pris par le ministre des Finances en 2021 est en contradiction avec les Lois et règlements de la République. Le ministre des Finances, en prenant cet arrêté, avait conféré au Directeur général de la Direction Générale des Douanes et Accises (DGDA) la prérogative de créer une redevance. Or, il n’y a que la Loi qui peut créer un impôt, une taxe ou une redevance, ce qui n’a pas été le cas. On ne peut pas payer deux fois pour le même produit. Le producteur intègre la taxe d’accises et attend, selon la Loi, que le timbre soit apposé. Les rapports entre la DGDA et son prestataire ne concernent pas la FEC. A ce niveau de notre récit, il est important de revenir à la notion elle-même pour saisir le contexte de cette crise pendante. Le droit d’accises est un impôt indirect perçu sur la consommation, parfois aussi, sur le commerce de certains produits en particulier le tabac, l’alcool, le pétrole et ses dérivés. Le but recherché, a-t-on appris par le législateur, est de dissuader la consommation des produits que l’Etat considère comme ayant une externalité négative, mais parfois l’accise frappe certains produits comme le thé, le café (bien que leur justification sur ces produits soit aujourd’hui contestée car, le but n’est pas d’en dissuader la consommation). Il faut rappeler que les droits d’accises sont à payer lors de la mise à la consommation des produits. Cette situation a empiré.
Au niveau de la DGDA, des missions furent envoyées dans certaines provinces notamment, le Haut-Katanga, le Lualaba et le Tanganyika, missions relatives à l’identification, la formation et l’enregistrement des industriels et importateurs des produits d’accises ainsi que l’installation des machines STDA dans les chaînes de production. Allant plus loin dans la manifestation de son indignation, le patronat a regretté en annonçant que cette attitude de la DGDA ne favorise pas une franche collaboration. Pour les opérateurs économiques, ce qui s’apparente à un forcing va certainement plomber le climat de bonne entente entre des partenaires qui ont intérêt à maintenir le dialogue pour la sauvegarde des grands équilibres.
Aux dernières nouvelles, la situation s’est aggravée avec l’augmentation de la liste de produits assujettis aux droits d’accises et à la hauteur de ces taxes. Nous sommes dans un triangle de contradiction qui met en face, le Gouvernement face à l’autorité budgétaire qu’est le Parlement et le monde des affaires qui se retrouve dans une situation inconfortable. Ce triangle est en lui-même face aux millions des consommateurs qui vont payer la facture de toutes ces augmentations et si jamais ils ne parviennent pas à assumer les hausses, ils vont reculer et ralentir l’activité économique. Ceci nous ramène au cercle vicieux de l’atteinte des objectifs contraires que l’on souhaite en réglementant ou en légiférant.
Les opérateurs économiques, comme les investisseurs, sont des entités frileuses qui ne supportent pas les modifications continuelles des règles de jeu car, toutes leurs affaires sont construites sur des études de faisabilité. Au moindre changement, on est vite arrivé à des désinvestissements et à la fin des emplois et surtout, à la perte des recettes pour le trésor public. Il nous apparaît à ce stade de nos investigations qu’un dialogue urgent doit être noué avec le Gouvernement pour que les charges qui pèsent sur les opérateurs obéissent à la logique légale et économique.