(Tribune de Jean Chrysostome VAHAMWITI MUKESYAYIRA. Master en Gestion du Cycle électoral – Planification électorale, Economiste de Développement, Député National Honoraire, Ministre National Honoraire).
Le cycle électoral parti de la révision de la loi organique de la CENI en 2013 a culminé par l’organisation des scrutins présidentiel, législatifs nationaux et législatifs provinciaux de 2018. Depuis un certain temps, il s’observe un enlisement progressif. La phase électorale d’évaluation et de réforme perdure et retarde les préparatifs des prochaines élections.
Par ailleurs, les parties prenantes majeures au processus électoral congolais qui ont suggéré des réformes électorales de diverses natures s’impatientent. Pour pénétrer ce firmament électoral, nous avons fait l’échographie des propositions des reformes électorales des 12 acteurs majeurs de la scène congolaise spécifiés ci-après :
- CENI : Commission Electorale Nationale Indépendante
- SYMOCEL : Synergie des Missions d’Observation Citoyenne des Elections
- Commission Justice et Paix/Conférence Episcopale Nationale du Congo
- Union Africaine
- SADC : Communauté de Développement de l’Afrique Australe
- PNUD/Consultants : Programme des Nations Unies pour le Développement
- USAID-IFES/Consultants
- Proposition de modification de la loi organique de la CENI de l’Honorable Christophe LUTUNDULA.
- Proposition de modification de la loi électorale des 13 personnalités congolaises
- AETA : Agir pour les Elections Transparentes et Apaisées
- FCC : Front Commun pour le Congo, retraite sur l’évaluation du processus électoral de Mbuela-Hôtel (Novembre 2019).
- NSCC : Nouvelle Société Civile Congolaise
D’un exercice de synthèse des apports de ces différents acteurs, il se dégage 55 propositions des réformes électorales avec des fréquences variées pouvant aller de 1 à 12, le douze représentant le nombre d’acteurs majeurs sélectionnés. La fréquence de chaque recommandation correspond au nombre d’acteurs qui l’ont suggérée. Il ressort que la fréquence la plus élevée est de 7. Ci-dessous le dépouillement des 55 propositions des réformes électorales dégagées qui pourront inspirer le législateur congolais et la CENI. Il est probable que certaines fréquences soient mécaniques et ne reflètent pas nécessairement la pertinence juridique ou la volonté populaire. Néanmoins ce tableau constitue une synthèse non négligeable des réformes électorales tant voulues et attendues en République Démocratique du Congo après les élections de 2018.
N° | RECOMMANDATIONS RECURRENTES | TOTAL (12/12) |
1 | Rationnaliser ou supprimer le seuil de représentativité | 7 |
2 | Revisiter le cadre de gestion du contentieux électoral | 7 |
3 | Renforcer les dispositions légales sur la parité hommes-femmes et sur la représentation de personnes vivant avec handicap | 7 |
4 | Publier la liste de partis et regroupements politiques dans un temps raisonnable avant le dépôt des candidatures | 6 |
5 | Renforcer et améliorer la communication et l’information entre la CENI et les parties prenantes par des concertations régulières, au besoin, les légaliser. | 6 |
6 | Intensifier l’information et l’éducation électorale | 6 |
7 | Encadrer l’utilisation de la machine à voter et authentifier les bulletins de vote qu’elle produit | 5 |
8 | Lever une option sur les élections locales et leur position dans le cycle électoral | 5 |
9 | Dépolitisation de la CENI en la confiant à la seule Société Civile ou en y déléguant des personnalités non membres des partis politiques | 4 |
10 | Représentation égalitaire des composantes dans la CENI | 4 |
11 | Restaurer le deuxième tour à l’élection présidentielle | 4 |
12 | Rendre plus transparent le système d’enregistrement des électeurs | 4 |
13 | Appliquer la loi sur le financement des partis politiques, notamment pour les campagnes électorales | 4 |
14 | Améliorer le système de gestion des résultats électoraux | 4 |
15 | Faire respecter la périodicité des élections | 4 |
16 | Réduire les frais de dépôt des candidatures | 4 |
17 | Constituer le fichier de l’état-civil comme futur base du fichier électoral | 4 |
18 | Définir et encadrer le statut des candidats suppléants | 4 |
19 | Reconnaître le principe de double juridiction sur toute la chaîne du contentieux électoral | 4 |
20 | Définir les droits des témoins et observateurs | 4 |
21 | Former des OPJ spécialisés dans les infractions électorales | 4 |
22 | Revoir la loi sur les manifestations publiques et sur le CSAC | 4 |
23 | Etendre les critères d’inéligibilité des candidats au-delà de seuls mandataires des entreprises publiques ou exiger la mise en disponibilité à tous les candidats fonctionnaires et mandataires publics. | 4 |
24 | Instaurer une candidature à une seule élection directe dans un cycle électoral pour tout citoyen congolais | 3 |
25 | L’accès obligatoire des témoins et observateurs aux P.V de résultats | 3 |
26 | Publier les résultats bureau de vote par bureau de vote et par centre | 3 |
27 | Vote des congolais de l’étranger | 3 |
28 | Instaurer le vote majoritaire | 3 |
29 | Auditer la gestion de la CENI | 3 |
30 | Nécessité d’un chronogramme de la réforme électorale | 3 |
31 | Renforcer l’indépendance des membres de la CENI vis-à-vis de leurs composantes et de tout autre acteur social ou politique. | 3 |
32 | Instaurer une commission de contrôle de la CENI | 3 |
33 | Améliorer la gestion du personnel de la CENI, recrutement, renforcement des capacités et préciser son statut | 3 |
34 | Clarifier les critères d’inéligibilité des candidats ayant été condamnés. | 2 |
35 | Suppression de la Plénière de la CENI comme organe pour ne maintenir que le Bureau | 2 |
36 | Elargir le corps électoral pour l’élection des gouverneurs, vice-gouverneurs et sénateurs | 2 |
37 | Instaurer une programmation du financement des élections | 2 |
38 | Favoriser la médiation électorale dans le règlement des conflits électoraux | 2 |
39 | Vote des militaires et policiers | 2 |
40 | Limiter l’assistance au vote | 2 |
41 | Revoir les attributions des membres du bureau de la CENI | 2 |
42 | Interdire la distribution de l’argent et biens pendant la campagne | 2 |
43 | Numériser les opérations électorales | 2 |
44 | Renforcer les mécanismes de désignation des candidats par les partis politiques. | 2 |
45 | Choisir le président de la CENI en interne entre ses membres. | 2 |
46 | Renforcer la sensibilisation et l’information de la population sur les élections | 1 |
47 | Durcir les conditions du vote par dérogation | 1 |
48 | Publier la feuille de calcul du seuil de représentativité | 1 |
49 | Réconcilier les résultats de la machine à voter et ceux du comptage manuel | 1 |
50 | Démission d’office des membres de la CENI à la fin de leurs mandats | 1 |
51 | Instituer une communauté de lanceurs électoraux d’alertes. | 1 |
52 | Modifier les modes de scrutin et étudier la probabilité d’en combiner certains. | 1 |
53 | Mettre en œuvre un plan de sécurisation du processus électoral. | 1 |
54 | Mettre fin à la cooptation des chefs coutumiers dans les AP | 1 |
55 | Réduire les ETD pour les élections locales. | 1 |
Au vu de ces 55 propositions des reformes électorales, trois schémas de relance du processus électoral après les élections de 2018 sont possibles :
- Procéder aux reformes électorales urgentes avant de relancer le processus électoral. Cette option idéale n’a fait que retarder la préparation des élections du prochain cycle jusqu’à ce jour. Aussi, de part sa nature juridique, toute reforme électorale est un processus lent appelant de larges consultations.
- Procéder à la réforme de la seule loi organique de 2013 sur la CENI. A ce sujet, plusieurs experts électoraux pensent que cela n’est pas la panacée pour des élections réussies en 2023 comme en témoignent les révisions de cette même loi avant les élections de 2011 et en 2013. Malgré ces révisions, le contentieux électoral a augmenté de façon exponentielle. D’aucuns pensent que les véritables enjeux de l’intégrité électorale sont dans l’amendement judicieux de l’actuelle loi électorale et des règlements internes de la CENI. Toute reforme pour la reforme dans la précipitation porterait aussi atteinte aux prochaines élections.
- Procéder à l’installation des membres de la CENI conformément à la Loi organique actuelle et relancer le processus électoral dés maintenant. Cette option, trop peu appréciée de plusieurs parties prenantes est plutôt réaliste car l’opinion publique confond souvent les élections avec le jour des scrutins seulement, alors que c’est un processus à gérer sur 5 ans qui sépare une élection d’une autre. Par conséquent, ses coûts doivent être étalés sur plusieurs exercices budgétaires. Ne pas relancer le processus électoral dès maintenant suppose qu’on adhère à l’hypothèse d’arrêter tous les projets de développement en 2022 et 2023 pour se concentrer uniquement aux élections.
Si nous devrions conclure en quelques mots, nous dirions que les parties prenantes au processus électoral en RDC devraient se débarrasser de certaines appréhensions ou frustrations qui ont suivi les élections de 2018. Certaines reformes proposées, quelque soit leurs fréquences l’ont été sous cette émotion post-électorale de 2018. A deux ans des élections de 2023, certaines considérations sont à revoir ou à réajuster si réellement nous voulons des élections régulières en RDC. Pour éviter le syndrome électoral de 2011, qui a consisté à demander à la CENI d’organiser des élections à moins d’une année, il faut lever des options définitives par rapport à la CENI et aux reformes électorales dès ce début 2021.