(Une chronique du Professeur Adolphe VOTO)
Un vent violent a secoué deux principales plateformes politiques en RDC cette semaine. Un vent de dissension interne qui n’a épargné ni le FCC, ni Lamuka. Comme par coïncidence, ces deux plateformes ont subi des grands coups qui ne manqueront pas de laisser des traces. Mais existerait-il un lien entre ces deux événements qui défraient la chronique ?
La candidature de Bahati
Le vent qui secoue le FCC, c’est la candidature de Bahati Lukwebo à la présidence du Sénat. Cette candidature rappelle celle de l’indépendant Henry-Thomas Lokondo à la présidence de l’Assemblée Nationale face à Jeanine Mabunda désignée par l’autorité morale du FCC. Enfin, Modeste Bahati Lukwebo sort de sa réserve. Sa plateforme AFDC et alliés a officiellement annoncé sa candidature à la présidence du Sénat, malgré le choix porté sur Alexis Tambwe Mwamba par Joseph Kabila.
Modeste pas du tout modeste
Quand Modeste Bahati Lukwebo veut manifester ses ambitions politiques, il n’a rien de modeste. Et il l’a toujours exprimé à chaque occasion. On se souviendra qu’il avait annoncé clairement ses intentions de briguer la magistrature suprême aussitôt que Joseph Kabila avait déclaré ne pas être candidat à sa propre succession. A l’instar d’autres prétendants au sein de la Majorité Présidentielle comme Augustin Matata Mponyo, la candidature de Bahati n’a pas été soutenue par Joseph Kabila qui leur préférait Emanuel Ramazani Shadari, pour des raisons qui lui sont propres. Mais comme la discipline est de rigueur au sein de la Kabilie, les uns et les autres ont été amenés à retirer leurs candidatures pour se ranger derrière Shadari. La suite, on la connaît.
Mais bien avant, Bahati qui s’entêtait à maintenir sa candidature a été sérieusement rappelé à l’ordre au sein de la majorité. On se souviendra des prises de bec avec ses anciens collaborateurs recrutés pour lui régler des comptes. Il a fallu de peu qu’on lui arracha le parti qu’il a fondé, comme ce fut le cas de Pierre Lumbi. Au sein de la Kabilie, on ne tolère pas la trahison.
Un Bahati toujours rebondissant !
Après cet incident, Bahati revoit ses ambitions à la baisse pour la présidence de l’Assemblée Nationale. Et pour lui couper l’herbe sous les pieds, il ne sera pas sur la liste des cadres du FCC récompensés par la CENI pour des loyaux services rendus à la Majorité présidentielle. Néanmoins, son parti rafle un bon nombre des députés à tous les niveaux à l’issue des élections.
Bahati se repositionne en bonne place pour la suite de la course. Sa plate-forme, AFDC et Alliés est pratiquement la deuxième force politique après le PPRD. Par conséquent, il mérite assez de postes dans le partage du gâteau. Mais l’aile dure de la Kabilie ne l’attend pas de cette oreille. Bahati paraît de plus indiscipliné et incontrôlable. Il faut diminuer sa capacité de surprendre. Aussi l’AFDC sera roulée à plusieurs échelons au sein du FCC : élection des gouverneurs, formation des gouvernements provinciaux, etc.
Cette fois-ci ou jamais
Après avoir subi des injustices de la part de son allié le PPRD qui se montre glouton, Bahati semble décidé cette fois-ci. Il n’est pas évident que Alexis Tambwe Mwamba qui a plus d’ennemis politiques que Bahati ne puisse gagner ces élections. Son choix est encore une fois certes été dicté par les intérêts de Kabila, comme fut le cas de Emmanuel Shadari : Il est du Maniema et serait comme Shadari également devenu depuis ‘’l’oncle de Kabila’’. Il serait mieux placé pour garantir la survie politique de Kabila. Mais cette candidature crée des mécontents au sein du FCC.
Thambwe Mwamba, un cas
D’abord, Tambwe Mwamba n’est pas du PPRD et en le choisissant, Kabila a certainement fait beaucoup des mécontents qui eux ne se sont pas exprimés comme Bahati. En choisissant d’élire un candidat qui est sous le coup des sanctions ciblées, les sénateurs risquent d’isoler diplomatiquement le Sénat qui deviendra peu fréquentable. Or les parlementaires vivent entre autres aussi des missions à l’étranger qui sont d’ailleurs grassement payées.
Ajouté à cela, la suffisance de Tambwe Mwamba dans le milieu politique congolais face à un Bahati très convivial et très modeste quand il faut ratisser large. On risque de connaître la mésaventure de Shadari, à moins que le FCC puisse évacuer la candidature de Bahati avant le vote, comme ce fut le cas avec Lokondo à l’Assemblée nationale. Ce qui semble difficile à moins qu’il y ait un forcing flagrant parce que Lokondo a été débouté par son regroupement Palu et Alliés alors que Bahati a l’appui de son regroupement.
En tout cas, les sénateurs du Cash ont déjà compris la démarche de circonstance, Joseph Kabila, qui effectue une mise en place pour coincer et pourquoi pas défénestrer Tshisekedi s’il le faut. Ils n’ont donc aucun intérêt à voter pour Tambwe Mwamba qui n’a pas du tout du respect pour le nouveau Président. Il l’a démontré à plusieurs reprises. Quant aux sénateurs de Lamuka, ils préféreraient évidemment un Modeste Bahati modéré qu’un Tambwe Mwamba conflictuel.
Stratégie de compensation
En posant sa candidature, Bahati qui est un fin calculateur en politique ne perd rien du tout. Le dépôt de candidature au poste de Président du Bureau du Sénat tombe à point nommé, c’est-à-dire, à la veille de la formation du gouvernement. Si bien que Bahati pourra très bien négocier cette fois et obtenir réparation de l’injustice qu’il prétend avoir subi, en compensation, par des postes au gouvernement et dans des entreprises publiques, si jamais il lui était demandé de retirer sa candidature en faveur de Tambwe Mwamba.
Lamuka aussi secouée
Pendant qu’on réfléchit au calcul de vote à la majorité, La plateforme Lamuka est aussi secouée par une dissension entre des cadres de Ensemble et Martin Fayulu. A la base, les deux notes portant propositions de sortie de crise consécutive aux élections contestées. Ces deux documents dont l’existence était jusque-là inconnue de l’opinion ont été rendus publics par les collaborateurs du Président de Ensemble et coordonnateur de Lamuka, Moïse Katumbi.
La guerre des lieutenants
Après un tweet de Olivier Kamitatu, Francis Kalombo est monté au créneau pour dénoncer la démarche de Martin Fayulu avec des mots peu tendres. Le lendemain, ce sont les communicateurs de Lamuka à Kinshasa qui répliquent en essayant de préciser le contexte dans lequel ces documents qui datent du mois de Mai ont été transmis dans des chancelleries. Jusque-là, aucun leader de Lamuka ne s’est encore ouvertement prononcé sur cet incident, question sûrement de ne pas mettre de l’huile au feu pour envenimer la situation.
Est-il que depuis un certain temps, l’opinion est témoin des dissensions au sein de Lamuka. On se souviendra des déclarations de Christophe Lutundula et de Delly Sesanga au lendemain de la prestation de serment de Félix Tshisekedi, de la prise de position de Kyungu wa Kumwanza suivi de sa nomination comme PCA de la SNCC, de l’interview de Moïse Katumbi annonçant une opposition républicaine, de l’interview-choc de Jean-Claude Muyambo et dernièrement du départ de Mbussa Nyamwisi du présidium de Lamuka.
La question de la proposition de sortie de crise a même été abordée par Félix Tshisekedi lors de la conférence de presse accordée à Bunia à la presse nationale. Ce dernier a estimé que cette proposition serait la bienvenue au niveau du parlement, Martin Fayulu étant un élu.
La plateforme qui a accompagné Martin Fayulu à la présidentielle de 2018 est-elle en crise ? Ce qui est évident, ce que dans une plateforme plurielle comme Lamuka, les divergences sont inévitables. Lamuka ayant été au départ une plateforme électorale, maintenant que la plateforme devient politique, les objectifs changent et chacun commence à regarder un peu plus à sa case. Et Lamuka n’ayant pas une autorité morale comme le FCC, les leaders devraient mettre un peu d’eau chacun dans son vin pour ne pas se faire éclabousser les unes les autres. Evidemment, aucun leader de Lamuka n’a jusque-là pris position par rapport au dernier rebondissement. Ils ont préféré laisser leurs lieutenants et leurs communicateurs se régler les comptes.
Relations entre deux crises
Pour trouver le lien entre ces deux crises qui secouent les plateformes FCC et Lamuka, il faut regarder à la troisième plateforme, c’est-à-dire le Cach. Bien plus, il faut remonter dans le temps pour mieux saisir le rapprochement. Le tout remonte au lendemain de la prestation de serment de Félix Tshisekedi, lorsqu’il annonce la nomination d’un informateur, aucun parti politique n’ayant obtenu la majorité à l’Assemblée nationale.
A ce moment, le FCC se sent en insécurité et redoute une éventuelle coalition entre le Cach, l’AFDC et Lamuka s’ils arrivaient à récupérer les indépendants et détourner les partis satellitaires et alimentaires qui ont rejoint la Majorité depuis les pourparlers de la Cité de l’OUA. Les deux pièces maîtresses de ce scénario demeurent donc Moïse Katumbi et Bahati Lukwebo.
L’erreur de Tshisekedi
Devant cette incertitude, Joseph Kabila convoque tous ses alliés à Kingakati et leur fait signer un acte d’engagement et de fidélité. Bahati Lukwebo ne peut faire autrement, sinon il serait soupçonné de trahison. Le FCC s’autoproclame majorité parlementaire à Kingakati, en dehors du parlement. Le Président de la République qui a pourtant promis de nommer un informateur pour identifier au sein du parlement une coalition pouvant gouverner, prend acte de cette coalition. Une grosse erreur qui le prive d’une marge de manœuvre face à son allié FCC qui ne lui facilite pas la tâche, pendant que la base de l’UDPS et les Etats-Unis d’Amérique lui demandent de divorcer.
En finir avec Lamuka et Bahati
Mais chaque jour, Moïse Katumbi se rapprochait de plus en plus de Félix Tshisekedi, ce qui n’arrêtait pas d’inquiéter le FCC. Ils ont plus ou moins 350 députés mais avec une cohésion fragile. Et pour ne prendre aucun risque, il fallait mettre définitivement fin à l’hypothèse d’une autre coalition, en réduisant Lamuka à sa plus simple expression au sein de l’Assemblée Nationale et rendre inutile le rapprochement Katumbi-Tshisekedi. Plus d’une vingtaine des députés Lamuka sont invalidés, quelques députés FCC permutés au sein de la plateforme et aucun député Cach n’est concerné par les arrêts de la cour constitutionnelle. L’opinion crie au scandale et l’opposition reprend les contestations. Les députés invalidés de Kinshasa envahissent la Cour constitutionnelle et passent la nuit à la belle étoile pour réclamer leur réhabilitation.
Devant la clameur publique, la Cour recule et trouve une parade en évoquant les erreurs matérielles. Félix Tshisekedi qui n’a rien à perdre dans ce dossier reçoit le Président de la Cour constitutionnelle et lui donne son avis. En fin de compte, certains députés de Lamuka sont sélectivement réhabilités. C’est pour la plupart des députés de Kinshasa, par ce que plus en vue. Ceux de l’intérieur vont faire les frais. Car c’est aussi l’occasion de réajuster le nombre d’élus des partis politiques de l’opposition au sein du parlement. Le prochain enjeu, c’est le poste de porte-parole de l’opposition ?
Entretemps, ceux des députés de la majorité qui avaient été temporairement validés ont perdu leurs mandats et ne seront jamais remboursés par les membres de la Cour qui sont enrichis sur leur compte.
Par ailleurs, ce rapprochement Katumbi-Tshisekedi est si avancé que cela commençait à indisposer Martin Fayulu et les communicateurs de ce dernier se sont mis à le dénoncer. Ce qui n’était pas du goût des collaborateurs de Katumbi.
Quant à Bahati Lukwebo, il fallait aussi réduire son importance au sein du FCC en privant son parti des quotas qui lui reviennent au sein des institutions publiques, compte tenu de son poids politique. S’il s’avère que le rapprochement Katumbi-Tshisekedi ne pourra plus porter des grands effets, si ce n’est peut-être que quelques avantages en termes de postes que lorgnent ses collaborateurs, comme c’est le cas avec Kyungu, Bahati Lukwebo, lui, n’a pas encore dit son dernier mot.