Après les arrêts controversés du Conseil d’Etat sur les contentieux électoraux pour l’élection des gouverneurs dans les provinces du Maniema, de la Mongala et de la Tshopo, l’opinion nationale et même internationale attendaient avec impatience la décision de la Cour constitutionnelle qui était saisie par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui voulait avoir le cœur net si les nouveaux scrutins pouvaient ou ne pas être organisés dans ces provinces.
Et comme certains observateurs pourraient le pressentir, les arrêts de la haute cour, rendus dans la soirée du vendredi 22 juillet 2022 sont tombés comme un couperet, mieux un game over de ce qui commençait à s’apparenter à un massacre de la démocratie et une euthanasie de l’Etat de droit en RDC.
Sur le plan de l’aperçu général des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle, on peut dire que les choses telles que jugées par le Conseil d’Etat n’ont pas changé pour les provinces de la Tshopo et du Maniema où la Cour Constitutionnelle a jugé irrecevables les requêtes sur les recours à l’élection de Mme Madeleine Nikomba et à l’annulation de l’élection de monsieur Radjabu, respectivement comme gouverneurs de la Tshopo et du Maniema. En réalité, la décision de la haute cour était plus fondée sur le fait que la CENI n’avait pas joint les arrêts du Conseil d’Etat dans les deux dossiers de sa saisine. Ainsi, face à des dossiers incomplets, les hauts juges ne pouvaient que déclarer l’irrecevabilité ces affaires.
Par contre, c’est le dossier de la Mongala qui était complet, avec une copie de l’arrêt du Conseil d’Etat, et qui a permis aux juges de la cour suprême d’administrer une leçon publique de la protection de la Constitution, du respect des règles démocratiques et de la stricte observance des lois de la République.
Ne pas ramener le contentieux des candidatures au contentieux des résultats
La première dérive des juges du Conseil d’Etat était de ramener un contentieux de candidature au niveau du contentieux des résultats. Car en effet, la loi électorale et les directives de la CENI avaient déjà fixé les conditions d’éligibilité des candidats. De sorte qu’après l’organisation des élections, le Conseil d’Etat, qui n’est pas le juge naturel de la validité d’une élection provinciale, ne pouvait pas se substituer à la Cour d’appel de Lisala pour déclarer l’inéligibilité d’un candidat qui avait déjà été déclaré éligible et qui avait régulièrement concouru au vote.
Ce qu’on avait amené comme contentieux au Conseil d’Etat c’était le contentieux des résultats. Le Conseil d’Etat devrait se limiter à la légalité des résultats lui transmis ou en contestation. Au calcul et à l’intégrité des chiffres et non des hommes : première dérive.
L’inviolabilité des articles 5 et 150 de la Constitution
L’article 5 de la Constitution dispose en substance que la souveraineté appartient au peuple congolais qui l’exerce directement par vote électoral ou référendaire et indirectement par la voie de ses représentants.
D’autres parts, la même Constitution dispose en son article 150 que le pouvoir judiciaire doit garantir les libertés individuelles et les droits fondamentaux des citoyens et que les juges ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi.
Mais quand le juge du Conseil d’Etat proclame comme vainqueur un candidat gouverneur qui n’a eu que 6 voix sur 20 au détriment de celui à qui les représentants du souverain primaire ont attribué 13 voix, c’est que réellement l’article 5 de la Constitution est volé. Il y a également violation de la Constitution dans le chef du juge du Conseil d’Etat qui ne s’est pas laissé guider par la disposition de la loi électorale qui exige que pour être proclamé élu gouverneur, un candidat doit recueillir non pas la majorité relative mais la majorité absolue. Or, 6 voix sur 20 votants ne constituent pas la majorité absolue qui est de 11 voix. Là aussi, c’est une violation flagrante de la Constitution (article 150) que les juges de la cour suprême en tant que dernier rempart du bon fonctionnement des institutions ne devraient pas cautionner. C’était la deuxième dérive à anéantir.
Juger les faits et non les rumeurs
La troisième dérive du juge du Conseil d’Etat que les hauts magistrats ont anéantie se situe au niveau de la cible du jugement du Conseil d’Etat. Ces derniers ont considéré que le candidat Cesar Limbaya avait usé des actes de corruption pour obtenir les 13 voix des députés provinciaux. Malheureusement, les juges du Conseil d’Etat n’avaient brandi aucune preuve matérielle et n’avaient dans le dossier aucun procès-verbal d’aveu de l’incriminée ni aucun jugement rendu par le parquet ou la Cour d’appel de Lisala à l’encontre de ce candidat qui pouvait consolider cet arrêt du Conseil d’Etat. Ce dernier a manifestement fait preuve d’un excès de pouvoir que la Cour constitutionnelle ne pouvait pas cautionner. Car dans l’exercice de son action, un juge ne doit juger que les actes, les faits et non pas les intentions.
Les frontières démocratiques à ne pas franchir
Très souvent, on oublie que les juges ne sont pas au-dessus des lois, encore moins de la Constitution. C’est ce que semblent oublier certains juges des instances supérieures et surtout certains analystes peu avertis comme ceux qui ont pensé qu’en anéantissant les arrêts du Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle avait signé un scandale. Loin de là !
À partir du moment où la démocratie est menacée, à partir du moment où la Constitution est malmenée et à partir du moment où un juge, quel qu’il soit, se croit tout permis, la Cour constitutionnelle doit se lever en dernier rempart de la respectabilité, de la crédibilité et de la survie des institutions et donc de la nation.
Il ne faut pas oublier que contrairement aux juges du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation qui sont directement nommés par le Président de la République et qui prêtent serment devant lui, les juges de la Cour constitutionnelle prêtent serment devant la représentation nationale. La Cour constitutionnelle peut anéantir l’applicabilité d’une loi votée par le Parlement. Elle peut anéantir certains actes du président de la République qui est pourtant un élu du suffrage universel direct. À combien plus forte raison les arrêts d’un juge du Conseil d’Etat ! En d’autres termes, le contrôle de la légalité des actes administratifs ne peut se faire qu’en toute légalité, c’est-à-dire en respectant les lois de la République. Considérer que ce contrôle n’a pas de frontières est une dérive que la Cour constitutionnelle a l’obligation constitutionnelle de stopper.
La Constitution et les lois de la République protègent les forts et les faibles
La justice n’est efficace et ne protège l’existence d’une nation que quand elle protège au même degré les forts et les faibles. Aucun Congolais, quelles que soient ses opinions, ne devrait se sentir en insécurité face au juge. C’est pour cette raison que certains observateurs pensent que les juges du Conseil d’Etat auraient pu peut-être annuler les élections des gouverneurs à la Tshopo au lieu de lire les intentions des électeurs dans un scrutin secret. Et qu’il fallait trouver d’autres griefs plus convaincants pour disqualifier le candidat César Limbaya à la Mongala. Mais on a eu l’impression que des jugements mal ficelés ont été rendus par le Conseil d’Etat qui est plutôt une instance de haute facture. C’est une injustice que la Cour constitutionnelle ne pouvait pas couvrir.
Faux jugement contre la Cour constitutionnelle
Ceux qui pensent que la Cour constitutionnelle a signé un scandale en anéantissant les arrêts du Conseil d’Etat n’ont pas raison. Chaque juridiction du sommet de la pyramide juridictionnelle est autonome. Quant à la Cour constitutionnelle, elle est la sentinelle souveraine de l’inviolabilité de la Constitution. Elle se lèvera toujours en dernier rempart chaque fois que la démocratie sera menacée, chaque fois que les institutions de la République seront au bord de la ruine et chaque fois que la nation sera en danger, surtout par le fait d’un juge. Full stop !