Regards croisés sur les consultations populaires et nationales de 1990 et de 2020 en RDC : L’histoire se répétera-t-elle ?

Tribune de Jean-Chrysostome VAHAMWITI

Les consultations sont-elles l’expression des crises électorales et de légitimité ? L’histoire se répétera-t-elle ? A travers une analyse purement historico-comparative, nous tentons de répondre à cette question pertinente .

Si l’histoire politique congolaise est jalonnée d’une vague de tables rondes, dialogues, conférences, concertations qui ont été des instances bilatérales ou multilatérales entre belges et congolais ou entre parties congolaises seulement, il se dégage qu’elle a connu quelques consultations populaires .

Au lendemain du coup d’Etat du 24 novembre 1965 le Lieutenant-Colonel Joseph Désiré Mobutu entreprend une tournée à travers un grand CONGO en décomposition. La provincette du Nord-Kivu en proie à des territoires contestés et à des conflits inter-ethniques sera la première étape. Au bout de cette tournée qui n’était pas moins une consultation populaire, se boucla par l’idée de rassembler les congolais dans un seul mouvement.

Cependant les historiens politiques reviennent plus sur les consultations menées par le Maréchal Mobutu au premier trimestre de 1990 et clôturées par son discours historique du 24 avril 1990. Formellement, on peut considérer les consultations menées ce mois de novembre 2020 par le Président Félix Tshisekedi comme les suivantes.

Nos regards croisés tentent de comparer les deux grandes consultations des trente dernières années de l’histoire de la RDC. Les indicateurs de notre comparaison portent sur l’environnement électoral et politique, leur objet, la population cible, leur méthodologie, leurs résultats et leur impact sur les institutions nationales.

L’environnement électoral et politique. 

Les consultations de 1990 se déroulent à une période préélectorale car en 1991 prenait fin le troisième septennat du Maréchal Mobutu (1970/1977; 1977/1984; 1984/1991) et à deux ans de la fin du mandat de la dernière législature du règne de Mobutu (1987-1992).

Au plan interne, après 25 ans de règne de Mobutu, il est sérieusement contesté notamment par les Évêques Catholiques menés par Mgr Monsengwo, archevêque de Kisangani, l’ordre de médecins guide par Dr Numbi et la Solidarité Paysanne menée par Pierre Lumbi.

Au plan international, la guerre froide entre les USA et l’URSS prenait fin et les occidentaux, partenaires inconditionnels au régime de Mobutu lui exigeaient l’ouverture démocratique et le respect des droits de l’homme .

Par contre les consultations nationales de novembre 2020 s’inscrivent dans une période post-électorale qui a dicté un gouvernement de coalition entre le FCC de Joseph Kabila et le CACH de Félix Tshisekedi. D’un autre côté, certains acteurs politiques et une certaine opinion nationale continuent à réclamer la vérité des urnes et pensent à une crise de légitimité des institutions issues des élections de 2018.

Objet des consultations.

En initiant les consultations populaires de 1990, le Maréchal Mobutu invitait les forces vives de la nation à se prononcer sur le fonctionnement des institutions de la République. Son objectif était de changer le système politique par l’introduction du multipartisme et l’inauguration de la troisième république.

Que dire des consultations nationales de 2020 ? Elle visent la création d’une nouvelle coalition qui s’appellerait «Union sacrée» (créée autour de l’UDPS en 1991 à la veille de la Conférence nationale). Elles recherchent la requalification de la majorité à l’Assemblée Nationale. Elles sont restrictives et ne s’interrogent pas sur les instituions de la République dont la nature serait pourtant une cause majeure de la crise politique actuelle, bien sûr à côté de la nature des hommes politiques congolais caractérisés par la transhumance depuis la création de l’union sacrée. En effet, les actionnaires de l’Union sacrée de 1991 abandonnera Etienne Tshisekedi pour rejoindre le Maréchal Mobutu autour de l’appât Primature et postes ministériels.  

Populations cibles des consultations.

Initiées dans un cadre d’un parti politique unique ,  le MPR, les consultations populaires de 1990 ont visé plus les forces de la nation que les acteurs politiques. Le Maréchal Mobutu a fait le tour des chefs lieux des onze provinces pour les écouter.

Les consultations nationales de 2020 organisés dans un contexte multipartiste visent en réalité les forces politiques et principalement les députés nationaux car le véritable enjeu est la majorité parlementaire. La consultation des forces vives n’est que stratégique et un simple lubrifiant. A notre avis, cette consultation des forces vives mérite une deuxième session car après trois cycles électoraux à caractéristiques multiples, le peuple congolais doit s’interroger sur la constitution de 2006 pour ouvrir la voie à la quatrième république.

Résultats des consultations.

Les consultations populaires de 1990 ont conduit le Maréchal Mobutu à mettre fin au MPR, parti-État pour un multipartisme à trois puis intégral, à ouvrir une transition d’une année, à déclarer le gouvernement Kengo wa Ndondo démissionnaire, à la révision constitutionnelle par le Conseil législatif (Parlement). Cependant, la boîte à pandore ouverte par Mobutu déborda sur une conférence nationale de 17 mois (Août 1991- Décembre 1992) et à une transition complexe jusqu’à la guerre de l’AFDL et à la fuite de Mobutu le 17 mai 1997.

Sans être dans le secret du roi, on peut présager que ces consultations de 2020 cherchent une reconfiguration de la majorité à l’Assemblée Nationale et la formation d’un nouveau gouvernement. Ces résultats concernent la gouvernance quotidienne et non la refondation du système institutionnel congolais, peut-être tout au plus les réformes électorales car apparemment le combat politique actuel vise le contrôle par un camp ou un autre de principales institutions du pays : gouvernement, Cour Constitutionnelle, Conseil d’Etat, CENI, Banque centrale et finances, et paraît il même la FEC, le syndicat patronal.

Impact des consultations sur la nature des institutions nationales. 

Les consultations nationales de l’année 1990 ont eu un impact considérable sur le fonctionnement des institutions nationales. Elles nous ont laissé le multipartisme dont nous sommes jaloux aujourd’hui. Cependant, le souci de Mobutu de vouloir contrôler la suite des événements en minimisant certains avis importants de l’USORAL (Union Sacrée de l’Opposition Radicale et Alliés) a conduit à la révocation du Premier ministre Etienne Tshisekedi et à l’échec de la Conférence Nationale Souveraine qui l’avait élu, aux pillages du patrimoine économique et au recours à la lutte armée par l’AFDL.

Quant aux consultations nationales de 2020, elles ont des ambitions très modestes qui visent seulement le changement des acteurs de certaines institutions sans aucun apport sur des problématiques traditionnelles et profondes de la RDC comme la nature du régime politique, le système électoral, la forme de l’Etat, la décentralisation, la nature des institutions provinciales, le statut de l’opposition, l’indépendance de la magistrature, …Il est à craindre que les consultations de 2020 se limitent à gérer les conséquences que gérer les causes des crises institutionnelles congolaises.

En conclusion, peut-on affirmer que les consultations nationales en RDC sont des exutoires des crises électorales ? Il y a lieu de l’affirmer car les consultations de 1990 étaient des réglages pré-électoraux pour les élections présidentielles de 1991. Un multipartisme à trois : MPR fait privé, FCN/Front Commun des Nationalistes de Madungu Bulanyatsi et l’UDPS de Etienne Tshisekedi. En contrôlant les deux premiers partis, le Maréchal Mobutu espérait l’emporter. Le cours des événements ne lui donna pas raison car le multipartisme intégral s’imposa et tout le désordre qui s’en ensuivit. 

Les consultations nationales de cette année 2020 sont quant à elle une tentative de gestion d’une crise post-électorale : contentieux électoral dense et président de la République sans majorité parlementaire. Peut-on résoudre cette crise profonde par des exercices mécaniques sans toucher à la nature du régime politique et par conséquent à la constitution comme toutes les Républiques ont évolué suite à des crises institutionnelles gérées positivement ?

Il appert donc que chaque fois que le peuple pense qu’on parle de lui, il s’en suit crise politique, économique et sociale à répétition. Et de conclure en rendant hommage au Professeur Kabuya Lumuya dont les obsèques se préparent présentement qui, à travers son séminaire d’introduction à l’analyse de l’environnement électoral à l’EFEAC, pose la question de qui peut parler au nom du peuple. Nous le citons : «Les slogans populistes peuple, populaire, national, nation ou masses populaires n’ont d’autre sens que celui de mieux dissimuler leurs tendances dictatoriales et la personnalisation au profit des fondateurs (des partis politiques) baptisés pompeusement Autorités Morales». Et dans cette optique il ne cessait de nous répéter au cours de ce séminaire qu’un parti politique ne peut pas parler au nom du peuple mais plutôt au nom de ses militants. Donc consultations populaires, consultations nationales sans consensus national global ne pourront qu’exacerber la crise sociopolitique et faire le lit d’une nouvelle crise électorale de plus en 2023. Sans consensus national , le peuple n’a jamais trouvé son compte dans ce pays, Sun City est le dernier exemple positif inclusif avec le dialogue intercongolais.

  • Bendélé Ekweya té

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