RDC : Tirs croisés sur l’ordonnance complétant l’état d’urgence, dérive en vue ?

Par SMOKA.

Le Président de la République a signé, le 21 avril 2020, une ordonnance portant modification de l’état d’urgence sanitaire dont l’objectif souhaité est de permettre aux chambres parlementaires de procéder à une autorisation de prorogation de cet état d’exception pour une période de quinze jours successifs.  «Par dérogation, l’Assemblée nationale et sénat peuvent se réunir à plus de 20 personnes dans les conditions de quorum prévues par la constitution et leurs règlements intérieurs respectifs pour statuer uniquement sur la demande d’autorisation de prorogation de l’état d’urgence proclamé du 24 mars 2020» peut-on lire dans cette ordonnance présidentielle.

Comme l’ordonnance proclamant l’état d’urgence sanitaire du 24 mars 2020 qui a surchauffé les esprits entre partisans d’une autorisation par un congrès parlementaire à l’instauration de cet état exceptionnel et une simple consultation entre les chefs d’institutions, cet acte juridique présidentiel fait couler énormément d’encre et de salives dans le landerneau politico-juridique congolais par une controverse sur la séparation des pouvoirs, le recul des libertés parlementaires et une peur de dérive présidentialiste.

L’état d’urgence n’anéantit pas l’état de droit

Parmi les premiers élus à réagir, Jacques Djoli, député MLC et professeur de droit constitutionnel a affirmé que «l’état d’urgence n’anéantit pas l’état de droit, l’état de droit est un état où on est tous esclaves des lois de la République et de la constitution».

Selon lui, l’Assemblée nationale et le Sénat qui sont en session ordinaire constitutionnelle «se réunissent de plein droit» par rapport aux articles 115 et 144 et personne n’a «le droit de nous indiquer notre ordre du jour fusse-t-il Président de la République or nous avons le pouvoir d’accorder une prorogation mais également nous avons le pouvoir constitutionnel, de légiférer et de contrôler ou de convoquer les ministres”. L’ancien vice-président de la CENI conclut que cette ordonnance pourrait conduire à «un abus d’autorité incompréhensible» en ce moment où l’ordre constitutionnel doit être protégé.

Rejeter la proposition de Tshisekedi de tenir séparément les plénières sur l’état d’urgence

Député du FCC, André Tambwe  «très déçu par le travail que mène l’entourage du président de la République qui l’amène à produire des œuvres aussi contestables», a pour sa part opté pour la «désobéissance légale que  la constitution donne à tous les congolais» et appelle «les présidents des deux chambres à appliquer la constitution et à ne pas suivre un ordre illégal». Selon cet élu, il décèle deux failles majeures dans les actes du président Tshisekedi dont la violation de  «l’esprit du constituant» pour qui il  revient «au congrès d’ordonner ou d’autoriser la proclamation de l’état d’urgence et la prolongation ou de la fin de l’état d’urgence» ainsi que sur l’article 145 de la  qui  aurait dû être respecté avant la proclamation de l’état d’urgence à savoir «les ordonnances devraient être proclamées conformes à la constitution avant que cela soient mises en exécution».

L’état d’urgence n’est donc pas une opportunité d’accaparement sauvage du pouvoir

Avocat au barreau de Kinshasa, Chris Shematsi a réagi par un thread sur son compte twitter qui met en garde contre un «présidentialisme tropical» par cet acte du chef de l’Etat qui «s’est arrogé le droit de limiter l’ordre du jour des deux chambres qui sont pourtant en session ordinaire conformément à l’article 115 point 1 susmentionné. En session ordinaire, les plénières de ces deux chambres adoptent souverainement les points inscrits à l’ordre du jour.»

«Cela  vient donc de mettre son autorité en parallèle à celle de la Constitution alors que dans un Etat de Droit l’autorité suprême, c’est la Constitution» affirme  l’avocat pour qui «il se dessine, dès lors, une volonté manifeste de caporaliser le pouvoir législatif afin de créer un régime de confusion des pouvoirs tout en livrant aux gémonies les excellents travaux de Montesquieu adoptés par tous les Etats modernes».

En conclusion, il affirme que «L’état d’urgence n’est donc pas une opportunité d’accaparement sauvage du pouvoir par le Président de la République. Respectons la Constitution et évitons une crise institutionnelle !» et appelle à ce que «cette ordonnance soit être soumise toutes affaires à la Cour Constitutionnelle pour son examen de conformité à la Constitution». 

Vers la dérive ?

Sur le même registre, Frédéric Bola, ancien magistrat et actuel conseiller de Moise Katumbi a sur son compte twitter relevé dans une analyse que par son  ordonnance du 20 avril 2020, le Président Tshisekedi « neutralise le Parlement et s’arroge les pleins pouvoirs, en violation de la Constitution de 2006». Et de s’interroger «la dérive dictatoriale sauvera-t-elle la RDC ?».

Sur le site congopolitis.com, le journaliste John Ngindu lui s’interroge dans un article intitulé «Fatshi, le dictateur» sur «le rétropédalage dangereux et le visage monopolistique que présente la présidence de la République en cette période exceptionnelle de lutte contre le covid-19 (..) accusée d’opérer comme si les autres institutions étaient mises en veilleuse».

Il conclut par un avertissement «Fatshi ne devrait pas oublier que toutes les périodes exceptionnelles sont limitées dans le temps et qu’après les rapports de force se réajustent toujours. Après l’état d’urgence, la majorité parlementaire FCC risque de sortir ses griffes et les dégâts pourraient être dévastateurs».

Cela suffira-t-il pour mener la barque démocratique à bon port ? L’avenir nous le dira.

  • Bendélé Ekweya té

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