Page documentaire d’Onésime P. Madilu : Joseph Okito, un omis pour la mémoire collective !

Alors que s’achevait cette  journée du 17 janvier qui commémore le 59ième anniversaire de la disparition de ce père de l’indépendance à côté de P.E. LUMUMBA, j’ai suivi plusieurs émissions, articles ou récits à travers les médias et réseaux sociaux. Cependant, le nom de Joseph Okito a été à peine évoqué ou survolé quelques fois. Je considère ça comme une sélection ou omission négative, consciente ou pas qui jette un discret sur notre façon de considérer  notre propre histoire et qu’il  faille corriger à travers  ses quelques lignes.

Comment avons-nous pu oublier même celui grâce  à qui le CONGO est devenu le plus grand PAYS FRANCOPHONE DU MONDE ? J. Okito eut subi les mêmes supplices et sort que son jeune frère P.E LUMUMBA. Comme ce dernier, ses obsèques et sa sépulture  se font attendre depuis 59 ans. Et le CONGO est une nation qui est  toujours en deuil… Une nation ballottée par des vents impétueux soufflés par les puissances impérialistes.

Je vais donc me forcer d’exhumer quelques souvenirs de  cet homme dont la sagesse et l’expérience ont joué un rôle déterminant dans l’accession de notre pays à l’indépendance.

Sa vie

C’est exactement à Lusambo dans le Sankuru que naquit Okit’Omba de son vrai nom soit « l’héritier du Batteur du Tam-tam » en Tetela, un certain 5 janvier 1910. Il suivit dans son entièreté le cursus scolaire déterminé par la puissance coloniale pour les congolais  à son époque, soit 6 ans de primaire et 3 ans de cycle moyen auprès des Frères catholiques de la charité à Lusambo.

Après ses études, il migra à Luluabourg (actuelle Kananga) où il se spécialisa dans la comptabilité, et se lança dans quelques activités privées. Il se fera une influence dans le milieu des Tetela et Anamongo et sera compté parmi les notables et évolués de la ville.

Il avait toujours entretenu des très bonnes relations avec les représentants coloniaux. Et grâce à son  syndicalisme, surtout son sens diplomatique élevé,  il avait été souvent consulté pour jouer un rôle d’intermédiaire dans plusieurs dossiers entre ses concitoyens ou entre ceux-ci et les Blancs.

C’est en 1943 qu’il se fera  beaucoup parler de lui quand il décida de prendre  la tête de la fameuse « révolte de MUKALAMUSHI » à Luluabourg. Révolte qui secoua toute la ville car elle fut appuyée par une mutinerie des Forces publiques (son commandant était Tetela comme Okito) et pendant laquelle plusieurs  Européens furent molestés, bousculés, leurs biens vandalisés. Tous les européens de la ville se refugièrent dans une église catholique…

Les représailles de la puissance coloniale seront brutales et  très sévères. Plusieurs condamnations et exactions punitives s’en suivirent. Beaucoup de meneurs furent relégués dans des villages inaccessibles ;  Joseph Okito lui-même avec certaines autres têtes d’affiche furent jetés en prison à Luluabourg.

C’est là qu’il réalisa et intériorisa une leçon de vie qui va marquer et influencer plus tard toute sa carrière politique : que la violence envers la puissance coloniale ne produira aucun effet et  sera toujours en défaveur des nègres (…)

Je tiens à signaler  toutefois que cette révolte n’avait aucune visée politique sinon sociale. Depuis 1939, la 2ième guerre mondiale faisait rage en Europe, et la Belgique avait  durci entre-temps l’effort de guerre dans ses colonies.  Joseph Okito et ses compatriotes dénonçaient de ce fait  ces conditions inhumaines imposées par les colons et appelaient ainsi à leur adoucissement ou abolition. Une revendication purement sociale. Ce qui fit qu’il bénéficia des circonstances atténuantes.

Après sa libération, il se concentra dans plusieurs activités caritatives et humanitaires au bénéfice de ses concitoyens… C’est ainsi qu’il se lança dans une démarche risquée avec certains amis. Il fera des revendications  avec une diplomatie très intense et obtint de la Belgique, la création des écoles laïques à Lusambo et dans une bonne partie du Kasaï. Juste pour s’opposer à l’enseignement catholique de l’époque, qui ne mettait que l’accent sur la religion et non sur la science, conformément au traité que Vatican avait signé avec le Roi des Belges.

C’est en cette période qu’il publiera plusieurs articles sur la vie quotidienne des noirs sous l’ère coloniale et certaines histoires… Ses écrits se trouvent encore aujourd’hui dans « LES BIBLIOTHÈQUES AFRICAINES » en Belgique.

On doit mettre aussi à son actif :

  • La création de l’Office Congolaise de Sécurité Sociale (actuellement  INSS). Car Syndicaliste né, il milita activement avant notre indépendance pour l’amélioration des conditions de vie de travailleurs congolais. Et c’est grâce par exemple au combat de  J. Okito que la durée du travail fut déterminée à 8h00 par les colons.
  • Son  lobbying ayant abouti à l’officialisation de la langue française comme langue de travail et langue nationale au Congo au détriment du Flamand. Car les populations autochtones assimilaient le Flamand à la langue des oppresseurs, étant donné que plusieurs soldats qui imposaient les rudes méthodes coloniales, s’exprimaient dans cette langue.

Sa carrière politique

A la veille de l’indépendance, compte tenu de sa grande  influence à Luluabourg, et du fait aussi qu’il était à la tête de plusieurs associations socioculturelles ou sportives, il créa son parti politique l’URUCO (Union Rurale Congolaise) pour confirmer son Leadership. Pour Joseph Okito, l’indépendance devait s’obtenir graduellement, étant conscient que le Congo n’avait pas encore suffisamment  d’élites formées  pouvant l’aider à répondre à ce défi. En effet, il était donc plus réformateur que révolutionnaire.

En 1958, lorsqu’il se rencontra avec Lumumba pour la première fois à Luluabourg, c’est fut un clash. Car, pour J. Okito, il fallait donner un petit temps à la Belgique  pour qu’elle forme rapidement quelques ingénieurs, médecins, administratifs, etc. Mais Lumumba ne voulait pas  l’entendre de cette oreille, estimant que cette Belgique qui, en 80 ans n’a pas pu former cette élite, ne le ferait jamais en quelques années. Lumumba lui dira que « ce sont les pays africains frères déjà indépendants comme le Ghana et autres, qui les aideront à former des universitaires ». Les violons ne s’accordèrent donc pas entre les deux leaders qui se séparent sans compromis.

Il fallut cependant attendre la dissension entre Lumumba et son partenaire  Kalonji Mulopwe qui émietta d’ailleurs le MNC pour que P.E Lumumba se décida enfin,  pour des raisons purement électoralistes ou mieux sociologiques au regard de  l’influence incontestable  de Okito dans cette partie du pays, de  se rapprocher de lui. N’était-il pas d’ailleurs son frère du même coin et de la même ethnie ? C’est  Okito  qui dût  donc fédérer sous son leadership, tous les partis  et mouvements politiques d’ascendance Anamongo et du Kasaï dont l’apport sera déterminant par la suite. C’est ce  rapprochement qui  contribua d’ailleurs énormément, si on peut le dire, à la victoire du MNC. C’est ça qui fit d’ailleurs qu’après les élections législatives et provinciales, que Lumumba devint Premier Ministre. J. Okito sera le 1er vice-président du Sénat à Kinshasa (comme Samy Badibanga aujourd’hui).

Avec les chamboulements qui survinrent après l’indépendance, le président du Sénat d’alors devenu Premier Ministre, J. Okito devint logiquement le Président de la chambre Haute du Parlement (comme le président Thambwe Mwamba) et jouera un grand rôle diplomatique, dans la recherche d’une réconciliation entre Kasavubu et Lumumba qui s’étaient neutralisés par des décisions de déchéance réciproques. Il fera voter aussi une loi au parlement donnant les pleins pouvoirs au gouvernement de Lumumba.

C’est cet acte qui signera certainement son arrêt de mort, car les pro-Kasavubu dont Joseph Mobutu sur instigation des Grandes puissances comme la Belgique en furent très lésées. Raison pour laquelle ils sabotèrent même les négociations pour une quelconque réconciliation. Un scénario fut monté pour dissoudre le Parlement avec le fameux premier coup d’Etat de Mobutu.

Son sort fut scellé, il devait comme Lumumba disparaître. C’est son va-t-en guerre héroïque au dernier trimestre de 196O contre  les antivaleurs et la paupérisation qui minaient le microcosme politique après l’indépendance et contre ceux qu’il qualifiait  des fossoyeurs de la jeune indépendance du Congo,  qui lui aura entre autres coûté la vie.

En conclusion, chers lecteurs, retenez que pour Joseph Okito, « les colonisateurs n’étaient pas un ennemi mais plutôt un partenaire dont devait s’inspirer le Congolais pour combler son retard culturel et technologique ».

Papa Josep Okito fut de ce fait, UN PARTISAN DU DIALOGUE ET DU COMPROMIS, c’est cette qualité qui lui permit de travailler aisément  avec des  extrêmes  comme Lumumba…

Je sollicite que la 9ième édition des jeux de la francophonie en 2022 soit dédiée à Joseph Okito. Que les organisateurs pensent à réveiller la mémoire de ce héros omis de notre culture et notre politique, rien que pour faire honneur ne fût-ce que à son combat grâce auquel la RDC est aujourd’hui un pays francophone.

Par Onesime P. Madiu

Documentaliste/Bibliologue.

  • Bendélé Ekweya té

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