Tiré du Magazine Jeune Afrique.
Polémique à la Ceni, réforme judiciaire, condamnation de Vital Kamerhe, dissensions avec le CACH de Félix Tshisekedi… Néhémie Mwilanya Wilondja, l’influent coordonnateur du Front commun pour le Congo (FCC), répond en exclusivité aux questions de JA.
Discret dans les médias, Néhémie Mwilanya Wilondja est un homme incontournable à Kinshasa. Devenu coordonnateur du Front commun pour le Congo (FCC), il n’a rien perdu de l’influence et de la froide réserve qui le caractérisaient à l’époque où il était le puissant directeur de cabinet du président Kabila.
Il a néanmoins accepté de se confier à Jeune Afrique pour évoquer les tensions qui secouent la coalition unissant le FCC et Cap pour le changement (CACH, du président Félix Tshisekedi), mais aussi la réforme controversée du système judiciaire, qui a conduit le 27 juin à la brève interpellation du ministre de la Justice, Célestin Tunda Ya Kasende, et surtout la polémique qui entoure le choix du nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Sûr de sa force et de celle du FCC, Néhémie Mwilanya Wilondja n’hésite pas à mettre ses partenaires politiques en garde.
Jeune Afrique : Le 2 juillet, l’Assemblée nationale, au sein de laquelle le FCC est majoritaire, a confirmé Ronsard Malonda à la tête de la commission électorale, mais cela fait toujours débat, compte tenu notamment du rôle que ce dernier a joué lors des scrutins de décembre 2018. Ne fallait-il pas opter pour une personnalité plus consensuelle ?
Néhémie Mwilanya Wilondja : Selon la Constitution, ce sont les confessions religieuses et la société civile qui choisissent le président de la CENI. Je n’ai donc pas à porter de jugement de valeur sur telle ou telle personne. Pour le reste, je peux comprendre que certains aient des interrogations, mais je ne comprends pas que les forces politiques s’invitent dans un débat qui ne les concerne pas, alors même que jamais elles ne permettraient à la société civile et aux confessions religieuses de se mêler par exemple du choix de leurs représentants au sein de la commission électorale.
Ne fallait-il pas réformer la Ceni avant de désigner ses membres ?
D’une manière générale, le FCC a toujours dit qu’il fallait réformer ce pays, et cela nous a même été reproché ! En ce qui nous concerne, nous ne ferons jamais obstruction au débat démocratique et je voudrais ici mettre en garde ceux qui manœuvrent avec l’objectif non avoué de retarder les scrutins de 2023.
Préparer des élections, cela demande du temps. Il faut mettre en place la Ceni, enrôler les électeurs, planifier les opérations préélectorales et électorales, etc. Nous sommes déjà mi-2020 et certains essaient de jouer la montre. Peut-être même essaient-ils de jouer les prolongations. Il ne faut pas nous laisser distraire. Nous avons des acquis – la régularité du processus électoral, l’alternance – que nous ne devons pas perdre. Les institutions doivent organiser leur agenda de manière à ce que le calendrier soit respecté. Et la question qu’il faut se poser, c’est à qui profiterait un report ?
Le FCC est actuellement un allié du CACH, mais il a menacé de remettre en cause cet état de fait et d’imposer une cohabitation au chef de l’État.
Cette menace peut-elle être mise à exécution ?
Compte tenu des résultats des dernières élections, nous aurions d’emblée pu lui imposer une cohabitation, mais nous ne l’avons pas fait. Nous avons choisi de donner une chance à la stabilité du pays, au dialogue entre les partenaires politiques et à un fonctionnement harmonieux des institutions. Nous ne le regrettons pas. Nous avons le soucis de l’intérêt général et nous quitterons la coalition que si on nous y contraint.
Quelle est, pour le FCC, la ligne à ne pas franchir ?
Il n’y a pas à chercher loin : regardez ceux qui sont en train de poser des actes incompatibles avec l’esprit de notre coalition. On reconnaît l’arbre à ses fruits et, si besoin, nous prendrons le peuple à témoin ! Félix Tshisekedi et son prédécesseur, Joseph Kabila, se sont vus le 2 juillet, mais cela n’a pas suffi à apaiser les tensions.
Est-il juste de dire qu’ils ne sont pas parvenus à s’entendre ?
N’allons pas trop vite en besogne. Il se sont vus, ils se sont parlés et ils ont défini un agenda. Si celui-ci est court-circuité, ce n’est pas de leur fait, mais parce que certains n’adhèrent pas à leur vision.
Vous semblez désigner des personnalités extérieures au FCC. Pourtant, Emmanuel Ramazani Shadary et le ministre de la Justice Tunda Ya Kasende, qui appartiennent tous deux au FCC, ont publiquement affirmé être à l’origine de la procédure qui a conduit en prison Vital Kamerhe, l’ex-directeur de cabinet du président…
C’est un processus institutionnel qui a conduit à ce procès. Un jour, constatant qu’il y avait un fossé entre les montants décaissés et les travaux réalisés, le gouvernement s’est réuni, un débat a eu lieu en conseil des ministres et le ministre de la Justice a demandé au Parquet de se saisir du dossier, ce qui est dans ses attributions. C’est la preuve que le FCC est attaché à la lutte contre la corruption et le détournement de deniers publics.
La condamnation de Kamerhe signe-t-elle la fin de l’impunité ?
Il faut rester lucide. La lutte contre la corruption est un processus qui prend du temps. Sous la présidence de Joseph Kabila déjà, des ministres avaient été révoqués et d’autres avaient été condamnés et ont purgé leur peine. Nous avions un conseiller spécial en charge de la lutte contre la corruption, nous avions adhéré à toutes les conventions internationales en la matière. Donc bien sûr que le FCC soutient la lutte contre la corruption. Mais il faut éviter que des petits malins s’en servent pour régler leurs comptes. La justice doit être ni influencée ni manipulée. Il arrive que les individus partent, mais les institutions restent. Notre coalition perdurera tant que la volonté politique sera là.
Le 30 juin, dans son discours à la Nation, le chef de l’État a formulé une mise en garde très claire à l’égard de ses partenaires, affirmant qu’« aucune majorité politique ou parlementaire ne peut outrepasser les principes fondateurs de la République ». Il a exigé aussi plus de transparence dans certains des projets lancés sous Kabila. Cela vous inquiète-t-il ?
Le FCC n’a peur de rien et n’a pas à émettre d’opinion sur les déclarations du président. Mais lorsque l’on emprunte le chemin de dénonciation, il faut être exhaustif et savoir jusqu’où l’on est prêt à aller. Nous venons de célébrer le soixantième anniversaire de l’indépendance de notre pays. Cela fait donc 60 ans que le Congo est gouverné par des Congolais. Vous voyez jusqu’où l’on peut aller fouiner ? Il est recommandé, lorsque l’on écrit sa propre page de l’Histoire, de regarder vers l’avenir.
Le président souhaite la démission de Célestin Tunda Ya Kasende, soupçonné d’avoir voulu imposer une réforme judiciaire visant à renforcer l’autorité de son ministère vis-à-vis des magistrats du Parquet. Le comprenez-vous ?
Le ministre de la Justice fait partie du gouvernement et, au sein de ce gouvernement, il y a des règles à respecter en matière disciplinaire. Pour le reste, et jusqu’à preuve du contraire, il y a un dialogue fructueux entre le président et son prédécesseur et ils arriveront à trouver une solution.
Diriez-vous que le chef de l’État et son prédécesseur ont appris à se faire confiance ?
Ces questions de confiance sont souvent subjectives. Il y a eu alternance et ils ont travaillé ensemble, c’est inédit.
Est-ce suffisant ?
Ils vont en tout cas devoir redoubler d’effort et de vigilance pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés.
La communauté internationale, les États-Unis notamment, font pression pour que le président s’émancipe de Joseph Kabila. Qu’en pensez-vous ?
Les Américains ne nous l’ont jamais formellement signifié. Je dirais même que les renseignements que nous avons laissent plutôt entendre que la communauté internationale souhaite le succès de la coalition puisque sa finalité, c’est la stabilité du pays.
Quel regard portez-vous sur le bilan de Félix Tshisekedi ?
Il est trop tôt pour dresser un bilan, mais il y a encore beaucoup à faire. Il faut que les politiques se ressaisissent. Ils peuvent encore relever les défis qui se posent à eux, se préoccuper des Congolais dont le pouvoir d’achat est diminué et qui sont confrontés à de sérieuses difficultés socio-économiques, plutôt que de se consacrer à leurs petits calculs politiques et à chercher à se positionner pour la suite.
Au sein du FCC, certains reprochent au Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, de ne pas soutenir suffisamment son camp. Êtes-vous de cet avis ?
Moi, je note qu’il participe aux réunions de sa famille politique et qu’il a intégré les propositions du FCC dans le programme du gouvernement. Il doit néanmoins composer avec un contexte sanitaire contraignant, celui de la Covid-19. Mais jusqu’au bout, il aura notre soutien.