Tiré de Forum des As/José Nawej.
Je suis Wembo Nyama. Jusqu’ici, je considère «Lumumbaville» au mieux comme un surnom et, au pire, comme un sobriquet. Appelez-moi donc toujours Wembo Nyama, alias Lumumbaville. Car, je n’ai rien d’une ville, mais tout d’un village perdu dans ce Sankuru enclavé dans tous les sens du terme.
J’apprends par des «oiseaux migrateurs» que Kinshasa s’apprête à rapatrier, afin de les inhumer avec faste les reliques de Patrice Emery Lumumba à l’occasion du 61ème anniversaire de l’accession du Congo à l’indépendance. J’apprends aussi, par la même voie, que le Roi des Belges qui était attendu à ces funérailles s’est décommandé en raison du… Covid-19.
Je ne suis pas contre que l’on honore enfin le fils de mes entrailles. Mais, quand j’apprends que ces cérémonies vont coûter quelques millions de dollars au Trésor public, mon sang -chaud- tetela ne fait qu’un tour.
Des millions en ce temps de crise ? Corona avec sa troisième vague, Nyiragongo avec ses centaines de milliers de déplacés, sans oublier la sempiternelle misère du peuple, symbolisée par le sachet de la ménagère. Et, last but not least, moi «Lumumbaville» dans tout ça ? Je serai même incapable de suivre les obsèques officielles de mon enfant.
Je n’ai ni pile, ni batterie, ni groupe électrogène, ni portable, ni radio, ni télé. Rien. Absolument rien. Je n’ai que le nom de Lumumbaville que j’ai honte de porter.
Une partie de millions destinés à enterrer en pompe mon fils auraient pu servir à me donner quelques atours d’une ville. Outre-tombe, ce saupoudrage d’urbanité aurait pu mettre du baume au cœur de mon fiston, devenu Héros national. Sans tomber dans la surenchère, c’eût été le summum des hommages au premier Premier ministre de l’histoire du Congo indépendant.
Aux côtés de villes conçues et construites par le colonisateur comme Léopoldville, Elisabethville, Stanleyville, Jadotville…, il y aurait Lumumbaville, symbole de ce dont rêvait son illustre fils lorsqu’il déclara dans son discours historique du 30 juin 1960: «Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté…».
Vu de Wembo Nyama, on est loin, très loin de la prédiction. Débaptisée Lumumbaville le 26 juin 2020, la localité de naissance du plus célèbre des pères de l’indépendance ignore encore jusqu’à l’odeur d’une ville.