Polémique au sujet de l’annulation des résultats des sénatoriales : un expert proche de la CENI répond au professeur André Mbata

La corruption décriée aux élections des sénateurs a suscité des réactions et des débats dans les milieux tant politiques que scientifiques. Le professeur André Mbata ne s’est pas mis à l’écart des débats. En sa qualité de constitutionnaliste et de directeur de l’Institut pour la démocratie, la gouvernance, la paix et le développement en Afrique (lDGPA), il a écrit à Corneille Nangaa, président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) pour lui demander l’annulation des élections des élections du 15 mars dernier. Mais un expert, proche de la CENI ne souscrit pas à cette démarche du professeur constitutionnaliste. Anicet IBANGU semble remettre à l’ordre ce grand constitutionnaliste qui, écrit-il dans sa réplique, n’est pas guidé par la science, mais par la nécessité partisane et subjective de trouver un prétexte constitutionnel, même le plus tordu et insoutenable à l’UDPS qui a subi un cinglant revers aux élections sénatoriales. Ci-dessous l’intégralité de la lettre d’Anicet Ibangu au professeur André Mbata :

Votre correspondance adressée au Président de la CENI et que vous vous êtes empressé de publier par les médias en ligne ce 26 mars 2019 a surpris le peuple congolais tant par l’amalgame, la confusion et la subjectivité dont vous faites preuve dans le soutènement de votre demande d’annulation par la CENI des élections des Sénateurs organisées le 15 mars 2019 et dont les résultats ont pourtant déjà été publiés à la même date.

Dans votre correspondance, vous invoquez l’Etat de droit en recommandant vivement au Président de la CENI de donner suite à votre demande en espérant dites-vous qu’il se démarquerait ainsi tant soit peu de ses prédécesseurs.

Tout en vous prévalant de votre qualité de constitutionnaliste, vous osez brandir la menace des poursuites disciplinaires à l’encontre du Secrétaire général du Sénat s’il convoquait, comme lui impose pourtant l’article 114 de la Constitution, la session inaugurale extraordinaire de cette Chambre parlementaire.

Est-il nécessaire de rappeler à un constitutionnaliste de votre trempe que l’alinéa 1de l’article 114 susdit de la Constitution dispose ce qui suit :« Chaque chambre du Parlement se réunit de plein droit en session extraordinaire le quinzième jour suivant la proclamation des résultats des élections législatives par la Commission électorale indépendante, en vue de … »

Cette disposition constitutionnelle totalement claire et non susceptible d’interprétation aurait dû, s’il était question d’un débat scientifique sain et objectif, vous convaincre définitivement de l’inanité de votre demande et vous aurait certainement empêché de publier, comme vous l’avez fait, cette demande d’annulation incongrue et totalement étrangère au droit électoral congolais. Il apparaît de toute évidence que cette fois, ce n’est pas la science qui vous intéresse, mais la nécessité partisane et subjective de trouver un prétexte constitutionnel, même le plus tordu et insoutenable à l’UDPS qui a subi un cinglant revers aux élections sénatoriales.

Le premier motif d’annulation invoqué dans votre correspondance à l’étai de la demande d’annulation serait l’ambiance de corruption dans laquelle les élections sénatoriales se seraient déroulées et qui auraient suscité la demande de report de leur organisation par le Procureur général près la Cour de Cassation.

Vous appuyez cette position sans, cependant, offrir la moindre justification légale qui fonderait un tel report tout en contentant de verser dans des considérations générales sur les méfaits de la corruption que personne, du reste, ne conteste.

Et pourtant, l’Etat de droit au nom duquel vous prétendez agir ne fonctionne pas sur base de sentiments, mais uniquement et impérativement en fonction de la règle de droit.

A ce sujet, le principe sacro-saint de la présomption d’innocence est inscrit à l’alinéa de l’article 19 de la Constitution qui proclame : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par un jugement définitif. » 

De ce fait, les enquêtes du Procureur général ne peuvent servir de justification pour la suspension du processus constitutionnel de l’installation des institutions élues au terme d’un processus parfaitement légal, ce d’autant qu’en matière électoral, conformément aux dispositions de l’article 75 de la Loi électorale, les irrégularités qui peuvent entacher les opérations électorales ne donnent lieu à l’annulation des résultats par le Juge électoral que si elles ont influé sur l’issue de ceux-ci. Ainsi seul le Juge électoral saisi dans le cadre du contentieux des résultats est qualifié à prononcer leur annulation.

Le Juge électoral se saisirait alors des pareilles allégations et lorsqu’elles sont établies et que leur incidence sur les résultats proclamés est démontrée, il serait fondé à annuler lesdits résultats.

Par contre, le Juge pénal que saisira le Procureur général à l’issue de ses enquêtes va statuer uniquement sur les faits pénaux et reste totalement incompétent à prononcer une quelconque annulation à l’occasion de cette saisine. D’où la question de savoir à quoi aurait servi un report des élections sénatoriales pour ce motif.

En outre, suivant l’alinéa 8 de l’article 17 de la Constitution,« responsabilité pénale est individuelle »avec cette conséquence qu’on ne peut mettre en cause l’ensemble de députés provinciaux pour les faits commis par certains d’entre eux.

Le deuxième motif que vous avancez est tiré de la prétendue violation de certaines dispositions desarticles112 et 160 de la Constitution lors de l’installation des bureaux définitifs des Assemblées provinciales dont l’installation des Bureaux définitifs aurait, selon vous, dû attendre les arrêts de conformité de la Cour Constitutionnelle. Cet argument est simplement ubuesque et n’a aucun rapport avec les dispositions constitutionnelles prétendument violées qui se rapportent au Parlement.

Ces dispositions constitutionnelles portent respectivement ce qui suit :

Article 112, alinéas 3 et 4 : « Avant d’être mis en application, le Règlement intérieur est obligatoirement transmis par le Président du Bureau provisoire de la Chambre intéressée à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur sa conformité à la Constitution dans un délai de quinze jours. Passé ce délai, le Règlement intérieur est réputé conforme.

Les dispositions déclarées non conformes ne peuvent être mises en application. »

Article 160, alinéa 2 : « Les lois organiques, avant leur promulgation, et les Règlements intérieurs des Chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, avant leur mise en application, doivent être soumis à la Cour constitutionnelle qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. »

Devant des dispositions constitutionnelles aussi clairement libellées au sujet des deux Chambres parlementaires que sont l’Assemblée nationale et le Sénat, vous ne pouvez, en l’absence de tout fondement constitutionnel et de toute base légale, soutenir que ces dispositions s’appliqueraient « mutatis mutandis aux Assemblées provinciales. »

Le principe de l’application « mutatis mutandis aux Assemblées provinciales » d’une disposition constitutionnelle ne présume pas et ne peut résulter que de l’expression claire et expresse du constituant traduite par une disposition spécifique de la Constitution. En l’espèce, ce n’est évidemment pas le cas et force est de constater que, dans les dispositions des articles 112 et 160 de la Constitution, le constituant ne visait que le Parlement et pas les Assemblées provinciales.

Ces dispositions constitutionnelles sont donc totalement étrangères aux Assemblées provinciales et ne peuvent nullement être invoquées pour l’invalidation de leurs bureaux définitifs qui a ont été installés, non pas en vertu d’une disposition constitutionnelle, mais plutôt sur base de l’alinéa 1 de l’article 234 qui dispose : « Après la validation des mandats de leurs membres, les Assemblées provinciales et les Conseils délibérants procèdent à la constitution de leurs bureaux définitifs de la manière suivante, en tenant compte de la représentation de la femme… »

La validation des mandats des députés provinciaux ayant eu lieu, c’est en conformité avec les dispositions de l’article 234 susdit de la Loi électorale que les bureaux définitifs des Assemblées provinciales ont été installées rendant irréversible le processus des élections des Sénateurs, conformément aux dispositions de l’article 139, alinéa 1 de la Loi électorale qui prévoient : « Dans les quatre jours qui suivent l’installation du bureau définitif de l’Assemblée provinciale, la Commission électorale nationale indépendante organise l’élection des sénateurs. »

Les sénatoriales organisées par la CENI le 15 mars 2019, soit quatre (4) jours après l’installation des bureaux définitifs des Assemblées provinciales intervenue le 11 mars 2019, sont donc conformes tant à la Constitution qu’à la Loi électorale et ne peuvent nullement être annulées par la CENI, qui du reste, est totalement dessaisie, la proclamation des résultats provisoires ayant ouvert la voie au contentieux juridictionnel devant la Cour Constitutionnelle.

C’est ça l’Etat de droit et pas le contraire.

Le Secrétaire Général du Sénat devra en conséquence, convoquer la session extraordinaire inaugurale dans les quinze jours de la publication des résultats provisoires par la CENI, et ce conformément aux dispositions de l’article 114 de la Constitution.

Vous voudriez bien vous rendre compte que votre requête est profondément inconstitutionnelle et illégale et ne saurait, de ce fait, connaître de suite favorable de la part du Président de la CENI

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations patriotiques.

Anicet IBANGU

 

  • Bendélé Ekweya té

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