Autopsie sur le juge Raphaël Yanyi : «On ne doit pas s’hypnotiser sur le meurtre dont les circonstances de sa commission pourraient être difficiles à démontrer alors que le fil conducteur de l’enquête est ailleurs» (haut magistrat)

Par Innocent Olenga.

L’article de Scooprdc.net «Décès du juge Raphaël Yanyi : la vérité en demi-mots de Célestin Tunda ya Kasende» a fait réagir un haut magistrat dont le média en ligne garde l’anonymat pour raison de déontologie qui réagit la magistrature. Ce dernier a apprécié que notre média en ligne soit sur la bonne piste dans son analyse par rapport aux résultats et conclusions de l’autopsie opérée sur le défunt juge, décédé l’arme à la main dans un grand et historique procès que la RDC ait connu. Pour lui, on ne doit pas s’hypnotiser sur le meurtre tel que soutenu par le vice-premier Ministre et ministre de la Justice et garde des sceaux, Célestin Tunda ya Kasende dans sa déclaration officielle, alors que les circonstances de sa commission pourraient être difficiles à démontrer d’autant plus que le fil conducteur de l’enquête est ailleurs. Ci-dessous sa réflexion en 10 points en tant que praticien de Droit :

1/ Un rapport d’autopsie ne procure pas l’évidence d’un axiome mathématique. Néanmoins il joue un rôle majeur dans la recherche de la preuve quoique la prépondérance de la raison doit demeurer de mise afin de ne pas exclure la place de la conscience dans l’appréciation.

2/ Certes, en  recourant à la médecine légale dans le cas du juge décédé,  le parquet a mis en œuvre une méthode rationnelle. Cependant, il faut de la finesse et de la rigueur dans l’analyse du rapport car, la quasi certitude d’un médecin légiste ne peut se transformer en certitude absolue pour le ministère public ou le juge. Pour ces derniers, si une expertise médico-légale ne peut servir de preuve de culpabilité elle ne saurait non plus servir de preuve d’innocence d’un suspect.

3/ Au regard de ce rapport donc, le magistrat enquêteur doit demeurer prudent. Dans un pays comme le nôtre, la relativité de sa fiabilité réside en effet dans les conditions de recueil des échantillons,  leur qualité,  leur degré de pureté,  la compétence des laboratoires d’analyses,  le choix de la méthode etc. Ce qui conduit  à évaluer la relativité des résultats et en relever les limites de la force probante.

4/ L’expertise rendu public hier n’est qu’une preuve scientifique qui ne fait qu’augmenter le degré de probabilité mais elle est loin d’être objectivement satisfaisante. Elle a juste valeur d’indice, partant les enquêteurs devront aller plus loin encore.

5/ S’il faut malgré tout s’engager sur la piste du meurtre, le support informatique des opérateurs cellulaires dont le juge décédé était client peut servir à tracer la localisation des appels émis et reçus , particulièrement le jour fatal. Ce qui permettrait aussi sa localisation géophysique. Ses téléphones doivent se trouver à la portée de la justice. Bien plus, il y a une probabilité croissante qu’il (le juge) se soit rendu à différents endroits depuis la veille de son décès que l’on doit savoir  qui ont eu à le solliciter, sa propre hiérarchie à quel que niveau soit elle placée ou toute autre autorité civile, et les lieux et heures des rencontres. Les premiers suspects sont à rechercher à ce niveau.

6/ Davantage, il faut recourir à des interrogatoires des proches, en premier lieu dans sa famille, puis ses gardes rapprochés, pour savoir s’il n’y a pas eu un dialogue ultime, un petit mot à l’instant où il sentait la vie le quitter comme cela arrive souvent. D’où venait-il finalement, car il est absurde de penser à des supposés coups reçus loin de ses gardes et sans qu’il ne se confie même en secret à quelqu’un. Enfin,  son bureau doit être perquisitionné de fond en comble suivi de l’interrogatoire de ses collaborateurs qui y ont eu accès peu avant son départ.

7/ Désormais, l’effet créateur de l’enquête sur cette mort suspecte ne doit pas être seulement le rapport d’autopsie au risque de brouiller la piste d’empoisonnement qui s’offrait au départ. Il ne faut pas se réfugier dans la suffisance pour s’arrêter à ce que le garde des sceaux congolais a affirmé. C’est peut être sa conviction à lui mais celle-ci ne procède nullement d’une analyse raisonnée au regard de la pertinence des faits rapportés par les journalistes qui s’étaient rendus à son domicile interroger voisins et membres de la famille. Une sorte de jury populaire avait fourni assez d’éléments pour accéder à la vérité. Ne dit on pas que chaque homme porte en lui-même un juge  dont il ne connaît pas le visage.

8/ Le parquet qui enquête doit se rendre à l’évidence que  différents propos recueillis ont  valeur d’indices nécessitant un rapprochement avec l’expertise pour ne pas donner  à celle-ci valeur d’une parole d’évangile ou de l’argent au comptant. Une contre expertise est d’ailleurs envisageable en droit de procédure pénale.

9/ Au contraire, les faits voisins ou connexes au décès du juge à rechercher ou à examiner  permettront de déduire l’existence de fortes vraisemblances ou probabilités sur une autre piste. La preuve est par essence indirecte et doit intégrer aussi des présomptions.

10/ Ainsi ça ne serait pas de l’arbitraire pour tout magistrat enquêteur que de considérer les limites inhérentes à la médecine légale. Le rapport d’autopsie ne doit pas dispenser d’autres recherches qui s’imposent notamment sur un faisceau de faits de nature à rendre probable une autre  infraction. A l’instant, la vérité à laquelle a abouti la médecine légale est provisoire. La justice ne doit pas se laisser guider par l’impression des hommes scientifiques mais doit se lancer dans un examen analytique des faits soumis en preuve et d’une appréciation critique de toutes les circonstances pour ou contre.

Vivement la justice pour le juge Yanyi Ovungu Raphaël mort en pleine plénitude de son rôle. Il y a laissé sa vie. On ne doit pas s’hypnotiser sur le meurtre dont les circonstances de sa commission pourraient être difficiles à démontrer alors que le fil conducteur de l’enquête est ailleurs.

  • Bendélé Ekweya té

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