Devoir de mémoire : Kisangani, capitale de la RDC  (Une chronique du Professeur Adolphe VOTO)

Assis au bord du fleuve Congo, après quelques heures de cours à l’Université de Kisangani, respirant l’air frais des vapeurs que refoulent  les chutes  Wagenia, je considérai la ville que d’aucuns appellent ‘’ville martyre’’. C’est alors que je réalisai que Kisangani est un microcosme  de la République Démocratique du Congo. Si bien qu’on ne peut   retracer l’histoire de la RDC sans parler de Kisangani.  Comme la RDC, l’histoire de Kisangani est marquée par le passage d’un journaliste-explorateur, Henry Morton Stanley. Mais aussi par le parcours   d’une dizaine des leaders congolais.

Brassage de cultures

Kisangani est la   ville de rencontre de cultures.  C’est la seule ville du Congo où les enfants apprennent dès le bas âge, en même temps deux langues nationales, le Swahili et le Lingala. C’est l’unique ville du pays où les populations tant de l’Est que  de l’Ouest, peuvent se retrouver sans se sentir dépaysées et où leur cohabitation ne pose aucun problème. C’est la ville où n’importe quel Congolais peut tenter l’aventure sans se sentir étranger. Paradoxalement, Kisangani qui a offert tant d’opportunité à plusieurs congolais, n’a jamais produit un leader local de dimension nationale. C’est peut-être là le destin de cette ville, berceau des grands leaders.

Frontière religieuse

Kisangani, n’est pas seulement la frontière linguistique entre le Swahili et le Lingala, mais c’est aussi la frontière religieuse  entre l’Islam qui s’est rependu dans la région  du Kindu et le Christianisme qui domine dans la partie Ouest du Congo. Cette frontière religieuse est perceptible dans la ville où on remarque des mosquées dans une  commune et des églises dans d’autres.

Plaque tournante

Sur le plan des voies de  communication, Kisangani est une charnière entre la rivière Lualaba et le fleuve Congo, le terminal du train qui fait jonction avec le fleuve et les  routes qui donnent  vers l’Equateur, le Kassaï,  le Kivu et le Katanga,  sans compter le trafic aérien. De Kisangani, on peut rejoindre Kinshasa en route par le Kasaï ou par l’Equateur. Kisangani connecte le Congo à Dar-es-Salam et à Mombassa,   deux grands ports de l’Afrique de l’Est. Kisangani ouvre aussi le Congo à  l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan, le Kenya, la Tanzanie, etc. De Kisangani, on peut aussi remonter jusqu’en Egypte, en Afrique du Nord et jusqu’en Afrique de l’Ouest par la Centrafrique et le Cameroun. Kisangani est donc une plaque tournante de trafic sur le Congo et sur l’Afrique mais  qui malheureusement, n’est pas encore exploitée.

Berceau de leaders

La ville de Kisangani reste effectivement le point de départ de plusieurs acteurs politiques qui ont marqué sensiblement l’histoire de ce pays. C’est la ville de Heny Morton Stanley, de Patrice Emery Lumumba, d’Antoine Gizenga, de Joseph Désiré Mobutu, de Laurent Désiré Kabila, de Joseph Kabila, de Roger Lumbala, de Jean-Pierre Bemba, de Jean-Pierre Ondekane,   de monseigneur Laurent Mosengwo, pour ne citer que ceux-là.

Stanley

Lorsque l’explorateur Henry Morton Stanley fonde la station de Kisangani qui porta son nom, Stanleyville, il ne pouvait s’imaginer qu’il ouvrait par ce fait la porte de l’Ouest du Congo à la partie Est. En effet, la ville portuaire de Kisangani est à la fois le terminus des trafics de l’Est de la RDC et le point de départ des trafics vers l’Ouest par le fleuve Congo. C’est d’ailleurs à partir de Kisangani que la rivière Lualaba se transforme en fleuve Congo.

Lumumba

C’est à Kisangani que Okitasombo dit Patrice Emery Lumumba a commencé sa vie publique. Originaire de Sankuru et particulièrement de l’ethnie Tetela, c’est donc Stanley ville qui développa en Lumumba la vocation nationaliste, d’autant plus que contrairement à d’autres leaders, il évolue hors de son terroir et n’a aucun intérêt à développer un discours régionaliste. La plupart des partis politiques de l’époque étant ethniques, leurs leaders avaient leurs bases dans leurs provinces d’origine.  C’est le cas du Conakat de Moïse Tshombe, de l’Abaco de Joseph Kasavubu, etc.

Gizenga

Après la destitution de Lumumba, ses amis nationalistes regagnent Kisangani pour proclamer la République Libre du Congo, avec Gizenga, originaire du Kwilu  comme Premier Ministre. Gizenga et ses amis créent avec le CNL  à la base de la rébellion muléliste  qui s’opposera au gouvernement Adoula et qui va conquérir le trois quart du pays durant l’année 1964. Après la réunification du pays, Gizenga prendra la route de l’exil, après un emprisonnement à Bulambemba. Il deviendra  Premier Ministre avant sa mort.

Mobutu

S’il y a des villes du Congo où Mobutu aimait séjourner en dehors de Kinshasa la capitale, on peut citer Kisangani, Lisala, Goma, Gbadolite. Kisangani et Lisala étant situés sur le fleuve Congo, Mobutu avait aménagé pour ses voyages un bateau, le bateau présidentiel  Kamanyola. Ce grand bâtiment était doté de tout ce qui pouvait rendre la  vie agréable, non seulement à bord, mais aussi changer le cours de la vie de toute une ville comme Kisangani lorsque le bateau présidentiel accostait.

Le Maréchal Mobutu retournait dans la ville de Kisangani  presque chaque six mois. En réalité, Mobutu travaillait pratiquement à bord de ce bateau qui était en même temps son bureau et son domicile. Et la randonnée fréquente sur le fleuve  Congo était aussi pour lui une manière de faire le tour du propriétaire. La navigabilité du fleuve Congo s’arrêtant à Kisangani, la ville  bénéficiait un peu plus de bonus en termes de séjour et des faveurs présidentielles.

Laurent-Désiré Kabila

C’est à Kisangani que l’expédition de l’AFDL en 1997 sur  Kinshasa devient sérieuse. Le Premier Ministre congolais Kengo wa Dondo, fort de la puissance de feu concentrée à Kisangani déclara ; ‘’Kisangani ne tombera pas’’. Et Kisangani finit par tomber entre les mains des rebelles. Alors que l’AFDL était perçue jusque-là comme les autres rébellions que le régime de Kinshasa avait  maîtrisées par le passé, c’est à Kisangani justement que Mzee exprime ouvertement son intention de chasser Mobutu du pouvoir. Il pose la question à la population réunie lors d’un meeting à la place de la Poste s’il devrait s’arrêter ou poursuivre l’expédition jusqu’à Kinshasa. Celle-ci est catégorique : il faut descendre jusqu’à Kinshasa. Après tout Kisangani, c’est la voie qui s’ouvre sur l’Ouest.

Joseph Kabila

C’est aussi à Kisangani qu’entre en scène le commandant Hyppo, présenté comme le fils de Mzee  qui a conduit la libération de Kisangani. C’est son premier haut fait d’arme, à l’ombre de commandant James Kabarebe, un officier rwandais qui deviendra le Chef d’état-major de l’armée congolaise, après que l’AFDL ait pris le pouvoir à Kinshasa.

Jean-Pierre Ondekane

Kisangani a été la deuxième ville conquise par le RCD/Goma lors de la deuxième guerre.  Jean-Pierre Ondekane est un jeune commandant que les rwandais propulsent au-devant de la scène pour donner un visage congolais au projet. Il est beau et jeune et ne tarde pas à séduire la population boyomaise. Il est très vite adopté par les étudiants, surtout les étudiantes. Ce visage congolais de Ondekane  permet au RCD de s’enraciner dans Kisangani.

Mais de plus, on note des divergences et des conflits d’intérêts entre les anciens alliés de l’AFDL : le Rwanda et l’Ouganda. Ce conflit va transformer quelques années plus tard la ville de Kisangani en un théâtre d’affrontements entre soldats rwandais et ougandais et qui va occasionner des centaines des morts.

Jean-Piere Bemba

C’est Kisangani qui  a offert  l’opportunité  à Jean-Pierre Bemba de commencer une  rébellion contre le pouvoir de Kinshasa, avec l’appui de l’Ouganda qui prend de plus en plus distance vis-à-vis du Rwanda dans le dossier congolais.  Le Mouvement de Libération du Congo voit le jour  en 1998 dans   cette ville, pourtant déjà sous contrôle du RCD. Le MLC de Jean-Pierre Bemba ne pouvant pas s’installer durablement à Kisangani,  va occuper une partie de la province orientale et de l’Equateur.  A l’issue des accords  de Sun city, le pays sera  réunifié et Jean Pierre-Bemba va occuper le poste de Vice-président pendant la transition avant de se présenter  aux élections de 2006.

Roger Lumbala

S’il existe une ville qui favorise le rêve congolais, c’est Kisangani. Parce que c’est la seule  ville du pays  qui peut donner opportunité à n’importe qui de tenter une aventure, quelle que soit son origine, alors que partout ailleurs, on vous demande tout de suite par les ressortissants du coin d’aller voir ailleurs, parce que ici, ce n’est pas chez vous.

Lorsque la deuxième rébellion de l’Est s’éclate en 1998, Roger Lumbala, originaire du Kasaï est parmi les leaders congolais qui animent ce mouvement. A cause des divergences qui minent le RCD soutenu par le Rwanda, des fissures se dessinent et  certains leaders  veulent voler de leurs propres ailes. Mbusa Nyamwisi va créer, avec l’aide de l’Ouganda le RCD/KML. Il installe son quartier général chez lui à Beni et occupe la province de l’Ituri.

Un autre leader qui tente l’aventure de créer une autre branche du RCD, c’est Roger Lumbala, originaire du Kasaï. Mais il ne pense pas s’orienter vers le Kasaï, il quitte Kisangani pour   s’installer dans le riche territoire de Bafwasende, à mi-chemin entre l’Ituri et Kisangani. Le choix de cette localité, comme celui des autres quartiers généraux des rebellions,  est certes justifié par les gains qu’il peut tirer de l’exploitation des minerais dans cette région. Malgré qu’il n’est pas originaire de la région, il opère quand même tranquillement jusqu’à la réunification du pays.

Laurent Monsengwo

La ville de Kisangani n’a pas seulement servi de tremplin aux leaders politiques, mais aussi aux leaders religieux comme Mgr Laurent Mosengwo Pasinya, même si ce dernier n’est pas moins politique. C’est en étant  archevêque de Kisangani que Mosengwo a présidé la Conférence Episcopale du Congo et la Conférence Nationale  Congolaise qui l’a propulsé au-devant de la scène politique nationale alors qu’il est originaire du Bandundu.

Kisangani, capitale

Fort de toutes ces particularités  techniques et socioculturelles, Kisangani serait indiqué pour être la capitale de la RDC.

  • Bendélé Ekweya té

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