(Tribune de Maître Marcellin Gupa, avocat congolais au barreau de Turin et Matadi)
L’article 223 alinéa 2 de la loi foncière dispose que « l’Etat est responsable des erreurs du conservateur ». Cette norme a pour objectif d’étendre la responsabilité de l’Etat à celle du conservateur des titres immobiliers pour les erreurs que ce dernier commet dans le cadre de sa fonction. Il s’agit d’une responsabilité subsidiaire qui permet à la victime d’obtenir la condamnation d’un sujet solvable.
En effet, selon les dispositions de l’article 258 du code civil congolais des obligations, « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Dans un Etat de droit tel que proclamé à l’article 1er de la Constitution congolaise, l’Etat lui-même n’échappe pas à cette règle générale. Ainsi, si le conservateur cause un dommage à un particulier, il est donc de bon droit que celui-ci se tourne vers l’Etat pour obtenir réparation.
Pour que la responsabilité du conservateur des titres immobiliers, donc de l’Etat, soit engagée, devra être établie l’existence d’un dommage résultant d’un acte fautif commis par le conservateur ainsi qu’une relation de cause à effet entre cet acte fautif et le dommage dont on peut se prévaloir.
Toutefois, la notion de faute dans le chef du conservateur doit être nuancée. En effet, il faudrait distinguer si l’acte fautif imputable au conservateur des titres immobiliers relève d’une faute de service ou d’une faute personnelle.
Par faute de service, on entend une faute commise par le conservateur des titres immobiliers dans le cadre de ses fonctions, c’est-à-dire pendant le service, avec le moyen de celui-ci et en dehors de tout intérêt personnel. La faute est qualifiée de personnelle lorsqu’elle est commise par le conservateur en dehors du service (la faute dans ce cas peut être dépourvue de tout lien avec le service ou détachable du service mais en lien avec celui-ci).
Il peut s’avérer que le préjudice causé par le conservateur des titres immobiliers puisse être la conséquence d’une faute de service et d’une faute personnelle. D’où la question de cumul de faute et de responsabilité. Pour engager la responsabilité subsidiaire de l’Etat sur base des articles 258 du code des obligations et de 223 alinéa 2 de la loi foncière, le juge ne devra que s’assurer de la coexistence de quatre éléments suivants :
un dommage ;
un fait à l’origine du dommage ;
un lien direct de cause à effet entre le fait et le dommage ;
un lien avec le service du conservateur.
Naturellement, la preuve de la faute incombe à la victime du dommage. Cependant dans un certain nombre de cas, il est difficile d’établir que le conservateur a commis une faute donc la preuve est difficile à rapporter. Dans ce cas, on aménage le régime de la preuve en établissant des présomptions. C’est le cas par exemple du conservateur qui ordonne et perçoit, à titre des droits, taxes, contributions, redevances, salaires, primes, des sommes qui ne sont pas dues ou excédant ce qui est dû en vertu de la législation ou de la réglementation en vigueur et s’abstient de délivrer la quittance au débiteur qui le lui sollicite, prétextant l’absence de la quittance au dysfonctionnement de son service.
Il est intéressant de noter dans ce cas qu’au-delà de la responsabilité pénale qui n’engage que le conservateur personnellement et non l’Etat, le juge civil pourra condamner l’Etat à dédommager la victime du comportement délictuel du conservateur, et ceci pour le tout, sans qu’il y ait cumul d’indemnité avec possibilité pour l’Etat de se refaire sur le conservateur à travers l’action récursoire.
Quid du Ministre des Affaires foncières
Conformément à l’article 93 de la Constitution qui dispose que « le Ministre est responsable de son département… » et de l’article 181 de la loi foncière qui dispose que « Le Département ayant les affaires foncières dans ses attributions applique la politique de l’Etat en matière d’affectations et de distributions des terres », il revient donc en premier lieu au Ministre des Affaires foncières la responsabilité de contrôler l’organisation et le fonctionnement des bureaux de chaque circonscription afin de prévenir le comportement des conservateurs qui pourrait engager la responsabilité de l’Etat.
Outre la mission de contrôle des activités des conservateurs, le Ministre des Affaires foncières dispose également du pouvoir de sanctionner le conservateur responsable d’une faute à travers une action disciplinaire ; il a aussi le devoir de donner suite aux réclamations des citoyens qui s’estiment lésés dans leur droit par le comportement fautif d’un conservateur. Il convient de noter que le comportement fautif du conservateur générateur d’un dommage pour lequel l’Etat est appelé à se substituer engage le Trésor public avec la probabilité d’engager une procédure de leurs responsabilités (le conservateur et le Ministre des Affaires foncières) devant la cour des comptes en matière de discipline budgétaire et financière pour préjudice à l’Etat.
Bien que le Ministre soit responsable de son propre département, il est censé appliquer le programme gouvernemental dans son ministère. Son abstention ou sa complaisance vis-à-vis du comportement du conservateur peut engager sa responsabilité devant l’Assemblée nationale à travers une motion de défiance pour non-respect de la conduite de la politique de la Nation ou pour négligence grave.
D’où la nécessité de conscientiser le Ministre des Affaires foncières et les conservateurs des titres immobiliers sur leur responsabilité vis-à-vis de l’Etat et surtout en ce moment de grave crise financière que traverse le Pays dû parmi tant d’autres causes à la mauvaise administration qui est une des batailles du Gouvernement et du Président de la République.