Par Barnabé Kikaya Bin Karubi (Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur, Ancien Député, Professeur à l’Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo)
On semble l’oublier. Le monde a perdu le deuxième Secrétaire Général de l’ONU, le suédois Dag Hammarskjöld, l’homme de la diplomatie préventive, en essayant de résoudre l’équation katangaise, dans ce qui est présenté comme un accident d’avion à Ndola en Zambie, alors qu’il se rendait à des négociations de paix avec Moïse Tchombe. Un petit pont lui est dédié sur la rivière Makelele, avenue Mondjiba à Kinshasa.
Nous connaissons tous les ravages causés par la sécession katangaise, celle du Kasaï et la rébellion muleliste des années soixante avec en toile de fond, la guerre froide entre Américains et Soviétiques. Le coup d’Etat de 1965 remet de l’ordre en termes d’unification du pays mais 12 ans plus tard, soit en 1977-78, les deux guerres du Shaba (redevenu Katanga) manquent de faire renaître les sentiments autonomistes de cette province, prélude à une balkanisation certaine du pays et pourquoi pas, par effet de contamination, de l’Afrique toute entière.
J’étais alors étudiant à l’Université de Lubumbashi où il se racontait dans les milieux estudiantins que le Comte Alexandre de Marenches, patron des services secrets français et architecte du “saut de la légion d’élite de l’armée française” sur Kolwezi, aurait déclaré que celui qui contrôlerait le Katanga, dominerait le monde. Il fallait à tout prix barrer la route aux forces du FNLC (Front National de Libération du Congo) de Mbumb Nathanaël réputés prosoviétiques qui tentaient de s’accaparer des richesses du Katanga. D’où le déploiement des forces marocaines et françaises au secours du régime de Kinshasa. Petit épisode dans la course à l’hégémonie mondiale entre les blocs Est et Ouest.
Guerre froide nouvelle formule
Et voici que la nouvelle géopolitique remet le Katanga au centre des convoitises des maîtres du monde. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est ni plus ni moins, qu’une autre guerre froide avec un nouvel acteur : la Chine. Mais cette guerre froide n’aurait pas eu lieu si Washington n’avait pas commis une grosse bavure pour laquelle les Occidentaux veulent trouver en Joseph Kabila Kabange, une victime expiatoire.
Campagne de diversion
Le rapport abusivement intitulé “Congo Hold-up” n’est pas du goût de tous les Occidentaux qui le trouvent non seulement méchant, mais aussi immoral. Le 4 décembre 2021 était la date prévue pour le dernier épisode de la campagne médiatique initiée par European Investigative Collaborations (EIC) pour empêcher en réalité Joseph Kabila et les siens de revenir sur la scène politique. Pendant qu’une opinion friande du sensationnel se délecte des révélations publiées par des médias européens et américains relayés mécaniquement par les médias africains sous la couverture des ONGs occidentales soutenues, elles-mêmes, par des multinationales du même bord, l’opinion avisée s’interroge, elle, sur les motivations réelles de la campagne de diabolisation visant, curieusement, Kabila et la Chine. Plutôt de sensibilisation, c’est une campagne de diversion…
Des faits de la vérité
Le moment est certainement venu de rétablir les faits de la vérité sur le contrat sino-congolais.
Premier fait : en prévision des élections de 2006 précédées du référendum de 2005 – processus financé à 90 % par l’Union européenne – le peuple congolais, privé de coopération structurelle depuis le début des années 1990, reçoit des Occidentaux la promesse ferme du retour de leurs investissements, ce en contrepartie de sa participation massive au scrutin.
Deuxième fait : malgré justement cette participation massive, les investissements promis tardent cependant à venir, et l’Union européenne ne délie ni langue, ni bourse.
Troisième fait : trahi par la non-tenue de ces promesses, Joseph Kabila Kabange adhère à la formule “Infrastructures en échange de l’exploitation minière” proposée par certains pays de la région.
Quatrième fait : la formule est toutefois proposée d’abord aux Occidentaux qui, eux, la trouvent trop risquée pour leurs intérêts. Déformation capitaliste oblige.
Cinquième fait : la Chine accepte de prendre les risques et se lance dans l’aventure.
Voilà l’origine du contrat sino-congolais…
Pierrollo et Kapanga : Cris dans le désert d’Arizona
Plus haut, allusion est faite au refus de certains Occidentaux de voir Joseph Kabila traîné dans la boue, et les ressources naturelles congolaises traitées comme propriété de tout le monde, sauf des Congolais.
Dans un document intitulé “Comment les États-Unis ont perdu du terrain au profit de la Chine dans le concours pour l’énergie propre“, les auteurs engagent la responsabilité directe de Washington dans l’emprise chinoise sur les minerais stratégiques du Katanga, en citant le cas précis de Freeport-McMoran, entreprise minière américaine connue sous la dénomination “Tenke Fungurume Mining“, TFM.
Deux rappels sont utiles
Premier : dans cette joint-venture, la Gécamines avait juste 17 % des parts dans l’actionnariat contre 32 % dans Sicomines, soit 15 % de plus. On n’a jamais entendu les donneurs de leçons actuels dénoncer cette répartition.
Second rappel, les Américains ont vendu TFM aux Chinois.
Rien que l’introduction édifie l’opinion avisée.
En voici l’énoncé : “Comment les États-Unis ont perdu du terrain au profit de la Chine dans le concours pour l’énergie propre. Les Américains n’ont pas réussi à sauvegarder des décennies d’investissements diplomatiques et financiers au Congo, où la plus grande offre mondiale de cobalt est contrôlée par des entreprises chinoises soutenues par Pékin.
Tom Perriello l’a vu venir mais n’a rien pu faire pour l’arrêter. André Kapanga aussi. Malgré des e-mails urgents, des appels téléphoniques et des appels personnels, ils ont vu, impuissants, une entreprise soutenue par le gouvernement chinois prendre possession des Américains de l’une des plus grandes mines de cobalt au monde.
C’était en 2016, et un accord avait été conclu par le géant minier basé en Arizona, Freeport-McMoRan, pour vendre le site, situé en République Démocratique du Congo, qui figure désormais en bonne place dans l’emprise de la Chine sur l’approvisionnement mondial en cobalt. Ce métal fait partie de plusieurs matières premières essentielles nécessaires à la production de batteries de voitures électriques – et est désormais essentiel pour retirer le moteur à combustion et sevrer le monde des combustibles fossiles qui modifient le climat.
Perriello, un diplomate américain de premier plan en Afrique à l’époque, a tiré la sonnette d’alarme au département d’État. M. Kapanga, alors Directeur Général Congolais de la mine, a presque supplié l’ambassadeur américain au Congo d’intercéder.
« C’est une erreur », se souvient M. Kapanga, l’ayant mis en garde, suggérant que les Américains gaspillaient des générations de relations avec le Congo, la source de plus des deux tiers du cobalt mondial. »
Sale temps pour les Occidentaux
Ce document, nous le publions en entier pour comprendre toutes les pressions exercées sur le Président Joseph Kabila Kabange en 2016, alors année électorale. Parmi ces pressions, les sanctions occidentales contre plusieurs personnalités congolaises proches du Chef de l’Etat visées pour des imputations qui n’ont jamais été matériellement ni judiciairement prouvées.
On réalise au moins que les Américains se sont eux-mêmes mis dans de sales draps pour avoir probablement appuyé des Européens – dont les Belges qui passent pour les meilleurs connaisseurs du Congo – dans la phobie développée à l’égard des Chefs d’État congolais au cours de ces 30 dernières années.
Aujourd’hui, force est de constater que les Chinois – présents dans ce pays depuis 1973 à l’initiative du maréchal Mobutu – ont attendu 2008 (soit 35 ans) pour s’intéresser aux mines congolaises en 2008. Et, la première cathode, ils ne l’ont tenue entre les mains qu’en 2015. Soit 42 ans après.
Manono et les Kabila
Croyant détenir le monopole du bon sens, c’est-à-dire de la rationalité, les Occidentaux viennent de se tirer une grosse balle dans le pied avec leur fameux rapport ” Congo Hold Up“.
En effet, l’enjeu que représente le lithium dans la fabrication des voitures électriques ramène le Katanga au-devant de la scène.
Comme par malheur, le lithium de la RDC est certes au Katanga (toujours le Katanga comme pour le cuivre, le cobalt et l’uranium), mais plus précisément à Manono, dans le Tanganyika. Manono, c’est à la fois le territoire et le village des Kabila !
Cela peut bien embarrasser plus d’un, mais le Congo – depuis l’époque coloniale – a cette particularité d’impliquer le leadership local dans la réalisation de tout projet intéressant la communauté.
De ce fait, ignorer les Kabila dans l’exploitation du lithium du Tanganyika, c’est comme ignorer les Tshombe dans l’exploitation du cuivre ou du cobalt au Lualaba ou encore les Tshisekedi dans l’exploitation du diamant au Kasaï.
Quid du Congo courtisé
Dans cette guerre froide d’un genre nouveau, les Occidentaux, eux-mêmes, ont un problème de communion. Washington, Paris et Bruxelles peuvent avoir en commun la phobie kabilienne, mais chacun entend préserver ses intérêts.
Washington continue de présenter la RDC comme son intérêt stratégique en Afrique. Curieusement, c’est de là que vient le plan de démembrement du Congo porté par un certain Peter Pham.
Paris continue de croire dans son droit de préemption obtenu à Berlin. Dans les médias, elle aligne ses ” soldats “. Suivez mon regard.
Bruxelles continue de rêver de sa communauté belgo-congolaise sur le modèle de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, à défaut de refaire le double coup de sécession du Katanga et du Sud-Kasaï.
Mais que fait le Congo courtisé ? Il semble avoir un problème sérieux de choix de partenaire. Le contrat sino-congolais en est l’exemple. Lorsqu’on voit des pays occidentaux tenter de faire le médecin après la mort pendant que des années durant ils ont quasiment laissé la RDC crever, c’est l’indice qu’il y a du bon dans ce contrat qui redonne vie et espoir aux Congolais. Et que quelques ajustements dictés par l’expérience sont utiles pour redresser effectivement le Congo.
Quand on a cette perception réaliste et pragmatique des enjeux, on comprend la mission confiée aux barbouzes d’European Investigative Collaborations (EIC) qui a mené ” gratuitement” ses enquêtes relayées ” gratuitement ” dans des médias auxquels les journalistes d’investigation ont offert ” gratuitement ” leur expertise…