Tribune d’Alfred Mote, Analyste politique.
Trois ans après les élections de gouverneurs et vice-gouverneurs qui ont vu venir à la tête de la province du Sankuru Joseph Stéphane Mukumadi, des nouvelles élections de gouverneurs et vice gouverneurs sont prévues le 6 mai 2022 par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à Lusambo, chef-lieu de la province. Treize candidats avec chacun un colistier ont officiellement déposé leurs dossiers au Bureau de réception et traitement des candidatures (BRTC) de la CENI pour ce nouveau rendez-vous électoral qui a vocation à ne plus faire bégayer l’histoire.
Comme en 2019, ils ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas. Lorsqu’ils ont déployé leurs tentacules jusqu’au Sankuru, les fossoyeurs de la province natale de Patrice Emery Lumumba n’ignoraient pas qu’ils jouaient avec le feu. Ils savaient pertinemment qu’ils se comportaient en apprentis-sorciers, prenant le risque d’un enlisement dont le peuple sankurois serait la première victime et le quinquennat du président TSHISEKEDI tout entier paierait les pots cassés. Le Sankuru qui a donné à la RDC ses meilleurs fils comme Patrice Emery Lumumba, Lambert Mende Omalanga, Jules Shungu Wembadio dit Papa Wemba etc. n’aura pas été une proie facile. Les trois ans de gâchis et de reculade sous Mukumadi en disent long.
Lors de la victoire annoncée de Mukumadi sur la liste « Alliance » portée par le député national Lambert Mende en 2019, les cadres de son parti politique, Convention des Congolais Unis (CCU) demandaient déjà à leurs tombeurs : « Contre qui cette machination qui a porté Mukumadi au pouvoir est-elle tournée ? Et qu’est-il advenu des assurances données par ces catilinaires sur le développement du Sankuru ? » Un silence glacial accueillit ces propos de bon sens alors que Mukumadi poursuivi aveuglément la descente aux enfers de la province. Il en fallait sans doute davantage pour lui faire entendre raison. Continuation de la politique par d’autres moyens, l’Assemblée provinciale du Sankuru se chargeât bientôt d’assigner des limites à ce bégaiement mortifère de l’histoire.
Les cadres de la CCU, pourtant, ne sont pas les seuls à avoir mis en garde Mukumadi et ses soutiens. De hauts responsables de l’Union sacrée de la Nation, USN, plate-forme politique du président TSHISEKEDI les avaient aussi prévenus contre le danger de l’ultime transgression, celle qui ferait tout basculer : après le rejet lors de l’élection de gouverneur du projet de société porté par Lambert Mende, le seul qui était à même de sauver le Sankuru en ce temps-là. Ce pronostic réaliste, quelques sommités du pouvoir, peu suspectes de constituer un nouveau soutien à Mende, l’avaient formulé depuis belle lurette. Sauf que pour l’élection de 2022, Lambert Mende n’est pas candidat gouverneur. Qui donc pour gouverner la province du Sankuru ?
Le pouvoir pour le pouvoir
L’emphase délirante dans l’engouement et la multiplicité des candidats pour la course au gouvernorat du Sankuru est inversement proportionnelle à la pertinence des projets pour le développement de celui-ci. Il n’est pas rare que les uns et les autres veulent accéder au pouvoir, comme il y a trois ans, dans le seul but de s’enrichir indûment, de mater les adversaires politiques, de régler les comptes à toute voix dissidente pendant que la doxa monocorde s’empresse évidemment de blanchir les futurs potentats. Certains candidats seraient en proie à une démesure qui les prédisposerait aux agissements les plus criminels. Il ne reste plus à espérer que puisse sortir du lot le candidat ou la candidate gouverneur du Sankuru qui saura rassembler les filles et fils du Sankuru en mettant la priorité sur le développement de cette province martyr des excès , de la démesure et de ses propres turpitudes.
Le fait est que toutes les belles promesses faites aux Sankurois depuis trois ans se sont envolées. Les mirages du nouveau départ et du jargon techno-managérial se sont évanouis. Ne restent que le vide moral et les scandales. Les nouveaux prédateurs venus sous cette coupe ont privé les services publics de la province de milliers de milliards de dollars et sont prêts à revenir le 6 mai sous une autre forme, mais le scandale continue d’être occulté par des fanatiques complaisants et une machine médiatique complice. Comment admettre qu’une infime part de l’élite sankuroise « s’exonère, en cachette, des charges communes et de l’intérêt général » alors que, dans le même temps, elle est prête à arroser de millions des soutiens politiques juste pour le pouvoir et explique in fine au peuple « qu’il n’y a pas d’argent magique » pour les hôpitaux aux abois, qu’il faut se serrer la ceinture ?
A l’heure où les scandales sapent les bases de notre société, l’urgence du moment commande de ne plus faire semblant de rien. Les Sankurois ne sont pas des moins que rien tout juste bons à consommer, à obéir et à se taire. Nombre d’entre eux oppose une résistance farouche à l’apathie que les empires du divertissement s’appliquent à instiller dans leurs esprits. C’est en développant une conscience avertie, libre et humaine, qu’ils pourront s’extraire du défaitisme ambiant et regagner leur souveraineté.
Mais pour que s’accomplisse cette espérance, un chemin tortueux reste à parcourir. L’élection de gouverneur et vice-gouverneur ouvre la voie et nous place devant nos responsabilités : décider de notre destin collectif ou se complaire dans l’effondrement. Alors, quelle que soit l’issue du scrutin, on aura ce qu’on mérite.
Le défi de la stabilité interinstitutionnelle
Au plus fort de la ruée politico-médiatique vers la tenue d’élections de gouverneur et vice-gouverneur, l’on sait reconnaitre ce tintamarre monocorde, proche du bruit blanc, qui assourdit et empêche toute réflexion qui devrait pourtant pousser à une analyse pondérée du contexte de la partie d’échecs qui continuera au-delà des élections, entre l’ Assemblée provinciale et l’ exécutif provincial sur le défis de la stabilité politique des institutions provinciales.
Pendant que les États-majors des partis, plateformes et coalitions politiques s’activent pour la grande explication entre les députés provinciaux du reste frustrés de ne pas recevoir régulièrement leurs indemnités et les différents candidats à divers niveaux, beaucoup se pressent de condamner ce qui apparaît comme un mercantilisme politique des députés provinciaux qui ont, au cours des trois dernières années fait de la survie de gouverneurs à la tête des provinces un fonds de commerce. Ce postulat est vérifiable à bien des égards même au Sankuru. Mais l’immense majorité des commentateurs qui multiplient les explications vaseuses pour tenter d’endiguer ce virus oublient que les prochaines élections de gouverneur et vice-gouverneur ne ramèneront qu’au statu quo qu’on a déploré jusqu’à présent au Sankuru comme ailleurs si l’on adopte pas soit la territoriale des non-originaires, soit le changement des mécanismes de contrôle des exécutifs provinciaux par les Assemblées provinciales, ou carrément retourner à la désignation des commissaires spéciaux comme à l’époque de l’ancien président de la RDC, Joseph Kabila Kabange.
Dans la pratique et comme l’a si bien reconnu Albert Camus, « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ». Idéalismes préfabriqués, manichéisme idéologique, meutes vindicatives, velléités dogmatiques, logique binaire, …tout y est. C’est du moins ce que l’on reconnaît chez nombreux députés provinciaux qui ont décidé de faire des gouverneurs de province leurs proies à tort ou à raison. Nous sommes nombreux à ressentir la même chose aujourd’hui tant l’air est « irrespirable » dans la libre administration des provinces. Le peuple est sommé de prendre parti, sans recul, sans nuance.
Pour l’avoir compris, le président de la République, Félix TSHISEKEDI qui avait, à l’occasion de la huitième Conférence des gouverneurs de provinces tenue à Kinshasa, du 22 au 23 décembre 2021 sur le thème : « La stabilité dans la gouvernance, gage de la réussite du Programme de développement local de 145 territoires et du Programme d’urgence intégré du développement communautaire », a donné le ton en exhortant les participants à réfléchir sur la manière dont les provinces et leurs assemblées doivent travailler en harmonie.
Pour ce faire, le collectif des gouverneurs des provinces, soucieux de la stabilité des institutions provinciales, ont sollicité auprès du Chef de l’Etat la mise en place d’un moratoire suspendant l’usage des motions de défiance et de censure par les assemblées provinciales pour le reste de l’actuelle législature. Cela implique de savoir peser les mots dans le discours politique. Mais aussi, parfois, demeurer muet. Quand la sottise infecte le discours, quand les certitudes étouffent toute parole libre, tenir sa langue est la meilleure des parades. Savoir sortir du fanatisme sanglant car la lucidité est la première loi de l’esprit. Aujourd’hui, c’est chose faite. Une nouvelle histoire va s’écrire avec l’élection de gouverneur et vice-gouverneur au Sankuru et il ne reste plus qu’à espérer que la province ne manque pas son nouveau départ.