(Tribune de Me KIBUKA KIA KIESE Raphaël. Député National MLC)
Depuis quelque temps circule dans les réseaux sociaux un audio sur la conversation entre l’Honorable Lambert MENDE OMALANGA, député élu du Sankuru, et Monsieur MBAKI MASANGA désormais cadre radié du parti politique dirigé par le premier cité, la Convention des Congolais Unis (CCU). Dans cette conversation à bâtons rompus dont l’authenticité a été confirmée par Lambert Mende lui-même, on entend l’ancien et inamovible porte-parole de trois gouvernements successifs sous Joseph Kabila – reconnaissable au timbre de sa voix et à son expression aisée – reprocher à celui qui apparaît comme son obligé (à en croire ses répliques obséquieuses) d’avoir engagé la CCU à son insu dans une procédure de « prise à partie » intentée par quelques députés nationaux à l’encontre de 5 juges de la Cour Constitutionnelle. L’Honorable Lambert MENDE se plaint en sus d’avoir subi les foudres de l’autorité morale du Front Commun pour le Congo (FCC) et déclare avoir peur de donner l’impression de retourner sa veste au bénéfice du Cap pour le Changement (CACH) du Président de la République.
Le fait d’engager sans titre ni mandat les instances dirigeantes d’un parti politique dans un positionnement dicté par les circonstances est une attitude blâmable en soi et nul n’aurait reproché à l’élu du Sankuru de s’en être offusqué, s’il n’y avait un détail malencontreux et scandaleux. En effet, dans la foulée des mots qui émaillent son propos courroucé, on entend clairement et distinctement Lambert MENDE présenter les cinq juges de la Cour Constitutionnelle visés par la procédure de « prise à partie » comme des juges proches de l’ancien Président de la République, Joseph KABILA. Par ce fait, Lambert MENDE divulgue ce qui n’était déjà qu’un secret de polichinelle dans le microcosme politique congolais et dont moi-même (26.802 voix, invalidé injustement au profit d’une personne ayant obtenu moins de 1000 voix lors des élections de décembre 2018 ) et l’opposition dans l’ensemble, avons payé un lourd tribut à l’occasion des contentieux électoraux de ces deux décennies et d’autres affaires empreintes de sensibilité politique.
En exprimant sans scrupule et sans crainte d’un risque de confiscation de la Cour Constitutionnelle des mains de la famille politique de l’ancien Chef de l’Etat au profit de celle de son successeur, l’ancien porte-parole du gouvernement alimente le courroux et le désespoir de l’opinion, échaudée par le souvenir des décisions partisanes rendues par cette prestigieuse juridiction. En plus, il jette un discrédit supplémentaire sur les réformes de la justice portées par la majorité parlementaire pilotée de main de maître par l’ancien Président de la République et qui font craindre le maintien de la mainmise de la famille politique de ce dernier sur l’appareil judiciaire, en prévision des soubresauts de la vie politique en cours et des échéances électorales à venir.
Dans ces conditions de caporalisation des juges de la Cour Constitutionnelle, est-il permis de se reposer sur l’autorité des décisions de cette juridiction et, plus généralement, quelle crédibilité doit-on attacher à l’idée d’une réforme de la justice portée par le FCC ?
- Quelle justice constitutionnelle et électorale par des juges politisés ?
Si l’installation de la Cour Constitutionnelle a été saluée comme l’avènement d’un Etat de droit et d’un nouveau pilier de la démocratie, il faut se rendre à l’évidence que pour l’indépendance et l’impartialité de ses acteurs, les juges, cette cour connaît toujours un retard à l’allumage. Depuis sa mise en œuvre, la haute juridiction fait l’objet, à juste titre, de tirs croisés venant de toutes parts. Du contentieux de l’élection présidentielle de 2006, 2011 à celle de 2018, en passant par certaines dates importantes de sa jeune existence (validation de la nomination des Commissaires Spéciaux à la tête des provinces en 2015, avis en faveur de la prorogation du mandat du Président de la République pour cause de non-convocation du corps électoral en 2016, l’exclusion de Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzitu à la Présidentielle de 2018), les juges de la Cour Constitutionnelle n’ont pas collectivement su trouver les ressources intellectuelles pour se démarquer de l’agenda des politiques afin de conquérir leurs lettres de noblesse. Ils ont plutôt brillamment réussi à se mettre à dos tant les experts que l’opinion, sur fond de la critique bien justifiée selon laquelle ils ne servaient que de caisse de résonance de la volonté politique d’une famille politique dans ce que celle-ci a montré de vénal sur le terrain politique : le désir de durer à tout prix, manié avec une dextérité rare, alliant la transhumance, l’affaiblissement des adversaires ou, le cas échéant, leur exclusion pure et simple de la vie politique.
Au sujet du dernier aspect évoqué ci-dessus, il n’est pas excessif d’affirmer que la Cour Constitutionnelle a administré à la face du monde la preuve de son extrême partialité, en validant et en invalidant vaille que vaille, de façon grotesque, les requérants au contentieux de son prétoire. De l’avis éclairé de nombreux observateurs, la caporalisation de la Cour Constitutionnelle l’a été à ce point ostensible que beaucoup n’hésitent, non sans raison, à lui imputer la responsabilité de l’existence d’une majorité parlementaire factice et vaporeuse à l’Assemblée Nationale , sans rapport avec la volonté populaire telle qu’exprimée dans les urnes et telle qu’elle continue de s’exprimer de façon informelle depuis la pantalonnade électorale de 2018 et celles qui l’ont précédée.
Pourtant, l’équation du redressement de la R.D. Congo n’est pas de plus compliquée. Elle se décline dans cette assertion banale : aussi longtemps que le pouvoir judiciaire, en l’occurrence la Cour Constitutionnelle, servira de béquilles à la conquête et à la préservation du pouvoir au mépris de la réalité du suffrage populaire (jouant ainsi sa partition de concert avec les autres leviers de la perpétration de l’arbitraire que sont la CENI et certaines institutions…), le pays ne réussira jamais à se doter d’institutions et d’acteurs politiques fiables, et donc dédiées à la cause du bien-être de la population. Dans la perspective du réarmement éthique de la vie politique, il est crucial que l’arbitrage de la Cour Constitutionnelle, acteur central de la justice constitutionnelle et électorale, reste à l’abri de tout soupçon de partialité tel que révélé au grand jour par Lambert Mende. Non sans raison, car de cet incident, on peut aisément inférer que la volonté de réformer la justice récemment portée dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale à la faveur de trois propositions de lois initiées par deux élus de la majorité parlementaire, les conditions rocambolesques dans lesquelles ces trois propositions de lois ont été alignées, les manœuvres dolosives utilisées pour transmettre à la représentation nationale l’avis du gouvernement sur lesdites propositions de lois, sont de nature à créditer la majorité acquise à l’ancien Président de la République du désir inextinguible de maintenir son étau sur l’appareil judiciaire, en particulier sur la Cour Constitutionnelle, épicentre d’innombrables enjeux politiques.
- Un motif supplémentaire de suspicion sur la volonté de réformer la justice au forceps.
L’actualité politique des mois passés a été dominée entre autres par le feuilleton relatif aux trois propositions de lois susmentionnées, destinées à opérer d’importantes réformes sur le fonctionnement de la justice, notamment sur la chaîne pénale sous l’instigation du parquet, sur le régime disciplinaire des magistrats et sur l’exercice de l’autorité du Conseil supérieur de la magistrature dans son rapport avec le ministre de tutelle. On a assisté à l’occasion à la levée de boucliers dans les états-majors des partis politiques, dans le camp des organisations de la société et surtout dans les corporations syndicales des magistrats, qui se sont dressés comme un seul homme contre trois propositions de lois perçues comme attentatoires à l’indépendance des magistrats du parquet sous couvert d’amélioration du fonctionnement de l’institution judiciaire. Aux récriminations de ces différents opposants aux trois propositions de lois, les partisans de la réforme, à commencer par ses initiateurs, se sont évertués à expliquer, à grand renfort d’exemples tirés pèle-mêle de législations étrangères, que les propositions de lois contestées n’énervaient en rien les prescrits de la Constitution en la matière et que l’indépendance de la magistrature resterait sauve en tout état de cause.
Il n’existe assurément pas de rapport étroit entre la volonté de réformer la justice en marche forcée et les révélations de Lambert Mende. Il existe cependant une relation intrinsèque et elle réside dans l’intention des réformistes de permettre au ministre de la justice d’interférer dans la gestion de la carrière des magistrats, de manière à lui accorder les coudées franches dans la nomination des magistrats partisans et donc susceptibles de répondre en temps opportun aux exigences de la carrière politique des gouvernants. En d’autres termes, les propositions de lois mises en cause sont susceptibles de générer des terreaux d’émergence de castes politiques au sein de l’ensemble de l’institution judiciaire, comme il en existe déjà à la Cour Constitutionnelle, de l’aveu même du collègue Lambert Mende.
Au regard de cet état de choses, il évident que le Président de la République, Chef de l’Etat, garant du fonctionnement régulier des Institutions et de l’indépendance de la magistrature, prenne toute la mesure de la gravité des propos de Lambert Mende et pose des actes de son office au plan de la responsabilité politique. Plus importante encore sera la réaction qu’on est en droit d’attendre et d’espérer du pouvoir judiciaire, touché au plus haut niveau de son édifice par des révélations qui évanouissent sa crédibilité déjà amenuisée aux yeux des justiciables et des partenaires de la R.D. Congo. Le pire serait, en effet, de laisser couler dans le flot des événements politiques quotidiens une situation qui, sans abus de langage, constitue une véritable affaire d’Etat.