Réforme électorale en RDC N° 2: Révision de la loi organique de la CENI du 19 avril 2013

(Tribune de Jean Chrysostome Vahamwiti Mukesyayira. Master en gestion du cycle électoral, planification électorale, EFEAC-Kinshasa. Economiste de Développement. Député et Ministre Honoraire)

Problématique

Il y a peu, les Évêques catholiques ont alerté sur le respect de la périodicité de la tenue des élections, et pour le prochain round électoral en 2023. Or, il s’avère cependant que la CENI est en veilleuse tant au niveau de son bureau, de sa plénière ainsi que de ses organes exécutifs à Kinshasa comme en provinces.

Pour relancer le processus électoral en RDC, certaines parties prenantes conditionnent ce redémarrage à la révision de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la CENI qui a connu sa dernière retouche en avril 2013.

Faut-il alors croire que les problèmes posés par l’organisation des élections en RDC sont imputables à cette loi ? Combien de temps prendra sa révision ? Que faut-il revoir dans cette loi qui ne l’a pas été lors des révisions du 28 juillet 2010 et du 19 avril 2013 ? Autant de questions et tant d’autres auxquelles nous tentons d’apporter des réponses .

Bref rappel historique de la CEI/CENI

Pour rappel, la CEI, Commission Électorale Indépendante, a été instituée par une résolution du Dialogue Inter Congolais de Sun City en 2002. Ses premiers membres ont été installés en août 2003 avant même la première loi qui l’a régie le 5 juin 2004. Partant de 2003, la CENI a 18 ans en 2021.

Toujours à titre de  rappel, de son installation en 2003 à ce début 2021, la CENI, devenue CENI en 2010, a été régie par 3 lois organiques : – Loi n° 04/009 du 5 juin 2004 ; – Loi n° 10/013 du 28 juillet 2010 ; – Loi n° 13/012 du 19 avril 2013.

 Qu’est-ce qui a manqué à ces trois lois organiques au vu de différentes recommandations émises par les acteurs impliqués dans le processus électoral congolais ? Il s’observe que certaines de leurs  recommandations, des plus anciennes aux plus récentes, sont soit pertinentes soit  dictées par un positionnement, soit encore dictées par  des émotions que par des considérations et des impératifs techniques.

Proposition de loi Christophe LUTUNDULA

 Ainsi, nous avons opté de considérer la proposition de loi de l’Honorable Christophe LUTUNDULA, déjà déposée à l’Assemblée Nationale, comme base de notre analyse de la loi organique sur la CENI tout en y intégrant les recommandations des autres parties prenantes.

Cette proposition de loi suggère 22 modifications de diverses natures. Notre attention se focalisera sur les plus importantes.

Si la CENI est une institution qui évolue dans le macrocosme institutionnel congolais, avec ses vertus et ses tares, il y a des réformes ou des changements qui dépendent des réformes institutionnelles d’ensemble dans le pays .

On peut ainsi s’appesantir sur des aspects importants sujets à la réforme, aucun d’entre eux ne faisant l’unanimité, celui ayant la meilleure côte ayant obtenu 58 % dans le dépouillement des propositions des acteurs majeurs au processus électoral.

Il s’agit entre autres de : la dépolitisation de la CENI, l’indépendance de la CENI, la suppression de la plénière de la CENI, la décentralisation de la CENI, la légalisation des cadres de concertation, l’audit et le contrôle interne de la CENI, la représentation paritaire des composantes, le nombre des membres de la CENI, la durée du mandat,…

De la dépolitisation de la Ceni

D’entrée de jeu, il n’y aucun doute, que le cri le plus entendu est la dépolitisation de la CENI en marginalisant les représentants des partis politiques .

En scrutant au-delà du slogan, on s’aperçoit que les trois super puissants Présidents qui ont animé la CENI de 2003 a 2021 ont tous été de la société civile, un de l’Eglise Catholique (10 ans)  et deux de l’Eglise Protestante (8 ans). Il apparaît que le pouvoir exercé par ces trois présidents de la société civile a toujours été plus fort que celui  des délégués des partis politiques.

Faut-il en plus rappeler le contexte historique qui a milité pour la présence des composantes et entités prenantes au dialogue inter-congolais de 2002 dans la Commission Électorale Indépendante depuis 2003. Il s’agit principalement de la forte méfiance qui caractérisait l’environnement politique.

Or, au lieu de diminuer cette méfiance, certains problèmes posés par les élections organisées dans les trois cycles électoraux 2006, 2011 et 2018 l’ont plutôt renforcée. Actuellement, aucune composante n’est disposée à être absente  de la CENI.

Par ailleurs, la personnalité d’une personne, son indépendance et sa compétence ne sont  pas fonction de sa composante d’appartenance. De plus en plus, plusieurs prises de position des pasteurs, hommes d’églises et  des organisations de la société civile sur des questions électorales et politiques sont partisanes. La tentative l’année dernière de désignation du nouveau président de la CENI en a été l’illustration la plus fraîche.

Autant que le poste de premier ministre dans un gouvernement a une pondération de 5 ministres, celui de président de la CENI vaut 5 membres. Ainsi la société civile a été présente dans la CEI de 2003, absente dans la CENI de 2011 pour revenir par la loi organique de 2013.

Face à une société civile congolaise divisée en pro-majorité et en pro-opposition, il paraît irréaliste de laisser le bureau de la CENI à la seule société civile et encore moins sa plénière. 

De la composition paritaire de la CENI 

Beaucoup de parties prenantes ont épilogué sur la composition paritaire de la CENI. Au vu des textes,  l’Assemblée Nationale est l’autorité morale de la CENI. S’il n’en est  pas l’ émanation , elle devrait au moins être le reflet de sa configuration avec des concessions quantitatives de la majorité au profit de la société civile et de l’opposition .

Du nombre de membres de la CENI

S’agissant du nombre de membres de la CENI, pour des commissions techniques comme la CENI, il n’est pas pratique d’avoir un nombre très élevé, le gros du travail étant fait par le secrétariat exécutif.

Ainsi de 21 membres en 2004, la CENI est passée, après évaluation,  à 7 membres en 2010, pour se stabiliser actuellement à 13 membres. La répartition de 6 membres pour la majorité, 4 membres pour l’opposition, et 3 membres pour la société civile, pondérée par la présidence à la société civile, semble être une arithmétique équitable et équilibrée. La majorité qui représente 80% de l’Assemblée Nationale n’est représentée à la CENI qu’à 46%, moins que la moitié.

Il est aussi erroné  de croire que les 6 délégués de la majorité votent à la CENI comme les 4 de l’opposition, bien au contraire. Par contre, il est à craindre que les 4 de l’opposition et les 3 de la société civile ne se liguent contre les 6 de la Majorité. Les contre pouvoirs internes sont donc assurés.

De la suppression de la plénière de la CENI

Sur un autre plan, certaines parties prenantes au processus électoral proposent la suppression de l’Assemblée Plénière pour ne maintenir que le bureau de la CENI. L’on devrait se demander pourquoi après évaluation des élections de 2011, la plénière de la CENI qui avait été supprimée dans la loi de 2010 a été restaurée par la loi de 2013. La tendance à la personnalisation du pouvoir par le président de la CENI en cas d’absence  de plénière en est une des raisons. Une plénière de 13 membres avec des attributions spécifiques dans les commissions spéciales serait  une formule opérationnelle dont la plénière est l’instance de décision. Tout laisse croire qu’il faut maintenir la plénière de la CENI.

Du mode de désignation du président de la CENI 

Quant à la question de comment désigner le président de la CENI, certaines alternatives dont proposées. Par les confessions religieuses ? Par toutes les composantes de  la société civile ? Par une élection interne parmi les 13 membres de la CENI une fois entérinés par l’Assemblée Nationale ? Faut-il une présidence rotative de la CENI ?

La réforme n’ayant pas pour objectif de complexifier ce qui est déjà compliqué, nous proposons que le choix du président de la CENI soit laissée aux confessions religieuses à travers des concertations consensuelles. Des choix ou des votes en groupes restreints comme le vote des sénateurs et des gouverneurs des provinces a montré ses limites. Il revient aux confessions religieuses de mériter la confiance des autres composantes.

De la durée du mandat des membres de la CENI 

Il s’avère que le mandat des 6 ans fait consensus car le cycle électoral légal étant de 5 ans, ce délai rend possible l’évaluation du processus électoral et les autres réformes éventuelles à la sixième année.

Du contrôle interne de la CENI 

Quant à la proposition d’une commission permanente d’évaluation et de contrôle, elle n’est autre que l’audit interne au sein de la CENI. Il n’est pas indiqué que ce travail technique soit confiée aux membres de la plénière qui peuvent avoir des connaissances limitées dans le domaine de la gestion. La solution pourrait être d’associer à l’audit interne un cabinet international d’audit recruté par appel à candidatures.

De la légalisation des cadres de concertation

Aussi, il est une bonne recommandation que les cadres de concertation entre la CENI et les parties prenantes soient légalisés dans la loi organique  pour éviter que la CENI ne pilote le processus électoral à solo ou n’organise ces concertations que lorsque cela lui plaint.

De l’indépendance de la CENI 

Il se pose aussi fréquemment la question de l’indépendance de la CENI et de ses membres. Cette indépendance n’est pas le produit des composantes dont sont issus ses membres, mais de son autonomie vis-à-vis  des autres institutions de la République. Or, la CENI est souvent sous le joug du gouvernement qui disponibilise  les moyens financiers à son guise et de la magistrature qui a eu à prendre des décisions iniques mettant la CENI devant des faits accomplis. Il y a à repenser à ce niveau.

Pourquoi invoque-t-on si moins souvent l’expérience électorale de 2006 ? Le parcours des rapports des missions d’observation électorale, tant nationales qu’internationales, les plébiscitent comme les premières élections libres et transparentes en RDC depuis 1965. Elles ont fait de la RDC un modèle électoral en Afrique. Elles ont aussi ouvert  les portes du monde à son président, le regretté  Abbé Apollinaire MaluMalu.

Mais quelle est la CEI qui nous a organisé ces élections de 2006? Une commission électorale composite avec la société civile , les délégués du gouvernement, les délégués des mouvements politico-militaires, et même des milices Mai-Mai. Dans ce pays faut-il continuer à argumenter que seule la société civile peut organiser de bonnes élections ? L’histoire de la CENI congolaise ne le confirme pas.

La problématique de l’indépendance de la CENI est similaire à celle des autres institutions d’appui à la démocratie et de la  magistrature. Les membres de la CENI devront être inamovibles pendant leur mandat de 6 ans comme les magistrats.

De la décentralisation de la CENI 

Une opinion forte considère que la CENI est trop centralisée pour un pays trop grand. A ce sujet la RDC pourrait s’inspirer de l’expérience nigériane qui a décentralisé sa commission électorale, chaque État fédéré disposant de sa propre commission électorale chargée notamment de l’organisation des élections locales. En RDC, cette décentralisation devra être opérationnelle dans un premier temps et non administrative. Ainsi, la centralisation des résultats et le traitement des contentieux électoraux  pourraient se faire au niveau de chacune des 26 provinces excepté pour l’élection présidentielle.

Chaque société mérite ses dirigeants, dit on. Il ne faut pas demander à la CENI ce qui n’existe pas dans la société congolaise. Il ne faut pas non plus multiplier inutilement les critères pour les membres de la CENI. Celles essentielles sont connues : bonne moralité, connaissance des questions électorales, indépendance dans l’exercice de ses fonctions, confiance de la composante qui désigne et l’expérience. Il faut éviter des critères subjectifs ou des réformes trop militantes qui déstabiliseraient  la CENI.

De la procédure de désignation des membres de la CENI 

La procédure de désignation des membres de la CENI est aussi longue, de la composante à la Cour Constitutionnelle en passant par l’Assemblée Nationale. Le consensus doit primer sur cette longue chaîne pour faciliter la mise en place de cette institution.

Par ailleurs, les parties prenantes au processus électoral, assez nombreuses, devront avoir en l’esprit que leurs propositions des réformes sont suggestives, que leurs pensées ne s’imposent pas à la communauté nationale, et que seules celles qui feront objet de consensus au parlement seront appelées réformes.

De la durée de la révision de la loi organique de la CENI 

Quant à la durée de la révision de la loi organique de la CENI, certains experts estiment qu’au vu de l’abondance des propositions existantes, un mois suffirait aux deux chambres.

D’autres experts électoraux estiment par contre que le vrai problème des élections en RDC n’est pas au niveau de la composition tripartite de la CENI mais plutôt au niveau de la loi électorale, des règlements de la CENI et du manuel de transmission des résultats. Les réformes à ces différents maillons réglementaires sont plus significatives que la réforme de la loi organique de la CENI.

Par conséquent,  selon les avis de ces experts, les nouveaux membres de la CENI peuvent être désignés sur base de la loi organique actuelle. Il s’en suivrait la modification de la loi organique sur des aspects non liés à sa composition, de la loi électorale, et des règlements et les manuels des procédures internes à la CENI.

Il revient aux institutions compétentes de lever les meilleures options, à la fois réalistes et pratiques.

  • Bendélé Ekweya té

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