Des jeunes juristes épiloguent sur le fondement juridique du «couvre-feu» décrété par le Président de la République

Par Moïse Musangana.

Depuis le 18 décembre 2020, le Président Félix Tshisekedi a décrété un couvre-feu de 21H00 à 5H00 du matin. C’est la mesure phare eu égard à la 2ième phase du Covid-19. Tombant pendant les fêtes de fin d’année, cette mesure a fait grincer les dents parmi la population. A Kinshasa, principalement à Tshangu, des meutes de gens à pied chaque soir, faute de transport, ne s’empêchent de crier leur ras-le-bol sur le chemin de retour, entonnant parfois des chansons hostiles au chef de l’Etat. Cette mesure fait tourner aussi les méninges des intellectuels qui épiloguent sur son fondement juridique. Tout en notant que le couvre-feu est une une restriction de contact humain et une atteinte grave à la liberté de circulation, deux jeunes juristes, purs produits de l’Université Protestante au Congo (UPC), relèvent cependant l’absence d’une loi d’urgence qui laisse le champ libre au président de la République à disposer de l’article 69 de la Constitution qui lui donne des pouvoirs implicites.

En effet, depuis le 18 décembre 2020 à 21H00, les Congolais, singulièrement les Kinois, font de mauvaise fortune bon cœur. Entre 21H00 et 5H00, ils vivent un couvre-feu. Une mesure pour ainsi casser la 2ième vague du Covid-19 annoncée par le Comité Muyembe au vu des statistiques en sa possession. Phare, cette mesure est assortie de bien d’autres, notamment le respect des gestes-barrières, l’interdiction des manifestations publiques et celle de rassemblements de plus de 10 personnes.

Cette situation n’est pas une exclusivité de la RDC. Beaucoup de pays dans le monde ont pris des mesures semblables, voire draconiennes, pour prévenir la contamination à grande échelle de cette pandémie que le monde peine à arrêter. Malgré la solidité de leurs systèmes de santé et la mise sur pied des vaccins dont bénéficient peu à peu leurs populations, les gouvernements occidentaux ont pris des mesures sévères par ces temps de festivités de fin d’année, allant du couvre-feu à la fermeture des commerces non essentiels, des théâtres et des cinémas. En Afrique, à l’instar de la RDC, le Maroc, le Mali et le Congo-Brazza ont décrété le couvre-feu. Sur la rive droite du fleuve Congo, un confinement total a été même décrété le jour de la Noël.   

Comme ailleurs, les Congolais, principalement les Kinois, ne s’empêchent de faire des récriminations. Avec un couvre-feu à partir de 21 heures, ils éprouvent beaucoup de difficultés pour gagner bien avant leurs domiciles, du fait de déficit de transport aggravé par les embouteillages monstres sur toutes les artères. Plus d’autres solutions que d’emprunter «la ligne 11». Des meutes de gens de gens à pied se forment ainsi, extériorisant parfois leur ras-le-bol par des chants hostiles au Président de la République. Des intellectuels ne sont pas aussi en reste. Ils s’interrogent jusqu-au fondement juridique du couvre-feu. Viny Koyagyalo et Magalie Kayaya Musangana, deux juristes sortis de l’UPC tournent leurs méninges au travers d’une réflexion. Prenant en compte tout ce qui a été développé sur la motivation de cette décision,  ils restent cependant sur leur soif quant à la valeur juridique d’un tel acte qui, en principe, viole l’un des droits fondamentaux des citoyens à savoir «la liberté de circuler librement».

A les en croire, le couvre-feu est une exception au principe de circuler librement, garanti aussi bien par des instruments juridiques nationaux qu’internationaux. C’est, par conséquent, une question à ne pas prendre à la légère, et ce de manière isolée. En d’autres termes, sans référence aucune à une loi fixant les modalités d’application de l’Etat d’urgence. En l’absence d’une telle loi, le chef de l’Etat ne se voit-il pas ainsi ouvert un boulevard pour se servir d’une disposition bateau comme l’article 69 de la Constitution qui fait de lui un véritable «Dictateur» au sens romain du terme, dans la mesure où elle lui offre des pouvoirs implicites ? Toutefois, ce vide juridique dans lequel il s’engouffre, n’est pas son fait, mais relève plutôt de la concussion de l’organe législatif qui, apparemment, se déleste de ses attributions constitutionnelles pour se livrer à du théâtre quotidien. Depuis la guéguerre Président de la République-Parlement au sujet de l’Etat d’urgence décrété par le Président de la République  au regard de la 1ère vague du Covid-19, la question de la loi d’urgence a été reléguée aux calendes grecques. Aucun Député national ou Sénateur n’a plus soulevé la question, voire le Gouvernement lui-même.

En France, par exemple, font remarquer Viny Koyagylo et Magalie Kayaya Musangana, il existe une loi d’urgence qui permet de faire face à la pandémie du Covid 19. C’est sur base d’elle que le Gouvernement prend toutes les mesures en lien avec la crise sanitaire. Et chaque fois que le délai prescrit par ladite loi arrive à échéance, le Gouvernement commence d’abord par le prolonger, ce aux termes de la loi, avant de prendre toute autre mesure.

En vertu du principe de Standstill

Aux termes de la Constitution et en vertu du principe de Standstill ou l’effet cliquet, font savoir les deux jeunes juristes, l’Etat ne peut pas réduire les droits et libertés des individus, sauf en cas de nécessité, et ce dans le respect de notre système juridique. Etant une restriction de contact humain et une atteinte grave à la liberté de circulation, le couvre-feu ne peut se concevoir que dans le cadre d’une proclamation préalable de l’Etat d’urgence ou de l’Etat de siège par le Président de la République conformément aux articles 85, 144 et 145 de la Constitution. Il y a aussi l’article 119 à la base de la querelle jadis entre le Président de la République et le Parlement, ce dernier argüant que le premier avait violé la Constitution.

Il est vrai, laissent entendre Viny Koyagylo et Magalie Kayaya Musangana, que depuis décembre 2019, le monde entier est secoué par la crise sanitaire dont les effets collatéraux sont ressentis dans plusieurs pays, et la République démocratique du Congo n’en est pas épargnée. Mais, cela ne doit pas donner lieu à un prétexte pour s’écarter de la norme, surtout

que le Président de la République semble agir de plus en plus au nom de ce vieil adage latin selon lequel  «le salut du peuple est la loi suprême».

En conclusion, les deux juristes sont d’avis que «si la Constitution fait du Président de la République un Dictateur au sens romain du terme, cette dictature se veut cependant civilisée et doit s’exercer dans le strict respect de ses dispositions dont le Président de la République est le seul garant. Ainsi, pour éviter de porter atteinte à la Constitution, il faudrait, à l’instar de la France, que le législateur congolais élabore une loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, loi sur base de laquelle le pouvoir exécutif pourrait prendre des mesures de police, même en l’absence de proclamation de l’Etat d’urgence ou de l’Etat de siège».

  • Bendélé Ekweya té

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