Polémique sur la nomination de l’informateur : Me Constant Mutamba fait une analyse scientifique

C’est en qualité de chercheur en Droit constitutionnel et enseignant à la Faculté de Droit de l’Université Protestante au Congo que Me Constant Mutamba s’est livré à un exercice à travers une analyse intitulée « Cinq questions pour comprendre la problématique de la majorité parlementaire dans une démocratie. Cas de la RDC », pour éclairer la lanterne de tout congolais ou toute autre personne intéressée à la politique en RDC. Loin de lui  l’étiquette du Front Commun pour le Congo (FCC) dont son regroupement politique la Nouvelle Génération pour l’Emergence du Congo (NOGEC) est membre, le jeune avocat se veut dans cette analyse, scientifique. Il démontre ici ce que peut être une cohabitation entre deux camps qui ont gagné les élections, l’un à la présidentielle et l’autre aux législatives nationales : soit c’est une cohabitation pacifique, soit c’est une cohabitation conflictuelle. Il ne manque pas dans son analyse d’en donner les avantages comme les conséquences, selon le cas.

Mais Constant Mutamba lâche quelque peu sa bombe : « dans toutes les vieilles démocraties de régime parlementaire et semi-présidentiel, le Chef de file de la majorité parlementaire est de droit Premier Ministre. C’est le cas de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Israël, de la Belgique, de la France, de l’Autriche, de l’Inde, du Canada… Pour ce qui concerne la RDC, en principe et théoriquement c’est le Président de la République honoraire Joseph Kabila Kabange, Autorité morale du FCC, qui est de droit Premier Ministre… ». Ci-dessous l’intégralité de son analyse :

CINQ QUESTIONS POUR COMPRENDRE LA PROBLEMATIQUE DE LA MAJORITE PARLEMENTAIRE DANS UNE DEMOCRATIE. CAS DE LA RDC

1/ Quel est le régime politique consacré par la Constitution du 18 février 2006 ?

La Constitution de la RDC, celle du 18 février 2006 consacre sans le dire clairement, comme régime politique le semi-présidentialisme, avec entre autres comme corollaires : Le partage de responsabilités entre le Président de la République et le Premier Ministre (articles 91 et 92 alinéa 2);  La validité  juridique de 98% d’actes du Président de la République repose sur le contreseing du Premier Ministre.

L’article 79 alinéa 4 de la Constitution dispose que les Ordonnances du Président de la République autres que celles prévues aux articles 78 alinéa premier, 80, 84 et 143 sont contresignés par le Premier Ministre.

Il sied de rappeler que l’article 78 alinéa 1er  concerne la nomination par le Président de la République  du Premier Ministre, l’article 80 se rapporte à l’investiture par le Président de la République des gouverneurs et vice- gouverneurs de province élus, l’article 84 se rapporte à l’attribution par le Président de la République des grades dans les ordres nationaux ainsi que les décorations, l’article 143 concerne la déclaration de la guerre par le Président de la République.

Le Président de la République ne peut pas révoquer le Premier Ministre (article 78 alinéa 2).  C’est l’un des cas où la théorie de l’acte contraire ne joue pas. Il n’existe donc pas en RDC d’ordonnance portant révocation d’un Premier Ministre.

Le Président de la République est élu au suffrage universel direct (article 70 alinéa 1er); Le Gouvernement de la République engage sa responsabilité politique devant l’Assemblée nationale (articles 146 et 147); Le Président de la République peut dissoudre l’Assemblée nationale (article 148), etc.

2/ Comment le Président de la République nomme-t-il le Premier Ministre ?

L’article 78 al. 1er de la Constitution du 18 février 2006 dispose que le Président de la République nomme le Premier Ministre au sein de la Majorité parlementaire après consultation de celle-ci.  L’alinéa 3 du même article renchérit que si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’informations à une personnalité en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois.

3/ Comment le Président de la République constate-t-il l’existence ou non d’une majorité parlementaire ?

Au regard de la lettre de l’article 78 al.1, le Président de la République procède par la consultation de la famille politique ayant obtenu à la suite d’un scrutin, la moitié d’Elus nationaux plus un, la  majorité parlementaire constitué de fait à travers son Chef de file. Car, selon l’esprit de cette disposition constitutionnelle, il ne peut exister de majorité parlementaire qui ne soit structurée et organisée. Cette organisation peut passer par un parti politique, un Regroupement politique ou encore une plateforme politique, c’est-à- dire, un ensemble des partis politiques, des Regroupements politiques, des Elus Indépendants qui se reconnaissent et font allégeance à une famille politique précise.

La problématique de la Majorité parlementaire est d’abord et avant tout une question de fait et non de droit.

Le problème ne se pose pas s’il y a confusion entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire.  C’est-à-dire, la majorité parlementaire appartient à la famille politique du Président de la République élu. Tel a été le cas en 2006 et en 2011 en RDC avec la création respectivement de l’Alliance de la Majorité Présidentielle (AMP) et de la Majorité Présidentielle(MP).

En droit comparé, l’exemple de la France paraît plus éloquent avec la récente élection du Président Emmanuel Macron et la victoire de sa famille politique (la République en marche) à la Chambre basse.

Par ailleurs, le problème se pose souvent lorsque la majorité parlementaire identifiée appartient à une famille politique autre que celle du Président de la République élu. Dans ce cas, une alternative se présente à nous : a) Soit, c’est la cohabitation politique qui peut être conflictuelle ou non conflictuelle. Elle sous-entend l’absence d’un quelconque accord politique de gouvernement entre les deux camps politiques rivaux ayant chacun conquis le pouvoir à son niveau (Présidence d’un côté et Parlement de l’autre).  Tel a été le cas en France où la première cohabitation a eu lieu de mars 1986 à Mai 1988 : alors que François Mitterrand est Président de la République depuis 1981, les élections législatives de mars 1986 avaient porté à l’Assemblée nationale une Majorité parlementaire de droite.  François Mitterrand avait alors nommé Jacques Chirac (le Président du RPR) Premier Ministre. C’est la première fois sous la cinquième République que devaient coexister un Président de la République et un Premier Ministre de tendances politiques divergentes.

La deuxième et la troisième cohabitation avaient lieu respectivement  entre François Mitterrand, Président, et Édouard Balladur, Premier ministre en 1993-1995 ; Et  Jacques Chirac, Président, et Lionel Jospin, Premier ministre entre 1997-2002.

  1. b) Soit, la coalition de gouvernement qui passe par la signature d’un accord politique de gouvernement entre les deux camps au pouvoir.

4/ Quid du cas de la RDC ?

A l’issue des élections Présidentielle, législatives nationales et provinciales du 30 décembre 2018, il s’est dégagé une majorité parlementaire qui s’est reconnue et a fait allégeance au Front Commun pour le Congo, famille politique autre que celle du Président de la République élu (Cap pour le Changement).

Voilà pourquoi ce dernier a dû signer un accord de coalition gouvernementale avec le FCC, dans lequel il reconnaît l’existence d’une majorité parlementaire acquise à une famille politique autre que la sienne. Ceci se confirme par sa récente intervention à la presse à l’issue de son séjour à Windhoek. Point ne donc besoin face à pareille évidence de procéder à la nomination d’un informateur alors que il existe une majorité parlementaire identifiée.

Celle-ci s’est consolidée d’avantage le dimanche 24 février 2019 à la Vallée de la N’sele (Kinshasa) où plus ou moins 335 sur 485 députés nationaux ont chacun signé un acte d’engagement par lequel ils réaffirment leur appartenance à la plateforme politique Front Commun pour le Congo dont l’Autorité morale est le Président honoraire Joseph Kabila Kabange. Cette signature a été précédée par celle des Responsables de Regroupements politiques membres du FCC ayant obtenu au moins un député national ou provincial mercredi 20 février 2019.

Dans toutes les vieilles démocraties de régime parlementaire et semi-présidentiel, le Chef de file de la majorité parlementaire est de droit Premier Ministre. C’est le cas de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Israël, de la Belgique, de la France, de l’Autriche, de l’Inde, du Canada…

Pour ce qui concerne la RDC, en principe et théoriquement c’est le Président de la République honoraire Joseph Kabila Kabange, Autorité morale du FCC, qui est de droit Premier Ministre. Cependant, s’il estime ne pas être intéressé par le poste, il revient à lui seul de proposer au Président de la République  un autre nom pour nomination comme Premier Ministre et non comme Informateur.

5/ Qu’adviendrait-il en cas de nomination par le Président de la République d’un Informateur plutôt que d’un Premier Ministre ? 

Deux risques politiques sont à craindre au cas où le Président de la République viendrait à nommer un Informateur en lieu et place du Premier comme le prescrit l’article 78 alinéa premier de la Constitution du 18 février 2006 :  a) Le premier risque est que le Pays soit replongé dans le régime de cohabitation conflictuelle entre le FCC et le CACH ; b) Le second risque est que le Président de la République puisse engager sa responsabilité pénale devant la Cour Constitutionnelle, en tombant sous le coup de l’infraction de haute trahison.   En effet, l’article 164 de la Constitution dispose que la Cour constitutionnelle est  le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que  pour les délits  d’initié et pour les autres infractions  de droit commun commises dans l’exercice  ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices.

L’article 165 alinéa premier définit l’Infraction de haute trahison en ces termes : «Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé intentionnellement la Constitution ou lorsque lui ou le Premier ministre sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de violations graves et caractérisées des Droits de l’Homme, de cession d’une partie du territoire national».

Le Président de la République ne disposant pas donc de majorité parlementaire, sa mise en accusation sera facilement votée par le Parlement tel que le prescrit l’article 166 alinéa premier de la Constitution du 18 février 2006 qui dispose : «La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur».

Ceci avec comme conséquence, sa condamnation et sa déchéance par la Cour constitutionnelle conformément à l’Article 167 alinéa premier de la Constitution qui dispose: «En cas de condamnation, le Président de la République et le Premier ministre sont déchus de leurs charges. La déchéance est prononcée par la Cour constitutionnelle».

Dans ce cas, il sera remplacé par le Président du Sénat conformément à l’article 75 de la Constitution du 18 février 2006 qui dispose : «En cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif, les fonctions de Président de la République, à l’exception de celles mentionnées aux articles 78, 81 et 82 sont provisoirement exercées par le Président du Sénat».

Cette situation politique pourra retourner le pays à la case de départ quel que soit le camp politique dont sera issu le futur Président du Sénat qui, en tant que Président de la République par Intérim, n’aura pour mission principale que l’organisation de l’élection présidentielle conformément à l’article 76 alinéa 3 de la Constitution qui dispose que : «En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour constitutionnelle, l’élection du nouveau Président de la République a lieu, sur convocation de la Commission électorale nationale indépendante, soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement».

Rappelons qu’il est impossible à ce stade pour le Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale, car n’ayant pas encore plus de deux ans depuis la tenue de dernières élections ce, conformément à l’article 148 alinéa premier et deuxième qui dispose : « En cas de crise persistante entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale, le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.

 Aucune dissolution ne peut intervenir dans l’année qui suit les élections, ni pendant les périodes de l’état d’urgence ou de siège ou de guerre, ni pendant que la République est dirigée par un Président intérimaire».  

Pour conclure, nous pensons qu’il est à ce stade risqué que le Président de la République nouvellement élu se lance dans un bras de fer avec la famille politique qui dispose d’une majorité parlementaire claire.  Le peuple congolais attend plutôt de lui, la mise en pratique de son programme d’actions sur base duquel il lui a placé sa confiance. Ce plan ne peut être exécuté que dans un climat de stabilité politique dont le pays a par ailleurs besoin pour son développement.

Fait à Kinshasa, le 02 Mars 2019

Me Constant  MUTAMBA TUNGUNGA,

Chercheur en Droit Constitutionnel et

Enseignant à la Faculté de Droit de l’UPC

 

  • Bendélé Ekweya té

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