La polémique sur l’expérimentation du vaccin contre le coronavirus, surtout le refus catégorique manifesté par l’ensemble de la population congolaise d’accepter l’arrivée même de ce vaccin en RDC, a attiré l’attention d’un juriste : Thomas Otshudi. Traînant une expérience de plus de trente ans dans la magistrature, ce produit de l’Université de Lubumbashi (UNILU) qui a correctement gravi les grades et est passé par plusieurs juridictions, dans l’arrière-pays tout comme dans la capitale, avant d’être depuis quelques temps conseiller à la Cour de cassation, pousse le monde des juristes à analyser au regard du Droit ce refus de la population par rapport à ses droits légalement garantis. Ci-dessous son analyse :
REGARDS CROISES MAGISTRATS-AVOCATS-PROFESSEURS DE DROIT SUR LA PISTE DU VACCIN COVID-19
(Analyse de Thomas OTSHUDI WONGODI OKITA, Conseiller à la Cour de cassation)
I. Contexte
Un possible vaccin contre le Covid-19…la République Démocratique du Congo est candidate pour des essais.
En effet, jeudi 02 avril 2020, la question était portée sur les devants de la scène à la suite d’une déclaration du Docteur Jean-Jacques MUYEMBE, virologue congolais de renommée internationale. Il y est revenu peu de temps après pour limiter les conséquences de la réprobation quasi collective des congolais, mais l’orage provoqué est loin de s’éloigner.
Ici et ailleurs en Afrique, les réactions négatives contre l’essai du vaccin Covid-19 se font entendre. Comme dans un concert symphonique où chacun joue merveilleusement sa partition, les violons s’accordent pour dire NON et davantage le refus se décline en des propos forts : nous ne sommes ni des rats de labo ni des cobayes, le pays n’est pas un laboratoire de test ou un champ d’expérimentation…
Au-delà du grand nombre de réactions négatives autour de ce projet, il est intéressant d’en tirer profit en lançant un débat, loin de toute passion, partant de l’idée qu’il est nécessaire de croiser les regards des magistrats, avocats et professeurs de droit sur la piste du vaccin Covid-19.
A cette fin, juge de cassation, je lance le débat pour susciter les réactions des avocats Ben KAPUYA, BIA, Louis d’or KAPITENE, Georges KAPIAMBA et autres, des professeurs KALUBA, TASOKI, MANASI et bien d’autres encore et, par-delà ces derniers, celles des praticiens du droit sont attendues.
II. Rappel
Les instruments juridiques internationaux relatifs aux droits humains et aux libertés fondamentales auxquelles la République Démocratique du Congo a adhéré et la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour consacre le principe d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain.
Ces deux principes à valeur constitutionnelle instituent une légitime défense contre toute atteinte portée au corps sans le consentement de la personne. A ce sujet, j’ai appris de J.HAUSER dans son ouvrage «Ordre public et bonnes mœurs» que le corps humain n’est pas une chose. Il est bien plus que cela, et le principe d’inviolabilité découle de ce statut juridique particulier. D’ordre public, l’inviolabilité impose que le corps soit protégé tant contre les atteintes des tiers que contre le pouvoir de disposition de l’intéressé lui-même.
D’où à se poser une première question à débattre :
III. Peut-on porter atteinte aux principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain, par exemple en cas d’essai ou de vaccinations obligatoires contre le Covid-19 ?
Sous d’autres cieux, notamment en France, il existe des dispositions rendant obligatoires un certain nombre de vaccinations ou donnant la possibilité à l’autorité administrative d’instituer par voie réglementaire de telles obligations.
Il me semble qu’autour du vaccin contre le Covid-19, il existe des enjeux financiers majeurs et, peut-être, la déclaration du professeur Jean-Jacques MUYEMBE ne serait que la face cachée de l’iceberg.
Soit dit en passant qu’aussi loin que remonte mon enfance à Kolwezi dans le Lualaba, j’ai souvenance d’un vaccin rendu obligatoire en ces temps-là et fait dans le deltoïde, ce muscle qui recouvre l’épaule et le haut de bras gauche. Plus grave, les inspecteurs de la santé étaient habilités à constater la méconnaissance des obligations vaccinales dans chaque famille et même dans les écoles et, bien plus grave, de tout temps les agents compétents de la santé nous exigent des cartes de vaccination aux frontières ( ports et aéroports). Souvenons-nous en à cet instant crucial pour répondre à la deuxième question de droit soumise à ce débat :
IV. Les autorités administratives de la République Démocratique du Congo peuvent-elles instituer de vaccinations obligatoires contre le Covid-19 assorties de sanctions applicables en cas de manquement?
J’ai appris de façon élémentaire en microbiologie depuis la quatrième année des humanités que la vaccination est un procédé consistant à introduire un agent extérieur qu’est le vaccin dans un organisme vivant afin de créer une réaction immunitaire contre une maladie infectieuse. Ainsi, l’organisme produit des anticorps vis-à-vis d’éléments pathogènes identifiés.
C’est pourquoi, une vaccination obligatoire peut concerner l’ensemble de la population ou une partie de celle-ci en cas de risques particuliers comme ceux menaçant le vie des enfants.
Cependant, il est scientifiquement démontré que la vaccination comporte des risques et que ses effets néfastes peuvent entraîner d’autres maladies. Aussi un vaccin peut-il être défectueux et entraîner des risques exceptionnels. Pour mémoire, l’inoculation obligatoire du vaccin anti-poliomyélite avait laissé des lourds handicaps ou des incapacités permanentes pour nombre d’enfants.
Cet état des choses explique que des populations se montrent réfractaires au vaccin même quand celui-ci est rendu obligatoire. Ce qui appelle une troisième question dans le débat :
V. Quid de la responsabilité de l’État du fait des vaccinations obligatoires ou du fait des produits de vaccination défectueux
Pour ma part, j’estime que le fait d’obliger une personne à recevoir un traitement médical sous forme de vaccination est une violation du principe selon lequel le corps humain ne peut être l’objet d’un acte physique sans que la personne n’y consente.
Dès lors que la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, la responsabilité de l’État doit être engagée pour une réparation de tout fait dommageable en raison de la vaccination.
L’idée que le corps ne peut faire l’objet d’aucune tierce atteinte s’impose dans le droit moderne de sorte que les principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain font obstacle à la possibilité pour un Etat de contraindre sa population à se faire vacciner sous peine d’engager sa responsabilité.
Cependant, à l’instar d’une décision du Conseil d’État français du 21 novembre 2001, il y a d’autres juristes qui sont tentés de soutenir la légitimité d’une atteinte portée à l’inviolabilité et à l’intégrité du corps humain.
La position qui précède commande d’être questionnée en dernier lieu dans ce débat :
VI. Pareille atteinte portée à l’inviolabilité et à l’intégrité du corps humain est-elle justifiée et proportionnée?
Le droit à la santé est constitutionnellement garanti à tous. L’État a l’obligation d’y veiller.
De ce point de vue, la vaccination rendue obligatoire est destinée à prémunir les individus immunisés contre des affections particulièrement graves et à juguler le risque d’épidémie.
Les tenants de la thèse d’un vaccin contre le Covid-19 s’il venait à être validé pensent que l’Etat a la responsabilité de protéger tant les personnes prises individuellement que la collectivité dans son ensemble. C’est donc l’intérêt collectif qui apporte une limite aux principes sus évoqués car comme l’écrivait Hennion-Jacquet dans son ouvrage «Le paradigme de la nécessité médicale», la personne qui choisit de rester malade en négligeant la thérapie devient un agent de propagation de la maladie, dangereux pour la santé d’autrui. Il peut donc être légitime de restreindre la liberté thérapeutique afin de préserver la liberté des autres.
Peut-on conclure par là qu’un possible vaccin contre le Covid-19 est strictement nécessaire dans le but assigné à tout Etat de protéger la santé de sa population ?
Chers magistrats, avocats, professeurs et autres praticiens du droit, que diriez-vous en toute objectivité aux congolais qui s’interrogent au regard des aspects juridiques de la question de vaccin.
En particulier, Maîtres KALUBA, TASOKI, Ben KAPUYA, BIA, KAPITENE, KAPIAMBA, êtes-vous à même de défendre les intérêts des requérants qui attaqueraient devant le Conseil d’Etat, pour excès de pouvoir, un acte réglementaire qui imposerait un essai de vaccin ou le vaccin contre le Covid-19 ?
Enfin, Mesdames et Messieurs les magistrats du Conseil d’Etat, comment entendez-vous concilier l’impératif de sauvegarde des principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain et une possible atteinte portée par l’essai du vaccin et, par suite, par la vaccination proprement dite contre le Covid-19 ?