RDC – Réforme électorale n° 1 : Problématique du seuil électoral d’éligibilité ou seuil d’exclusion !

(Tribune de Jean Chrysostome Vahamwiti Mukesyayira. Master en gestion du cycle électoral, planification Electorale/E Kinshasa, Économiste  de développement, Député national et ministre Honoraire)

Faut-il maintenir ou supprimer le seuil de représentativité, une des grandes innovations introduites dans la loi électorale de 2017 ? Telle est la question à laquelle le législateur congolais est appelé à répondre dans la foulée des réformes électorales  urgentes tant attendues.

Selon le professeur Ferdinand Mutombo Kapanga ( EFEAC Kinshasa, 2018), le seuil trouve ses origines en Allemagne dans l’intention de limiter l’élection de petits partis extrémistes de la représentation. Il définit ainsi le seuil électoral d’éligibilité comme le minimum de voix acceptable pour permettre à un parti politique ou une coalition politique d’avoir un représentant au sein d’une assemblée parlementaire. Il est appelé aussi seuil d’exclusion.

Sans chercher à nous plonger dans la théorie du vote, nous nous limitons à circonscrire les motivations de l’introduction du seuil d’exclusion en 2017, et à formuler quelques hypothèses qui pourraient  orienter le débat public et parlementaire sur la question. En effet, aux dialogues politiques inclusifs de la cité de l’Union Africaine et du Centre inter-diocésain de la CENCO (septembre et décembre 2016), l’évaluation du processus électoral, et plus précisément du système électoral congolais a été largement examinée.

Dans sa contribution du 6 septembre 2016, Corneille Nangaa Yobeluo, président de la Ceni, la commission électorale indépendante, a mis à surface une série d’effets pervers et paradoxaux du système électoral congolais, entre autres : (1) l’émiettement de la classe politique, (2) l’augmentation spectaculaire du nombre de partis politiques, (3) la dégradation de l’indice de représentativité, beaucoup d’élus en deçà du  quotient électoral, (4) la sous-représentation de grands partis et surreprésention de petits partis partis au niveau national, (5) la représentation disproportionnelle, des partis avec beaucoup de voix et peu de sièges ou avec peu de voix et plus de sièges, ( 6) le vote de moins en moins politique ne tenant compte d’aucun projet de société, (7) des candidatures fantaisistes, (8) la transhumance politique, (9) des plates-formes politiques sans soubassement idéologique, (10) la volatilité électorale, des voix des députés nationaux non transférées aux candidats présidents de la république de leurs partis ou regroupements politiques, …

S’appropriant ce sombre diagnostic, le législateur congolais a introduit le seuil d’exclusion dans la loi électorale n° 17/013 du 24 décembre 2017 modifiant la loi n° 06/006 du 9 mars 2006 pour réduire ou freiner l’émiettement de la classe politique, réduire le coût des élections par la contactions du nombre des listes électorales,  et favoriser la cohésion gouvernementale.

Après une première expérience d’application du seuil électoral d’éligibilité aux élections législatives nationales et provinciales de 2018, quelles leçons peut on en tirer ?

D’un exercice mental prompt on peut en signaler quelques unes : (1) le regroupement des 600 partis politiques en 77 regroupements politiques par crainte du seuil d’exclusion ; (2) le passage de 108 partis politique représentés à l’Assemblée nationale en 2011 à 37 partis et regroupements politiques en 2018, soit une régression jusqu’au 1/3 ; (3) 15.355 candidats nationaux en 2018 contre  candidats  18.864 en 2011, soit une régression de 3.509 candidatures représentant 18,6%.

Ces résultats sont-ils suffisants pour justifier le seuil d’exclusion de 1% aux législatives nationales et 3% pour les législatives provinciales ? La coalition gouvernementale est-elle plus stable qu’avant 2018 ? Les coûts électoraux liés à l’agrégat listes électorales ont-ils diminué en 2018 toutes choses restant égales par ailleurs ? Comment mettre fin à l’obscurantisme dans le calcul du seuil électoral d’éligibilité ?

A ce dernier sujet de l’obscurantisme, les partis politiques s’en prennent à la Ceni ignorant leur propre responsabilité dans l’observation partisane des élections. Trop peu, alors trop peu de partis politiques sont capables d’assurer la surveillance électorale.  

Tout ce questionnement peut faire l’objet d’un travail de recherche plus systématique. Mais à première vue, peu de choses semblent avoir réellement changé. En effet, il est évident que la propension de chaque congolais à créer son propre parti politique est très vivace, le coût des élections n’a pas baissé en 2018, la transhumance politique s’est accentuée, la coalition gouvernementale reste trop large, plusieurs élus dans les assemblées issues des élections de 2018 sont bien en deçà du quotient électoral,…

Bref, l’expérience du seuil électoral d’éligibilité reste à repenser. Quelles nouvelles pistes d’orientation pourrait explorer le législateur congolais ? Plusieurs alternatives sont possibles :

1) supprimer le seuil électoral d’éligibilité de la loi électorale : le diagnostic ayant prévalu à son introduction a-t-il changé ? Bien sûr que non.  Par exemple , le nombre de partis politiques est passé de 212 en 2006, à 355 en 2011, et à 600 en 2018. Combien seront-ils aux élections de 2023 ? Peut-être 1.000 partis politiques. La classe politique congolaise est généralement opposée à la limitation des partis politiques. Même  le Maréchal Mobutu qui a proposé un multipartisme à trois dans son discours du 24 avril 1990 n’as pas été entendu. Cependant la nécessité de limiter les partis politiques par des mécanismes légaux demeure opportune.

2) augmenter le seuil légal d’éligibilité de 1 à 3 % pour les législatives nationales, et de 3 à 5 % pour les législatives provinciales, et à 10% pour les élections locales tout en légalisant les regroupements politiques. Il est apparu qu’un seuil très faible n’a pas favorisé suffisamment le regroupement des partis politiques. La tendance est plutôt de multiplier la création de petits partis politiques pour les déverser dans des regroupements politiques. Par conséquent,  la prolifération des partis politiques continue.

3) considérer que seuls les partis politiques sont soumis au seuil électoral d’éligibilité et non les regroupements politiques, qui sont par ailleurs exclus du champ d’application de l’actuelle loi portant organisation et fonctionnement des partis politiques . Appliquer, en plus, un seuil d’éligibilité de 3% au niveau national, de 5 % au niveau provincial et de 10% au niveau local. Cette alternative serait la voie légale la plus sûre pour favoriser l’émergence de grands partis politiques nationaux à travers le pays. Ce qui serait fort souhaitable vu la renaissance d’un certain régionalisme politique.

Il revient au législateur congolais de faire le choix entre ces trois alternatives. Cependant, la grande difficulté se situe au fait que les députés  et autres politiciens congolais veulent chacun être chef de parti en créant son propre parti par dislocation ou par dédoublement. Sauront ils être juges et parties. Que la société civile y veille. À suivre !

  • Bendélé Ekweya té

À ne pas rater

À la une