Chercheur et doctorant en Droit public, Me Trésor Lungungu Kidimba n’est pas convaincu de la défense, mieux des explications fournies par le général Jean-Pierre Kasongo du Centre de Kaniama Kasese, au sujet des tortures infligées à une recrue. Pour Me Trésor Lungungu qui est coordonnateur de « Affinités scientifiques Auguste Mampuya Forever (ASAMAF), quelle que soit la faute commise par ce génie civil en formation, la torture telle que constatée dans la vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, n’est pas la sanction indiquée. Il se fonde sur la constitution et certaines lois du pays. Ci-dessous sa réaction :
Alors que l’opinion est scandalisée par la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo dans laquelle on aperçoit un jeune amené à Kaniama Kasese torturé, pour éclairer la communauté tant nationale qu’internationale sur ces faits graves, le général responsable de ce service public, le général Jean-Pierre Kasongo, justifie et défend son institution en disant notamment ceci : « …ils sont dans un centre de formation paramilitaire. Il y a des niveaux de sanctions. Est-ce que ces jeunes, il fallait, dès leurs premiers forfaits, qu’ils soient mis devant la justice militaire ? Non… » Il a même nommé la pratique comme étant une « punition de corps » qui serait de plusieurs ordres pour démontrer qu’ils y ont recours régulièrement contre des débutants.
Dans cet extrait de la tentative de défense effectuée par le général responsable du Service National, il se dégage quelques vérités parmi lesquelles on peut citer :
- Que la vidéo est authentique et que les faits sont vrais ;
- Que le recours à la torture est une politique de l’institution et donc, elle est systématique ;
Mais, est-ce que le fait d’être un service « paramilitaire » ou même « militaire », suffit pour avoir impunément recours à la torture ?
En effet, on peut se permettre de se passer de dresser la liste des engagements internationaux qui lient la RDC dans ce domaine, pour ne citer que la législation congolaise qui est notamment constituée de la Loi n° 11/008 du 09 juillet 2011 portant criminalisation de la torture. L’article 1er de cette loi qui modifie et complète le Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais et qui y insère les articles 48 bis, 48 ter et 48 quater dispose ce qui suit :
« Article 48 bis
Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou toute personne agissant sur son ordre ou son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite, qui aura intentionnellement infligé à une personne une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, aux fins d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, sera puni de cinq à dix ans de servitude pénale principale et d’une amende de cinquante mille francs congolais à cent mille francs congolais. »
La lecture de cette disposition répond à la tentative de défense du responsable du Service National. En effet, tout officier public ou toute personne chargée d’une mission de service public qui aura infligé à une personne une souffrance ou une douleur aiguë, physique ou mentale, aux fins notamment de la punir d’un acte qu’elle aura commis, commettrait l’infraction de torture.
La vidéo à l’origine de la polémique montre que la douleur qui est infligée aux jeunes recrues ou aux débutants à Kaniama Kasese leur inflige une souffrance physique aiguë afin de les punir d’un ou des actes qu’ils auraient commis. Cela rentre bien dans le cadre de la définition de l’article 48 bis du code pénal.
Il convient d’indiquer que cette disposition ne fait aucune distinction entre les fonctionnaires, les officiers publics ni les personnes chargées d’un service public. Il est simplement dit que « tout fonctionnaire ou tout officier… ». Dès lors, aucune excuse ne peut justifier un tel acte qui est d’une cruauté effroyable.
Dans le souci de se défendre, quelqu’un peut chercher à opposer à notre condamnation de cette pratique le fait que cela serait prévu dans un certain règlement du service ayant un caractère « paramilitaire » tant vanté. Mais, non seulement ce règlement ne serait conforme à la loi qui incrimine ce comportement et l’interdit, mais aussi, même si c’était une loi qui l’autorisait, elle allait être contraire à la constitution de la RDC et aux engagements internationaux en la matière. Car, l’article 61 de la constitution de la RDC, qui définit le noyau dure des droits de l’homme, noyau qui est constitué des droits intangibles, dispose qu’ « En aucun cas, et même lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence aura été proclamé conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution, il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux énumérés ci-après : 1. le droit à la vie ; 2. l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; »
Ainsi, en vertu de cette disposition, l’interdiction de la torture fait partie de ces interdictions auxquelles les autorités ne peuvent pas déroger, même pas lorsqu’elles sont en droit d’adopter des mesures exceptionnelles liées à l’état d’urgence ou à l’état de siège.
C’est pourquoi, alors que la soumission à laquelle était contrainte la victime de l’incident objet de la vidéo qui fait scandale en RDC rappelle tristement celle qui avait fait le tour du monde montrant Georges Floyd, citoyen noir américain, être brutalisé par un étouffement du cou pratiqué par des policiers américains blancs, forfait à la suite duquel il était malheureusement décédé ; alors que la vidéo de Kaniama Kasese ressemble nettement à celle de Georges Floyd qui avait ému l’humanité toute entière, certaines âmes trouvent sans gêne que la vidéo de Kiniama Kasese ne devrait pas mériter la même condamnation. Cette scène d’étranglement de Georges Floyd, que le monde entier a condamné, et qui a relancé le mouvement Lives blacks matter, ne serait pas différente de celle qui montre à la face du monde le traitement que l’Administration du Service National fait subir aux jeunes recrus de Kaniama Kasese. En principe, les deux forfaits devraient susciter la même indignation puisque personne n’avait tenu compte du fait que Georges Floyd était interpellé par la police parce qu’il était reproché d’une infraction à la loi. De même, on ne devrait pas mettre en avant le fait commis par la victime de la vidéo pour ignorer la cruauté de l’acte qu’on lui a infligé.
Une autre voix, celle qu’on a l’habitude d’entendre ces derniers temps de la part de quelques robots communicants appelés à tout justifier et à tout défendre, risquera de dire, telle personne n’a pas le droit de dénoncer une telle pratique, parce que sous tel régime, de Mobutu ou de Kabila, cela se faisait.
En fait, non seulement que les ONGs des droits de l’homme qui condamnaient à corps et à cris des violations des droits de l’homme ne peuvent plus le faire aujourd’hui pour des raisons honteuses que tout congolais découvre, mais aussi, il ne faut pas que ceux qui ont critiqué des violations des droits de l’homme, qui ont donné des leçons des droits de l’homme, qui ont promis un paradis des droits de l’homme, soient devenus des défenseurs d’une vision de société dans laquelle la torture serait le moyen de punir les délinquants, celle dans laquelle la torture remplacerait ou s’ajouterait aux peines prévues dans la loi.
Ceux qui ont appelé le monde entier à punir Mobutu et les Kabila sur le fond des accusations, vraies ou fausses des violations des droits de l’homme, refusent à ceux qu’ils critiquaient le droit de leur rendre l’ascenseur, dans une vision manichéiste de la société qu’ils ont inventée, dans laquelle ils seraient des saints et même les violations les plus cruelles devraient être applaudies, tandis que les autres seraient les diables, rien de bon ne pouvant venir d’eux.
Au regard de ce qui précède, Mon général Jean-Pierre Kasongo, votre fameuse punition de corps telle que nous l’avons vu sur la vidéo est constitutive de la torture parce qu’elle inflige une souffrance physique aigue à la victime ; elle est contraire aux lois et aux engagements internationaux. Votre tentative de défense ne suffit pas et ne vous absout pas non plus. Et si, comme vous le dites, cela est une pratique relevant d’une politique de votre institution, elle peut être constitutive, à cause du recours systématique à cette pratique, un crime contre l’humanité. Kaniama Kasese risque de ressembler à la prison de la torture qui est celle de Guatanamo. On ne peut pas interdire à celui au diable qui était critiqué, de critiquer à son tour l’ange qui fait le diable quand il a pris sa place. D’ailleurs, l’ange devrait être gêné et avoir honte de faire la même chose que ce qu’il critiquait.