Les opérateurs en télécommunications en RDC font circuler depuis jeudi 29 novembre dernier, un mémorandum sans date ni signature qu’ils ont remis à la presse au travers le Comité Professionnel des fournisseurs des services de la téléphonie. Dans ce document de deux pages, ces opérateurs des télécoms, non seulement décrient le choix par le Gouvernement congolais de la Société African General Investment Limited (AGI), chargé d’installer le système de contrôle des flux téléphoniques générés par eux, mais aussi s’apitoient sur le sort des consommateurs. Ils font croire que la mise en place d’un nouveau système de contrôle des flux téléphoniques des réseaux des opérateurs des télécommunications, occasionnerait 27% de hausse de taxes et 60% de prix de l’Internet. Pire, ils se font avocat de la firme française Entreprise Télécoms qui a failli dans sa mission de les contrôler ! Mais un expert indépendant, Guy Antoine Tshimpuka, a battu en brèche l’argumentaire des opérateurs des Télécoms et met à nu la fraude qu’ils ont érigée en mode de gestion depuis plusieurs années. Ci-dessous sa mise au point sur le mémorandum relatif à la mise en place d’un système de contrôle des flux téléphoniques sur les télécommunications :
- Désignation du prestataire
Il y a lieu de relever que depuis 2002, le Gouvernement avait pris l’initiative d’ouvrir à la concurrence le secteur des télécommunications dans le but de stimuler les investissements privés et de maximiser les recettes fiscales et parafiscales prélevées sur les opérateurs des Télécommunications. Cependant, il se révèle malheureusement que ces attentes sont, après plusieurs années, loin d’être réalisées. Au contraire, il s’observe une fraude caractérisée par des fausses déclarations des revenus de ces opérateurs, qui profitent des faiblesses de l’Etat dans ce secteur notamment son manque d’équipements appropriés et d’expertise en matière de contrôle de leurs activités caractérisées par le recours à une technologie actuelle et souvent sophistiquée.
Pour illustration, aucune société des télécommunications ne paie depuis plusieurs années l’impôt sur le bénéfice. Elles ont toujours déclaré des pertes à chaque clôture d’exercice comptable alors que les consommations des unités de communication (appel et données) ne cessent de croître dans notre pays.
C’est dans le cadre de lutte contre cette fraude fiscale qu’au cours de sa réunion du 26 janvier 2016 le Conseil des Ministres a décidé de mettre en place un mécanisme de contrôle du trafic (voix, sms et data) généré par les réseaux des télécommunications établis en République Démocratique du Congo en vue d’en déterminer mensuellement la volumétrie et partant, les chiffres d’affaires que celle-ci engendre pour les opérateurs des télécommunications. Aussi, a-t-il recommandé au Ministre des PTNTIC de recourir à un prestataire externe, disposant de la technologie et de l’expertise nécessaires pour servir de support à la réalisation du contrôle de la sincérité des déclarations des chiffres d’affaires faites par les opérateurs des télécommunications.
En exécution de cette recommandation, le Ministre des PTNTIC a signé en date du 30 janvier 2018 l’Arrêté n° CAB/MIN/PTNTIC/EON/JA/Mmw/001/2018 qui met en place un mécanisme de contrôle des flux téléphoniques des réseaux des opérateurs des télécommunications en République Démocratique Congo. Après avoir consulté la Direction Générale des Marchés publics qui a donné un avis de non-objection, le Ministre des PTNTIC a conclu un accord de partenariat avec la société AFRICA GENERAL INVESTMENT Limited pour la conception, le financement et l’installation d’un centre de contrôle Telecom. Cette société fut désignée opérateur de contrôle des flux téléphoniques à travers l’Arrêté n° CAB/MIN/PTNTIC/EON/JA/Mmw/002/018 du 30 janvier 2018.
Etant donné que la mesure où cette société investit ses fonds propres dans l’achat des équipements ainsi que l’installation et l’exploitation du système de contrôle des flux téléphoniques, il est donc logique que ses prestations soient rémunérées. Dans la mesure qu’elle fait la sous-traitance de la mission de contrôle légalement dévolue à l’ARPTC, il est nécessaire que les revenus des prestations de l’ARPTC lui soient réattribués. C’est dans ce but qu’un décret, discuté et approuvé par le Conseil des Ministres du 23 novembre 2018, est en cours de signature.
Ainsi qu’on pourra le remarquer, la procédure suivie pour l’implémentation du mécanisme de contrôle des flux téléphoniques est régulière et conforme aux différents textes légaux et réglementaires pertinents.
Il est curieux de constater que les Opérateurs s’occupent du portefeuille des consommateurs, alors qu’ils n’arrivent pas à améliorer la qualité de leurs services (Ex : les appels non aboutis et les mégabits facturés mais non consommés).
- Rémunération.
Comme dit ci-dessus, les activités de contrôle dévolues à l’ARPTC seront exercées, en sous-traitance, par l’opérateur de contrôle externe désigné par le Gouvernement, à travers le Ministère des PTNTIC. Cette décision trouve sa justification par le fait que l’ARTPC ne dispose pas d’expertise et d’équipements nécessaires à la réalisation de ce type de contrôle. L’opérateur de contrôle aura notamment pour tâche de transférer les compétences et connaissances à l’ARPTC.
Dès lors, il va de soi que les revenus légalement prévus pour les prestations de l’ARPTC conformément à l’article 21 de la Loi n°014/2002 du 16 octobre 2002 soient rétrocédés à cette entreprise aux fins d’amortir ses investissements sur fonds propres et de rémunérer ses prestations. Le Décret prévoit aussi une quote-part devant revenir à l’ARPTC en vue de lui permettre de se doter à terme des équipements et du savoir-faire nécessaires au contrôle des flux téléphoniques.
Il est cependant surprenant de constater que les opérateurs des télécommunications avancent des chiffres qu’ils n’ont jamais réalisés et déclarés annuellement pour les payements de certaines taxes dues au Trésor et ce, depuis la libéralisation en 2002. En effet, l’agitation des opérateurs des télécommunications cache la peur du contrôle qui fera découvrir les véritables chiffres d’affaires qu’ils ont toujours dissimulés au Gouvernement.
- Impact sur le prix.
Le paiement par les opérateurs de la rémunération des prestations de contrôle n’aura pas d’impact significatif sur les coûts des consommations téléphoniques. Une hausse exagérée des prix des télécommunications relèverait de la mauvaise foi des opérateurs et ne constituerait qu’un prétexte cachant leur aversion habituelle à l’implémentation par l’Etat d’un système de contrôle des flux téléphoniques destiné à certifier la sincérité des déclarations de leurs chiffres d’affaires. Comment pouvait-il en être autrement lorsque chaque opérateur des télécommunications dispose en son sein d’une cellule de lutte contre la fraude pour s’assurer ses revenus (Revenue assurance). Refuser à l’Etat de disposer d’un tel outil sous le fallacieux motif d’augmentation des prix des communications téléphoniques relèverait de la malice des opérateurs pour empêcher le Gouvernement de maximiser ses recettes provenant du secteur des PTNTIC.
- Impact sur les investissements
Depuis 2002, les opérateurs des télécommunications réalisent énormément de revenus qu’ils ne réinvestissent pas en République Démocratique du Congo. La plupart d’entre eux ne déclarent jamais de bénéfice à la fin de chaque exercice comptable. Ils connaissent toujours des pertes. Les données statistiques sont disponibles à la DGI. Ils ont développé des astuces pour rapatrier à leurs maisons mères les revenus générés en RDC au détriment de l’Etat congolais. Des contrats de sous-traitance bidon (externalisation des services), d’assistance technique pour justifier les rapatriements frauduleux des fonds, des prêts contractés au nom des filiales congolaises dont l’argent n’a jamais été encaissé en RDC mais remboursé par celles-ci.
Aucune des sociétés des télécommunications ne dispose d’un grand immeuble propre abritant ses bureaux. Elles sont toutes locataires alors qu’elles réalisent des recettes colossales en RDC. A l’implantation de leurs réseaux respectifs, les opérateurs des télécommunications ont bénéficié des avantages du régime général du Code des investissements. A ce jour, aucun d’eux n’a réalisé les obligations que l’Etat attendait d’eux. Ils ne sont présents que dans les villes rentables et refusent d’étendre leurs réseaux dans les agglomérations rurales et éloignées. La qualité de leurs services est souvent remise en question et souvent cause préjudice aux consommateurs. Au demeurant, c’est dans ces entreprises qu’on enregistre très souvent des cas de suppression d’emplois alors qu’elles ont pris des engagements vis-à-vis de l’Etat d’en créer.
Dans un tel contexte, l’Etat congolais est en droit d’organiser le contrôle de la sincérité des déclarations des chiffres d’affaires de ces opérateurs. Lui renier ce droit serait dans l’objectif malsain de perpétrer la fraude.
- Situation actuelle.
A compter du 1er décembre 2018, il n’y a qu’un seul mécanisme de contrôle autorisé par le Gouvernement ; c’est celui qui sera implémenté par la société AGI. Ce contrôle sera fait sur les flux des trafics générés par les réseaux des télécommunications. L’opérateur de contrôle prélèvera quotidiennement la volumétrie des communications générées (Voix, SMS et Data) par chaque réseau et la communiquera mensuellement aux services d’assiette et régies financières pour leur permettre d’asseoir les impôts et redevances dus au Trésor et de procéder à leur recouvrement sur une base de sincérité. Dans pareilles circonstances, l’Etat ne sera plus floué.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les communications internationales entrantes, le Gouvernement, qui vient de résilier le contrat de partenariat avec la société Entreprise Télécom (dont Business Compliance Consortium était le sous-traitant), désignera un autre prestataire externe de lutte contre le détournement du trafic international entrant (SIM BOX). Ce type de contrôle est différent du contrôle sur les flux téléphoniques qui vise simplement à en déterminer la volumétrie.
Guy Antoine Tshimpuka
Expert en Télécoms