Dans une lettre ouverte de cinq pages adressée au président de la République Félix Tshisekedi, le président du parti Conservateurs de la Nature et Démocrates (CONADE) lui signifie son indignation et s’oppose farouchement contre sa démarche de vouloir obtenir de l’Union Européenne l’assouplissement des sanctions infligées aux collaborateurs de l’ancien président Joseph Kabila. Sans macher les mots, Moïse Moni Della qualifie cette démarche de sacrilège. Ci-dessous l’intégralité de sa lettre datant du 8 octobre dernier :
Excellence Monsieur le Président de la République,
Permettez-moi de venir devant votre auguste personne, vous faire part de ce dont l’objet est repris en marge.
Il sied de rappeler que sous le régime de Monsieur KABILA, le peuple congolais a été victime des crimes politique, économique et contre l’humanité. Toutes ces cruautés se sont intensifiées dès lors que le peuple congolais s’est résolu de se prendre en charge pour réclamer ses droits légitimes devant le refus de Monsieur KABILA de permettre l’organisation des élections libres, transparentes et démocratiques dans le délai constitutionnel à la fin de son mandat en 2016.
Tenant compte de ces événements macabres dont le peuple congolais a été longtemps victime et sans défense, l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique, partenaires attitrés de la RDC, n’ont pas voulu rester spectateurs de ces supplices imposés par un groupe de personnes à tout un peuple. Ils ont dû exercer des pressions allant jusqu’aux sanctions contre ces personnes dont le but principal fut non seulement d’assister la population congolaise en danger mais également de ne pas cautionner l’impunité source de récidive.
Devant cette attitude de l’UE et des Etats-Unis vis-à-vis de notre peuple, la majorité de partis politiques de l’opposition dont l’UDPS, votre parti, ont à l’époque salué avec véhémence le soutien et l’accompagnement de ces partenaires internationaux à notre lutte pour le respect de la Constitution. C’est dans la souffrance que l’on reconnait le vrai ami, dit-on.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Contre toute attente, j’ai le regret de constater que vous qui étiez notre compagnon d’une très longue et noble lutte pour l’instauration d’un Etat de droit, depuis l’époque de Mobutu jusqu’à celle de Kabila, sous le leadership d’Etienne TSHISEKEDI votre père, et notre père politique, entamez aujourd’hui des démarches auprès de l’UE pour exiger la levée de ces sanctions, effaçant ainsi d’un revers de la main tous ces crimes commis contre le peuple et la République. Peut-on déduire par là que tous les forfaits commis par Monsieur KABILA et ses courtisans qui ont entrainé plusieurs morts dont la plupart les combattants de l’UDPS à l’époque principal parti de l’opposition, sont jetés désormais dans les oubliettes ? Comment pouvez-vous oublier les sangs versés par les combattants et qui ont abouti à cette alternance historique dans notre pays dont vous êtes aujourd’hui bénéficiaire ?
L’UDPS dont je suis co-fondateur, a connu dans son parcours politique, beaucoup de martyrs. D’aucuns risquent de croire, par vos propos, que les politiciens se servent du peuple comme de l’échelle pour accéder au pouvoir. Une fois au pouvoir, on jette cette échelle.
Excellence Monsieur le Président de la République,
L’armée, la police et les services de sécurité de notre pays ont été, comme vous le savez, instrumentalisés par Monsieur KABILA et ses courtisans. L’opinion tant nationale qu’internationale a eu constamment à dénoncer leurs comportements.
Pouvons-nous considérer comme diabolisation, le fait de fustiger le comportement de nos soldats au front qui vendaient les armes à l’ennemi pour massacrer nos populations ; alors que cela a été dénoncé par la communauté internationale après une enquête fouinée ? Pouvons-nous considérer comme diabolisation le constat fait par l’ancien Premier ministre Muzito à Kisangani lorsqu’il avait fustigé la vente de rations des militaires ? Pouvons-nous considérer l’assassinat de CHEBEYA, de Thérèse KAPANGALA, de Rossy TSHIMANGA et autres par la Police Nationale comme une diabolisation ? Que dire alors de l’assassinat crapuleux des experts de Nations-Unies qui menaient les enquêtes sur les massacres de Kamuena Nsapu aux Kasaï ? Que dire de la persécution et l’agressivité contre Sonia Rolley, journaliste de la RFI, par nos militaires déguisés en policier ? Peut-on considérer ces faits comme une diabolisation ?
Vos propos selon lesquels la RDC dispose d’une « armée organisée, structurée et que toutes les dénonciations faites contre elle, ne sont qu’une diabolisation », est un sacrilège que nous dénonçons et condamnons.
Par contre, pour nous, il ne s’agit pas d’une diabolisation mais plutôt d’une indignation face aux crimes réels et non virtuels commis sous les ordres des hauts gradés de notre armée. Stéphane HEISSEL, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, disait : « Tout homme épris de paix et de justice doit s’indigner de violations des droits humains».
Et pourtant, vous avez, non seulement été parmi les commanditaires de ces marches, mais aussi pourfendeur et même victime de ces atrocités et persécutions. Vous avez connu particulièrement dans votre famille politique et biologique les affres de la dictature. Il n’est pas question pour moi d’incriminer toute l’armée, car dans toute règle, il ne manque pas d’exceptions. C’est ici l’occasion de saluer la mémoire de nos vaillants combattants notamment, le Colonel Amadou NDALA, le général BAHUMA, le général BUDJA MABE et tant d’autres qui sont morts sur les champs d’honneur et ont inscrit leurs noms sur le fronton de la République d’une manière indélébile. Il y a une règle d’or dans l’armée où on dit : « Il n’y a pas de mauvaises troupes, mais il n’y a que des mauvais chefs ».
Excellence Monsieur le Président de la République,
Profitant de la date du 19 septembre 2019 commémorant les massacres à grande échelle et les arrestations arbitraires, notre parti politique qui fut parmi ceux qui ont eu à saluer ces sanctions, est consterné face à vos démarches par rapport à l’assouplissement des sanctions et exige leurs maintiens. Cependant, notre souhait consiste à ce que l’UE facilite la poursuite de toutes ces personnes devant la justice nationale, voire internationale ; à défaut, créer un Tribunal Spécial International pour la RDC comme l’ont préconisé le Docteur MUKWEGE et plusieurs organisations de droits de l’homme. Ce maintien des sanctions aura le privilège, Excellence Monsieur le Président, de servir d’exemple et de dissuasion à notre progéniture pour que plus jamais ça !
A titre de rappel, j’ai été, lors de la manifestation du 19 septembre 2016, arrêté arbitrairement, subi des traitements inhumains et dégradants jusqu’à frôler la mort avant d’être transféré à la prison de Makala en passant par huit couloirs de la mort (Camp KOKOLO, Camp Tshatshi, 1ère région militaire, Quartier général de la Police, Ndolo, Casier judiciaire et Parquet général). J’ai, par la même occasion, vu et entendu le général Amisi KUMBA, dit Tango Four, donner l’ordre de tirer et de tuer à bout portant des manifestants pacifiques. Tenant compte de tout cela, je demeure aujourd’hui témoin oculaire et auriculaire, témoin gênant et rescapé de ces horribles massacres. Après ma libération, j’ai porté plainte contre Monsieur KABILA et consorts, devant la Cour Constitutionnelle et adressé une dénonciation à la Cour Pénale Internationale pour crimes contre l’humanité qui s’avèrent imprescriptibles.
Excellence Monsieur le Président,
A défaut d’une justice classique qui doit en principe juger et réparer les torts, on peut envisager la mise en place d’une Commission Vérité, Justice, Réconciliation et Paix à l’image de ce qui a été fait en Afrique du Sud. Cette commission aura le privilège de faire la relecture de tous les crimes commis par le régime sortant. Crimes qui ont rongé notre pays afin de savoir qui a fait quoi et pourquoi ; le pousser à s’amender et éventuellement à obtenir pardon. C’est à l’issue de cela qu’on pourra prétendre à une réconciliation nationale pour une paix durable dans notre pays. La paix des cœurs et des esprits.
Excellence Monsieur le Président,
L’opinion tant nationale qu’internationale est scandalisée par l’affaire des 15 millions de dollars que vous qualifiez curieusement d’une simple retro-commission. Vous avez dit que si, en France, cela constitue une infraction, cela n’est pas le cas au Congo. Sans pourtant verser dans un débat polémique et sémantique, le Code pénal congolais dans son article 146 condamne cet acte.
C’est une occasion de vous exhorter en tant que Magistrat suprême et Garant du bon fonctionnement des institutions du pays. Il est vrai qu’on doit respecter les principes sacrosaints de présomption d’innocence, mais on peut aussi évoquer des présomptions de culpabilité. Dans tout le cas, il n’y a que la justice qui peut départager les uns et les autres.
Excellence Monsieur le Président,
Le fait de dire que vous n’avez pas « à fouiner dans le passé », il s’agit là de deux maux qui rongent notre société : la banalisation et la désacralisation. Pourtant, il y a des milliers de Congolais qui sont morts alors que la vie humaine est sacrée comme la Constitution le stipule. Un peuple sans histoire est un peuple sans mémoire. Aussi, un peuple amnésique est un peuple pathétique et atypique qui ne mérite aucune considération et admiration.
Monsieur le Président, la première leçon que j’ai reçue de mon professeur Etienne TSHISEKEDI d’heureuse mémoire était : « Vous devez connaître l’histoire de votre pays et l’avenir de ce pays, c’est vous la jeunesse ». Comme quoi l’histoire permet de baliser l’avenir.
Espérant que cette présente lettre ouverte attirera votre particulière attention, veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de mes sentiments patriotiques.
Fait à Kinshasa, le 08/10/2019
Moïse Moni DELLA IDI
Président National