L’autisme en RDC : autopsie d’une situation méconnue et perspectives d’avenir

L’acteur de cet article n’est pas un journaliste, mais plutôt un enseignant titulaire de la classe TSA à Ottawa, au Canada. Jean-Marcel Ndumbi Tshingombe, ancien séminariste de Malole, fut le maire de la ville de Kananga, élu à mains levées lors des élections organisées par l’AFDL à Kananga en mai 1997. Il dirigera cette ville pendant trois ans jusqu’au moment où ses relations n’étaient plus au beau fixe avec le gouverneur Claudel-André Lubaya, nommé deux ans plus tard par Mzee Laurent-Désiré Kabila et qui le suspendit de ses fonctions de maire au cours du deuxième semestre de 2000. C’est comme ça que celui que les Kanangais appelaient affectueusement « Douglas » quitta la ville de Kananga pour le Canada où il séjourne près de vingt ans. C’est lui qui nous parle de l’autisme, un vocable peu connu de ses compatriotes, pourtant une maladie qui déstabilise plusieurs familles en RDC. Ci-dessous, sa réflexion :

Les chiffres que donne l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au sujet de l’autisme dans le monde sont alarmants. Dans la présente réflexion, il sera question de nous interroger autour de l’état de lieux de la question de l’autisme en République Démocratique du Congo. Le mois d’avril a été  consacré par l’OMS, mois de la sensibilisation mondiale à l’autisme. À y voir de près, la situation des enfants vivant avec le Trouble de Spectre d’Autisme (TSA) est reléguée au second rang et dans la plupart du temps, elle est expliquée par des considérations ethnoculturelles et traditionnelles.

On le sait, dans toutes sociétés du monde, la naissance d’un enfant est toujours un motif de joie pour la famille. Cependant, pour certaines familles, cette joie tourne au cauchemar pour d’autres parents lorsqu’avant l’âge de trois ans, cet enfant démontre des signes d’un développement différent des autres enfants de son âge. En effet, une fois diagnostiqué à deux ans du trouble de spectre d’autisme, c’est une peine quotidienne parfois même pour la vie. À travers cette réflexion, nous nous sommes proposé, afin de nous inscrire dans les activités de sensibilisation à l’autisme pendant le mois d’avril, de permettre davantage la compréhension du trouble de spectre d’autisme par connaître sa définition.

Quelles sont les causes de ce trouble? Qu’en est-il de son étiologie? Quelles sont les perspectives d’avenir pour ces enfants autistes et comment encadrer les aidants ainsi que leurs familles? Telles sont les questions qui nous préoccupent et qui exigent que chacun y apporte sa pierre. En effet, l’autisme est un trouble développemental débutant avant l’âge de 3 ans. Il touche simultanément :

▪ Les troubles de socialisation;

▪ La communication à la fois verbale et non verbale (difficulté de langage et de décodage, de l’écholalie etc.);

▪ Le comportement avec des gestes répétitifs, stéréotypés, des rituels, des intérêts restreints.

Certaines personnes présentant ce trouble peuvent fonctionner de façon normale dans la société tandis que d’autres requièrent une supervision permanente pendant toute leur vie. Dans la configuration internationale de nos jours, l’autisme fait partie d’un groupe plus large de troubles appelés Troubles Envahissants du Développement (TED). Le terme « Envahissants » employé ici signifie que plusieurs secteurs du développement sont touchés (interactions sociales, langage, comportements…). L’hétérogénéité des Troubles Envahissants du Développement est déterminée par la sévérité des symptômes, leur âge d’apparition et leur mode d’évolution, les troubles associés, l’existence ou non d’un retard mental… Disons que l’autisme est la forme la plus typique et la plus complète de TED.

L’épidémiologie

Selon l’OMS, on estime que, dans le monde, 1 enfant sur 160 présente un trouble du spectre autistique. Toujours, à en croire l’OMS, ce chiffre correspond toutefois à une moyenne et la prévalence notifiée varie notablement d’une étude à l’autre. Un certain nombre d’études bien contrôlées font néanmoins état de taux sensiblement plus élevés. On ignore encore la prévalence de ces troubles dans beaucoup de pays à revenu faible ou intermédiaire.

D’après les études épidémiologiques effectuées ces cinquante dernières années, il semble que la prévalence des troubles du spectre autistique augmente à l’échelle mondiale.  L’estimation de la prévalence de l’autisme au Canada, incluant les enfants et les adultes, est de 1 sur 94. Chez les enfants et les adolescents âgés de 5 à 17 ans, la prévalence globale du TSA selon le rapport 2018 du Système national de surveillance du trouble du spectre de l’autisme est de 1 sur 66.

Ces données peuvent varier d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre dans le monde. L’absence des statistiques des enfants atteints du TSA ainsi que les mesures d’intervention ou d’encadrement compliquent la situation de ces enfants en République Démocratique du Congo. À en croire les différents intervenants sur terrains, le trouble de spectre d’autisme est quasiment inconnu d’une grande partie de la population congolaise. Mais, quelles sont les causes du trouble de spectre de l’autisme ?

Causes du Trouble de Spectre d’Autisme.

On ne connaît pas vraiment là où proviennent les causes de l’autisme, mais les recherches relativement à ce sujet se focalisent sur la génétique et les facteurs environnementaux, plus précisément, une combinaison de ces deux éléments.

Certaines recherches estiment que l’autisme se développe au stade embryonnaire du système central d’un fœtus. Beaucoup de recherches ont été faites dans les deux dernières décennies du côté de la génétique. Et on en arrive à une conclusion selon laquelle on ne peut pas parler de lien direct et unique entre l’autisme et la génétique, mais plutôt d’une variété de vulnérabilités génétiques qui pourraient rendre un enfant plus susceptible à développer l’autisme.

Malgré des progrès dans la compréhension des facteurs génétiques, environnementaux et développementaux qui sous-tendent l’autisme, plusieurs composantes de ce trouble sont très peu comprises. Le défi principal demeure l’hétérogénéité étiologique de l’autisme, qui contribue à la complexité de son tableau clinique. La communauté scientifique doit continuer à développer sa conception de l’autisme selon laquelle il s’agit d’une condition complexe probablement déterminée par de multiples facteurs et trajectoires. La découverte de biomarqueurs valides et de l’ensemble des facteurs environnementaux en cause devrait mener à une meilleure compréhension de la nature complexe du spectre de l’autisme et en favoriser l’issue.

Parce que les causes sont méconnues en République Démocratique du Congo, l’explication de l’autisme se repose sur le phénomène de la sorcellerie et les présupposés ethnoculturels. Les enfants autistes se réfugient dans les églises et chez les marabouts du quartier au lieu d’être dans les écoles spécialisées pour trouver un accompagnement adéquat. Cette vision de choses est bien élucidée dans la recherche menée par Joachim Mukau Ebwel et Herber Roeyers portant sur l’approche du diagnostic de l’autisme en République Démocratique du Congo réalisé en milieu africain ou, dans la majorité des communautés, les personnes autistes non seulement ne reçoivent pas ce diagnostic, mais certains sont par ailleurs assimilés au diagnostic social de la sorcellerie.

Perspectives d’avenir

On ne le dira jamais assez, en République Démocratique du Congo, il doit y avoir plusieurs cas d’enfants ou d’adultes autistes et la plupart ne sont pas diagnostiqués. Que faire? Il y a urgence de mener des actions ciblées entre autres :

– L’organisation d’un colloque qui aura comme objectif de faire l’état de la connaissance et de la reconnaissance de la personne qui présente un trouble du spectre de l’autisme en République Démocratique du Congo;

– La création d’une équipe d’experts sur terrain pour sensibiliser la population dans les écoles, dans les églises, la télévision et dans les réseaux sociaux sur le trouble de spectre d’autisme;

– La campagne de sensibilisation pour dépister et diagnostiquer les enfants soupçonnés de trouble de spectre d’autisme. Les critères pour ce faire sont vulgarisés par l’OMS.

– La création d’une cellule de coordination des actions autisme en RDC, de suivi et d’évaluation;

– L’élaboration des politiques et stratégies d’intervention auprès des enfants autistes;

– La formation des intervenants sociaux, des parents et des aidants auprès des enfants autistes sur l’étendue de la République Démocratique du Congo.

Pour faire bref, le trouble de spectre d’autisme est encore méconnu dans beaucoup des pays africains. Le cas de la République Démocratique du Congo mérite d’être pris au sérieux avant tout par les Congolais eux-mêmes. Avec l’avènement de l’alternance politique au pays, il y a lieu de faire la différence en faveur de cette catégorie de la population. Le recours à l’explication socio-ethnique et traditionnelle comme solution au trouble de spectre de l’autisme devrait appartenir aux vieux siècles. L’implication de chacun et de tous ainsi que l’oreille attentive de l’autorité restent des enjeux essentiels pour la prise en charge intégrale des personnes vivant avec ce trouble car l’autisme ne se guérit pas.

Par Jean-Marcel Ndumbi-Tshingombe, EAO

Enseignant titulaire de la classe TSA

Ottawa, avril 2019

  • Bendélé Ekweya té

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