Par Nzakomba.
Dans une lettre du 28 mai dernier adressée à Leila Zerrougui, représentante spéciale du secrétaire général des Nations Unies en RDC, madame Véronique Kanku Ndombi, fille du grand chef coutumier Ndombi, accuse sans autre forme de procès, le gouverneur du Kasai Central, Martin Kabuya, de préparer dans sa province, une nouvelle tragédie du type Kamuina Nsapu.
« Je vous écris d’Ottawa au Canada pour vous rapporter une crise qui risque de se transformer dans une nouvelle tragédie comme celle de Kamuina Nsapu dont furent victimes les trois Provinces du Kasaï, mais spécifiquement celle du Kasaï Central. En effet, il s’agit d’une dispute initiée par le Gouverneur du Kasaï Central, monsieur Kabuya Martin, depuis son entrée en poste. Il y a un village nommé Bena Mande en allant vers la rivière Lulua, à la sortie de Kananga sur la route vers Kazumba, la localité de Matamba. Ce village est dirigé par un chef coutumier appelé Jeannot Kabenabasue Ndombi Mbulungu, nommé par son/notre père pour le remplacer, avant le décès de ce dernier en 2008. L’entité coutumière mentionnée ci-haut a toujours été dirigée sous un pouvoir de la lignée de Mbulungu Mande depuis leurs ancêtres. Du temps la colonisation belge, cette lignée avait reçu un premier arrêté émis par l’administration en 1927. Et c’est avec ce document de reconnaissance que le Vieux chef Mbulungu Mande avait gouverné le peuple de Bena Mande jusqu’à son arrestation en 1947 pour son insoumission au pouvoir belge en place. Il fut emmené pour son emprisonnement à Luebo où il mourut», relate Véronique Kanku Ndombi dans sa lettre à Zerrougui.
Et d’enchaîner : «À cette époque, aucun de ses enfants n’avait atteint l’âge requis pour diriger le village. On choisit alors M. Mubiayi Tshitebua comme chef intérimaire. Ils conclurent que ce dernier dirigera jusqu’au moment où les enfants du Chef Mbulungu Mande atteindront la majorité (âge) requise pour leur restituer le pouvoir de leur père. Les années se sont écoulées et c’est vers les années 1950 que les descendants du Chef Mbulungu Mande commencèrent à réclamer que leur pouvoir leur soit restitué. Ils revendiquèrent leur droit devant tous les tribunaux du pays chargés des affaires coutumières. C’est en 1983 qu’un arrêté ministériel les rétablissant dans leur droit a été émis par le gouvernement zaïrois de l’époque. Depuis lors, tout est redevenu calme et les gens ont tous continué à vivre paisiblement dans ce village jusqu’à l’arrivée de l’actuel gouverneur à Kananga, monsieur Martin Kabuya, lui-même de nationalité canadienne».
Un canadien fauteur des troubles…
Après ce récit, Véronique Kanku accuse : «suite à son mécontentement par rapport au Chef Jeannot Kabenabasue Ndombi Mbulungu qu’il considère comme un insoumis face à lui, le gouverneur a procédé, ce 6 avril dernier, à son remplacement en nommant comme nouveau Chef de groupement M. Cléophas Mubiayi Tshitebua. À cet effet, il a falsifié l’arrêté ministériel de 1983, accordé au feu Chef Ndombi Mbulungu Mande. À partir de ce faux, il a établi un arrêté nommant un nouveau chef de Bena Mande en la personne de monsieur Cléophas Mubiayi Tshitebua; et il en a réservé une copie aux instances supérieures du pays à Kinshasa, dont le bureau du Vice-Premier Ministre et Ministre de l’intérieur. Ce dernier, à la réception de cette correspondance, lui a demandé de surseoir à toute action en rapport avec l’entité coutumière de Bena Mande. Contre toute attente, monsieur Kabuya a rejeté cette injonction du Ministère de l’intérieur. Vous trouverez tous ces échanges dans les documents ci-joints. Après avoir reçu la copie du rejet de l’injonction du Ministère de l’intérieur par le gouverneur, la famille du nouveau chef nommé est allée attaquer celle du Chef Kabenabasue dans l’avant–midi en brutalisant les femmes et en saccageant leurs maisons, le lundi 25 mai 2020. Le même jour dans l’après-midi, le Chef Jeannot Kabenabasue et son jeune frère François Katuadi, qui revenaient du Centre–ville de Kananga où ils étaient partis depuis l’avant-midi, se sont faits confisquer leur moto. Ils ont été attaqués et frappés à coups des machettes et pilons par un groupe des personnes proches de Cléophas Mubiayi, à l’entrée de leur village et proche de l’habitation de ce dernier. Ils sont grièvement blessés et monsieur François Katuadi est en train de se battre pour sa survie dans un hôpital de Kananga (voir les photos). Au moment où je vous écris, les personnes non encore identifiées les recherchent pour achever le travail macabre commencé et les tuer».
Elle continue son récit : «Mardi le 26 mai au soir, les agresseurs du Chef Kabenabasue qui étaient arrêtés par la Police de Kananga, ont été faits libérer par le gouverneur qui les a lui-même reconduits en voiture jusque dans leur village. Ce gouverneur, fauteur des troubles, se pense être au dessus de la loi et s’arroge le pouvoir d’ignorer les injonctions des organisations publiques du pays telles que les ministères et autres. Toute cette histoire risque de plonger le Kasaï Central dans une nouvelle tragédie, semblable à celle de Kamuina NSapu de triste mémoire».
Mêmes droits au Canada qu’au Congo
Véronique Kanku rappelle que le Canada, pays de nationalité de monsieur Kabuya, et la République Démocratique du Congo, pays où il exerce ses fonctions de gouverneur de province, font parties des États signataires du Pacte international des Nations Unies, relatif aux droits civils et politiques. L’article 2.3. de ce pacte stipule que les États parties au présent Pacte s’engagent à garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. En plus, le Conseil de sécurité des Nations Unis a accepté en 2018 le déploiement temporaire de 360 autres unités de police constituées à condition qu’elles soient déployées en remplacement de personnel militaire en RDC.
«Les priorités stratégiques de la MONUSCO sont de contribuer aux objectifs suivants : (a) Protection des civils, (b) Appui à la stabilisation et au renforcement des institutions de l’État en RDC et aux principales réformes de gouvernance et de sécurité. C’est dans le cadre de ces priorités qui sont celles de votre organisation que je fais appel à vous pour protéger le Chef Jeannot Kabenabasue, son jeune frère François Katuadi et ainsi sécuriser ce village pour que les gens ne entre-tuent pas. Veuillez s’il vous plaît aider à éviter une nouvelle effusion de sang», Supplie Véronique Kanku dans sa lettre à madame Zerrougui en lui rappelant que le monde garde en mémoire le mauvais souvenir de la tragédie Kamuina Nsapu, où l’ONU a perdu deux de ses jeunes envoyés.
«Intervenir à temps dans cette crise en impliquant les autorités du pays à Kinshasa pourrait aider à régler cette histoire de manière pacifique. Les droits humains sont fondamentaux et primordiaux pour tout le monde », a-t-elle conclu.
Les échanges de correspondances entre le ministère chargé des affaires coutumières et le gouverneur incriminé, laissent transparaître l’entêtement de ce dernier, qui, à la demande du ministère de tutelle qui voulait que Martin Kabuya sursoie sa décision, et permettre au ministère au regard de documents en sa possession, de régler le conflit, créer selon les Bena Mande par le gouverneur. Mais ce dernier jusqu’aux dernières nouvelles, ne l’entend pas de cette oreille. Un conflit est donc en gestation dans le Kasaï Central. Aux autorités de Kinshasa de prévenir que de guérir.