(tribune de Godefroid Bokolombe)
Godefroid Bokolombe Bompondo, est docteur en droit de Aix-Marseille en France. Il a écrit et soutenu en 2016, une thèse de doctorat intitulé : «Le juge constitutionnel et l’application des normes internationales et régionales de protection des droits fondamentaux : étude comparative des droits français, allemands et sud-africain». Analyste politique indépendant et enseignant de droit, il s’est penché sur le dossier Kamerhe dès que le parquet lui a lancé la première invitation. Ci-dessous sa réflexion :
Pour des raisons personnelles et d’opportunités, je n’ai jamais fait un post sur Vital Kamerhe. Aujourd’hui cependant, l’opportunité échoit d’une manière tellement pressante que je me vois obligé de briser la réserve personnelle à laquelle je m’étais jusque-là astreint.
Comparaison n’est pas raison, dit-on. Mais en politique, comparaison peut s’avérer une référence idoine dans la compréhension des faits et l’adoption de comportements.
En 1970, le général Mobutu recevait l’ambassadeur américain au mess des officiers. Justin Bomboko, en ses multiples qualités de ministre des affaires étrangères, de co-rédacteur du manifeste de la N’sele et d’ami, était aux côtés du président qui appréciait particulièrement sa compagnie en pareilles occurrences en raison de son humour légendaire. Dans la foulée des blagues qu’il enchaînait et qui firent chaque fois arracher au président des accès de rire avec sa voix rauque, Bomboko se permit de lui donner une tape amicale sur l’épaule. Aussitôt après la fin de la cérémonie, Mobutu convoqua Bondo Nsama et Essolomwa Nkoy, les deux éditeurs responsables des journaux paraissant à Kinshasa alors et leur intima l’ordre de publier à la plus prompte occasion le limogeage de Bomboko. La suite de l’histoire fut une descente aux enfers: arrestation, relégation dans son village natal…
Thomas Sankara et Blaise Compaoré étaient d’inséparables amis. Thomas l’idéologue et l’harangueur hors-paire trouvait en Blaise, le stratège intrépide, son pendant et un complément idéal. Il leur arrivait, d’après des témoignages croisés, de parler toute la nuit. Mais un jour du 15 octobre 1987, tout bascula…
Un des hommes de Dieu que j’aime et respecte enseigna un jour que Jean le Baptiste eut manqué de tact en parlant vertement à Hérode; ce que je n’approuvai guère car Jésus-Christ rendant témoignage à Jean dit que de tous ceux qui sont nés d’une femme, personne n’est aussi grand que lui. Si ce dernier eut sa tête coupée, c’est, à mon sens, parce qu’il ne pouvait coexister avec le Fils de Dieu, chacun enseignant et faisant des miracles de son côté… Une couronne ne peut être posée sur deux têtes au même moment.
Des illustrations que voilà ressortent deux vérités : un chef n’a pas d’amis; et toute révolution mange ses propres fils.
Le chef a des exigences, des défis et des agendas qui ne peuvent s’accommoder de l’amitié d’antan. Il est en permanence interpellé et doit se montrer disposé à l’écoute et à l’action. Ses intérêts sont dynamiques et sa caravane est dépourvue de rétroviseurs de gratitude. Félix Tshisekedi, en l’espèce, n’a plus le même standing, ni les mêmes intérêts que Vital Kamerhe. Il est sommé par ses nouveaux soutiens à lutter contre la corruption. Si pour la réalisation de cette exigence qui conditionne sa survie politique, il doit sacrifier Vital Kamerhe, il le fera sans état d’âme. Les cris « nous sommes partenaires »; « nous avons lutté ensemble pour la victoire »; « nous avons des accords »… ne sonnent pas plus que des aboiements de chiens devant l’imperturbable caravane qui passe.
Ensuite, la révolution mange ses propres enfants, c’est connu ! Mais elle les mange bien souvent lorsque ceux-ci prennent de la graisse et exhibent des rondeurs. Bien souvent aussi, c’est eux-mêmes qui apportent au bourreau le gourdin de leur abattage. Vital Kamerhe n’a pas semblé intégrer les dimensions de cette cynique réalité. Le bling-bling dans la conduite de sa vie extra-murale : soutenance de thèse à grandes pompes, peopolisation de son couple… étonne et dérange le bon sens. Les observateurs même les plus avisés de la politique de notre pays ne connaissaient pas les identités et les activités des épouses de Barthélemy Bisengimana, de José-Patrick Nimy Mayidika Ngimbi, de Kalongo Mbikayi, de Mokonda Bonza, de Vunduawe-te-Pemako, de Yerodia Abdoulaye Ndombasi, de Beya Siku ou de Nehemie Mwilanya. Le poste du Directeur de cabinet du Chef de l’État impose à son tenant la preuve d’une haute technicité et d’une grande discrétion avant tout.
Vital Kamerhe qui passe pour être aux yeux de certains proches de Félix Tshisekedi la cinquième roue d’un carrosse a commis une faute monumentale en refusant lundi dernier de déférer à l’invitation du procureur général. Il a mis son patron en porte à faux avec l’engagement tant vanté de restaurer l’indépendance de la justice. Et ça, il payera cash. Son erreur à lui, Vital Kamerhe, est d’avoir conclu un accord dans lequel il avait beaucoup à gagner, certes, mais tout à perdre avec quelqu’un, Félix Tshisekedi, qui avait tout à gagner et rien à perdre. Son limogeage ne causerait aucune casse car les secrets dont il est dépositaire ont déjà été révélés au grand jour par les partenaires du FCC. Il doit jouer au roseau.
Sinon, de la même manière que les juifs de Jérusalem ont célébré l’entrée de Jésus-Christ dans leur ville avec des rameaux et des cris « hosanna » et quelques jours après vociféré « crucifiez-le », de la même manière que les ovations du début « coach » vont se muer en « voleur ».