Eruption du volcan Nyirangongo : le volcanologue belge Benoît Smets coupe court aux spéculations et dédouane le ministre Mpanda

Depuis l’éruption du volcan Nyirangongo, le samedi 22 mai dernier, beaucoup de choses se racontent et même les inexperts se sont invités au débat pour charger le Gouvernement Sama Lukonde. D’autres sont allés loin pour lancer des boulets rouges sur le ministre de la Recherche scientifique et innovation technologique, José Mpanda, dont dépend l’Observatoire Volcanologique de Goma, structure chargée de surveiller ce volcan de Nyirangongo. Tous reprochent le gouvernement, mieux le ministre de n’avoir pas pris de précautions. Voilà qui lui a valu deux motions d’interpellation à l’Assemblée nationale où il est censé se présenter ce mercredi 2 juin 2021.

Mais  déjà, l’avis de ces inexperts qui ont enflammé les réseaux sociaux, n’est pas celui du grand et célèbre volcanologue belge Benoît Smets qui, techniquement et rationnellement dédouanerait sans le savoir le ministre interpellé à l’Assemblée nationale. Ce qui, honnêtement, s’il n’y a pas acharnement envers ce ministre, peut rendre toutes ces interpellations inopportunes. Ci-dessous l’intégralité de l’interview de ce grand expert en matière de volcans qui séjourne à Goma, accordée à Radio France Internationale (RFI) :

RFI : Benoît Smets bonjour !

Benoît Smets : Bonjour !

RFI : Où en est le volcan Nyirangongo aujourd’hui ?

BS : Il est très calme, il envoie un peu de cendres, il a envoyé son magma un peu en surface au début, puis maintenant en profondeur, voilà la situation maintenant.

RFI : Le magma c’est la lave n’est-ce pas ?

BS : Le magma quand il arrive en surface, on lui donne un autre nom, on l’appelle la lave mais c’est la même chose.

RFI : Il y a eu cette éruption, le 22 mai, que s’est-il passé exactement ?

BS : C’est une grande question, puisqu’en fait le volcan ne nous a absolument pas prévenus. Le volcan Nyirangongo il est particulier puisqu’il a un lac de lave dans son cratère principal et pourra alimenter et pourra alimenter ce lac de lave sous forme d’une chambre magmatique proche de la surface suffisamment importante. Probablement que l’éruption qu’on a eu le 22 mai est liée à cette chambre magmatique très profonde ; et comme elle est proche de la surface, le magma quand il fissure la roche pour atteindre la surface, ça se produit en quelques minutes, en quelques dizaines de minutes maximum. Clairement ici dans le cas d’éruption du 22 mai, il n’y a eu aucun signe nous indiquant que le magma fonçait vers la surface. Et donc, on a été tous surpris par ce qui s’est passé.

RFI : Il n’y avait vraiment aucun signe annonciateur, aucune fumée, aucune secousse, rien du tout ?

BS : non, non, non, rien du tout. L’Observatoire volcanologique de Goma qui s’occupe de la surveillance de ce volcan a un réseau moderne de surveillance avec des sismomètres, des GPS qui mesurent la déformation du sol mais aussi des mesures de gaz qui se font. Et bien, de tous ces paramètres, il n’y avait aucune indication que l’éruption allait se produire.

RFI :  Mais l’Observatoire volcanologique de Goma, l’OVG, n’était-il pas en panne depuis six mois faute de financement ?

BS : ça c’est une information qui a été déformée. Au fait, l’Observatoire avait un projet avec la Banque mondiale qui le finançait sur certaines choses qui s’est juste terminé. Mais c’était prévu qu’il se termine. C’est vrai que l’OVG n’a plus autant d’argent comme quand il avait ce projet là, mais les capacités de surveillance de l’Observatoire ne sont absolument pas en cause au niveau de la détection de cette éruption. Personne n’a pas pu le détecter, c’est allé beaucoup plus vite.

RFI : Mais les instruments n’étaient-ils pas en panne le 22 mai ?

BS : Pas du tout ! Ils fonctionnaient très très bien.

RFI : Ce magma qui se glisse sous le fond du lac, est-ce qu’il peut libérer de gaz toxique à la surface du lac Kivu ?

BS : C’est la grande question. Personne ne sait exactement le fait que ç’a aurait pour penser calculer le volume qui pourrait éventuellement atteindre le lac Kivu. On est en contact avec les spécialistes du lac Kivu qui ont l’air de dire que les chances d’avoir un problème avec le lac Kivu sont très très faibles.

RFI : Est-ce que la catastrophe du lac Nyos au Cameroun en 1986 pourrait se produire ou pas ?

BS : C’est la grande crainte que tout le monde a puisque on pourra avoir peur, mais au moins le lac Nyos s’est stabilisé  parce que la couche dans laquelle sortait le gaz et les émissions a atteint la saturation. Mais ici on a un lac Kivu qui est extrêmement stable où la couche d’eau dans laquelle se trouve le gaz n’est pas du tout à saturation. On est vraiment dans un lac qui est très stratifié, c’est-à-dire que les couches sont  très très bien définies et donc il est stable. C’est déjà quelque chose de très important pour pouvoir le déstabiliser. C’est pour cela que les spécialistes du lac pensent qu’une éruption ne sera pas assez forte pour pouvoir arriver à scénario catastrophe comme il s’est passé au Cameroun avec le lac Nyos.

RFI : La lac Kivu est évidemment beaucoup plus grand et volumineux que le lac Nyos !

BS : Oui, évidemment mais dont les quantités sont extaordinaires.

RFI : Benoît Smets, merci !

Il faut signaler que sur cette question, le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire, Muhindo Nzangi, est aussi intervenu sur RFI. Il a fait le témoignage ci-après : «Moi et le député Muhindo Kasekwa (NDLR : celui qui a interpellé le ministre Mpanda), il y a trois mois, quand nous étions tous députés, lui et moi, on est parti voir le ministre de la Recherche scientifique qui était concerné par cette question pour régler le problème de l’OVG qui était un problème interne, où les agents contestaient leurs responsables. Avec le député Muhindo Kasekwa, nous avons obtenu du ministre Mpanda la nomination d’un nouveau comité de l’OVG qui a organisé les choses. Malgré cette situation, les instruments de surveillance du volcan étaient branchés. Sur le plan technique, l’OVG était connecté à la surveillance du volcan. La question, c’est le comportement du volcan qui n’a pas donné beaucoup de signes annonciateurs. Que ça soit du côté congolais comme du côté rwandais. Comme vous le savez, nous co-surveillons le volcan. Même le côté rwandais n’a pas été capable de faire l’alerte puisque effectivement le volcan a été imprévisible».

  • Bendélé Ekweya té

À ne pas rater

À la une