Par Omer Nsongo die Lema, analyste politique.
Inquiets pour leur avenir, les Congolais sont en train de tirer ces derniers temps, avec l’énergie du désespoir, la sonnette d’alarme sur la présence des troupes rwandaises en Centrafrique, comme si le fait est récent. Avant cependant d’aborder le fond du sujet, il est intéressant de le rappeler : la RDC et la RCA ont en partage une frontière de 1.577 km avec pour provinces, côté congolais, le Sud-Ubangi et le Nord-Ubangi dans l’ex-Equateur, le Bas-Uele dans l’ex-Orientale. Or, soit par le biais de l’Onu (contingents rwandais), soit par celui de la coopération bilatérale, le Rwanda s’est déjà implanté aussi au Soudan du Sud (frontalier des provinces de l’Ituri et du Haut-Uélé) et au Congo-Brazzaville (frontalier des provinces de l’Equateur, du Maï-Ndombe, de Kinshasa et du Kongo Central), cela après que son armée est directement ou indirectement opérationnelle au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et au Maniema. Subtile mais pragmatique stratégie encerclement, comme le relève Scooprdc. De quoi, en toute légitimité, susciter panique et colère…
La sonnette d’alarme est justifiée par des évidences ci-après :
– déploiement des troupes rwandaises en RCA dans le cadre de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en République Centrafricaine (Minusca), équivalent de la Monusco ;
– nomination en juin 2021 du rwandais Christophe Bizimungu en qualité de chef de la Police de la même Mission, et
– nomination en février 2022 de la rwandaise Valentine Rugwabiza en qualité de Représentante spéciale du Secrétaire général de l’Onu, donc cheffe de cette mission.
Il est utile de préciser pour l’Histoire que le déploiement du contingent rwandais au sein de la Minusca remonte à 2014.
Dans leur étude intitulée « Le Rwanda et le maintien de la paix : un ancien pays hôte devenu un contributeur de premier plan », Claire Kupper & Virginie Moreau notent ceci : « Le Rwanda, petit pays de 12,7 millions d’habitants, se distingue en tant que contributeur majeur de troupes au maintien de la paix. En juin 2020, il fait partie des trois principaux pays contributeurs après l’Éthiopie et le Bangladesh, avec 6.321 personnels en uniforme déployés dans les opérations de paix (OP), soit la seconde contribution du continent africain après l’Éthiopie. Le Rwanda affiche aussi le nombre de Casques bleus par habitant le plus élevé au monde. Sa contribution n’a cessé de croître depuis 2004, date de sa première participation au Darfour dans le cadre de la Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS). Actuellement, le Rwanda participe à cinq OP : trois comme contributeur de premier plan – au sein de la MINUSS (au Soudan du Sud), de la MINUSCA (en République centrafricaine) et de la MINUAD (au Darfour) – et deux de façon beaucoup plus modeste : au sein de la BINUH (en Haïti) et de la FISNUA (dans la région disputée d’Abiyé, entre le Soudan et le Soudan du Sud) ».
Et de déduire : « En quinze ans, le Rwanda s’est doté d’une doctrine forte du maintien de la paix, sur base de sa propre histoire et en écho aux changements qui se sont opérés dans un pays en pleine reconstruction post-conflit à la suite du génocide de 1994. L’investissement du Rwanda dans les OP onusiennes et la réappropriation des réponses aux enjeux sécuritaires africains par le pays se réclamant du ‘African solutions to African problems’ est le résultat d’une politique volontariste souhaitant visant à reconstruire l’image du pays et de son armée aux niveaux national, régional et international ».
Pour information, les contingents rwandais ont opéré et/ou opèrent dans plusieurs autres pays parmi lesquels le Libéria (Minul), la Côte d’Ivoire (Onuci), le Tchad, Sierra Léone, la Guinée et même Haïti.
A ce stade, on ne peut pas ne pas l’admettre : Kigali a usé de la « victimisation » comme fonds de commerce pour promouvoir et consolider sa diplomatie. Supprimer la menace des FDLR équivaut à un génocide, pardon à un suicide.
Parrain et commanditaire ayant un visage, un nom, une adresse
La question n’est pas de savoir pourquoi la RDC n’en a pas fait autant. Non : Kinshasa n’a pas à s’engager dans pareille concurrence. La question pertinente est plutôt de savoir qu’est-ce que la RDC a fait ou fait pour empêcher le Rwanda de se déployer en Centrafrique et au Soudan du Sud, ses voisins directs ? Encore que dans le cas précis de la RCA, outre les contingents mis à la disposition de la Minusca, Kigali a su récemment placer dans le dispositif sécuritaire centrafricain 2.000 hommes, cela dans le cadre de la coopération militaire bilatérale. Déjà, dans le cadre de la coopération bilatérale, il y a eu rapprochement avec Brazzaville. Le média en ligne Scooprdc sent, sinon voit juste lorsqu’il y trouve un encerclement.
Effectivement, avec le Soudan du Sud, sont concernées les provinces du Haut-Uélé et de l’Ituri. Avec la RCA, celles du Sud-Ubangi, du Nord-Ubangi et du Bas-Uélé. Avec le Congo-Brazzaville, les provinces de l’Equateur, du Maï-Ndombe, Kinshasa et du Kongo Central. Son armée, comme relevé ci-haut, est en guerres cycliques au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et au Maniema.
Pour l’heure, l’Angola, la Zambie, la Tanzanie et le Burundi sont les seuls voisins de la RDC à ne pas avoir des soldats rwandais aux aguets sur la frontière. Personne de sensé ne peut croire le Rwanda capable d’un tel exploit par lui-même ! C’est l’indice de crédibilité que ce pays est un bras séculier. A la fois parrain, son commanditaire a un visage, un nom, une adresse : Washington !
Il est bon – comme le relève Alain Foka et bien d’autres analystes – de souligner que le problème, c’est d’abord le Congolais réputé trop corruptible. Mais, (se) pose-t-on seulement la question élémentaire de savoir pourquoi cette corruption, dont la pire forme n’est pas celle de l’argent qui procure honneurs et biens, mais plutôt de la résignation face à un adversaire, ou plutôt un partenaire convaincu de détenir le droit de vie ou de mort sur la RDC ?
Observons bien la scène politique et sécuritaire rdcongolaise depuis 1960. Quel est ce nationaliste et patriote prêt à défier la Maison-Blanche sans, au mieux, être éliminé de la compétition, au pire de l’espèce humaine même !
Bunagana – par le M23 et le Rwanda interposés – est et reste une interpellation. Et une interpellation ne se banalise pas. De quoi rappeler l’allégorie « Grenier, Rat et Serpent ».