Par Vahamwiti Jean-Chrysostome (Député et ministre honoraires).
Depuis le mois de mai 2021, les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sont sous état de siège pour rétablir la sécurité. Dix-sept mois après, société civile, Lucha, mouvements sociaux, élus provinciaux et nationaux, notables et autres sont tous unanimes que l’état de siège n’aura été qu’une simple rotation dans la territoriale, remplaçant les civils par des militaires et policiers qui ont pris goût à la routine administrative.
Les mesures exceptionnelles devant accompagner un état de siège sont invisibles sur terrain et les espaces insécurisés dans ces deux provinces se sont élargis d’un mois à un autre alors que massacres et tueries ont pris une vitesse de croisière.
Devant un tel paradoxe, le commandant suprême des forces armées et de la police ne pouvait pas rester inactif. Il a pris des initiatives dans tel et tel autre sens pour se débarrasser de ce cercle vicieux.
La dernière initiative présidentielle est la rencontre avec les députés nationaux de ces deux provinces le mercredi 12 octobre 2022 dans une table ronde à la Cité de l’Union Africaine à laquelle ont été associés la commission Défense et sécurité de l’Assemblée nationale et autres services spécialisés.
Cette table ronde a décidé de l’organisation d’une autre table ronde, peut-être la vraie, au mois de novembre 2022, pour décider du sort à réserver à cet encombrant état de siège.
Quel élément ou quel paramètre a manqué à cette première table ronde de près de 100 personnalités au sommet de l’Etat pour qu’il en sorte une option définitive ? Le président de la République qui a le maximum d’informations sur lui a certainement toutes les bonnes raisons d’envisager cet autre forum plus élargi à des centaines de participants.
S’agit-il d’une conférence Amani bis ? La ressemblance serait grande. Dans un pays où les dialogues sont une tradition, va-t-on vers une autre conférence Amani qui réunirait les deux provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri alors qu’en janvier 2008 la conférence Amani avait réuni à Goma les provinces du Nord et du Sud-Kivu sous la présidence de monsieur l’Abbe Appolinaire MaluMalu Muholongu, d’heureuse mémoire, Vital Kamerhe ayant présidé le comité de sages ?
Les objectifs de la conférence Amani de 2008 se résument dans ces mots d’Abbé MaluMalu dans son discours d’ouverture du 6 janvier 2008 : « toutes spéculations politiques, philosophiques, idéologiques n’ont pas de place dans cette conférence. Nous venons chercher des mécanismes appropriés pour mettre fin à la guerre et jeter les bases d’une paix durable, de la sécurité, et du développement dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Des résolutions et des actes d’engagement vont sortir des travaux de ce forum ».
Tout laisse croire que l’histoire se répète étrangement, quatorze ans plus tard la situation Sociopolitique du Nord-Est du pays est identique à celle de 2008.
Quel espoir peut-on alors placer dans les forums nationaux ? La grâce que l’histoire de notre pays m’a donné de participer aux trois grands forums politiques des trois dernières décennies de notre pays me pousse à émettre quelques considérations. Il s’agit de la Conférence Nationale Souveraine (1991-1992, 2.850 délégués) où j’ai été délégué de la société civile du Nord-Kivu, la Conférence Amani de Goma (janvier 2008, 1.300 délégués) où j’ai participé comme député provincial du Nord-Kivu, et le dialogue national inclusif de la cité de l’Union africaine (2016, 293 délégués) où j’ai siégié en qualité de président du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale MSR et Alliés.
De ces trois forums j’ai retenu qu’ils posent la question du nombre, des catégories et de la qualité des participants, qu’ils engloutissent énormément des moyens financiers et du temps, que la plupart de leurs résolutions restent lettre morte et que les questions de positionnement politique y prennent l’ascendance sur les vrais problèmes du peuple.
Si ces constats sont vérifiables, une table ronde sur l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri peut ne pas paraître opportun.
D’une part, tous les matériaux sont réunis : deux évaluations de l’état de siège par le premier ministre lui-même, deux tables rondes entre le président de la République et les députés nationaux de ces provinces, des propositions bien fouillées des sociétés civiles, et les évaluations des opérations militaires.
Le président de la République pourrait bien mettre en place une commission d’experts issus des institutions publiques et des indépendants pour proposer des mesures d’accompagnement de la levée de l’état d’urgence.
En effet, on pourrait aussi interroger le droit administratif, la levée d’une ordonnance présidentielle, un acte réglementaire, peut-il faire l’objet d’un forum national ou interprovincial ? En lisant les attitudes du président de la République, il a déjà compris que la population des deux provinces sous état de siège n’en veut absolument plus.
Ce qu’il recherche au préalable, à notre sens, ce sont les mesures d’accompagnement car la levée de l’état de siège ne résoudra pas automatiquement les problèmes qui l’ont précédé ou qui sont nés pendant sa mise en vigueur.
Ces mesures peuvent toucher au renforcement des opérations militaires, à la stabilité des institutions provinciales par une trêve politique, à l’équipement de la police et des animateurs des entités territoriales décentralisées, à la cohabitation pacifique des composantes sociales, au redéploiement des FARDC dans les zones dégarnies de ces deux provinces pour des raisons obscures, et surtout à la reconstruction de ces deux provinces par un programme TSHILEJELU 2 / Ituri – Nord-Kivu.
La situation est tellement explosive dans les deux provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri qu’elle nécessite des mesures concrètes à brève échéance qu’un forum national ou interprovincial, complexe dans son organisation, ne saurait offrir en temps voulu.
Par ailleurs, la levée de l’état de siège reste de la seule compétence de l’institution président de la République qui l’a instaurée.
Enfin, l’occupation de la localité de Bunagana a tendance à occulter l’épineuse question des ADF et qui s’enfoncent en profondeur du pays et de CODECO qui causent quotidiennement des morts dans un silence absolu des autorités nationales.
Telle est notre analyse de cette question de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri.