Mgr Fridolin Ambongo sur RFI : « Je ne pense pas que mon retour à Kinshasa va changer ma nature »

Dans une interview accordée à la Radio France Internationale (RFI), ce mercredi 7 novembre de Vatican où il se trouve, le nouvel archevêque métropolitain de Kinshasa, Mgr Fridolin Ambongo a passé en revue la situation politique de la RDC sans cacher ses inquiétudes sur le manque de consensus, la crispation de certains dossiers pourtant traités au dialogue et l’exclusion par une décision politique de la cour constitutionnelle de certains candidats dont Jean Pierre Bemba, Moise Katumbi et Adolphe Muzitu. Voici l’intégralité de l’interview :

RFI : Monseigneur Fridolin Ambongo bonjour !

Mgr Ambongo : bonjour !

 Votre élévation au rang d’archevêque de Kinshasa tombe juste avant les élections du 23 décembre, quelle est votre priorité dans les semaines à venir ?

 M.A : il ne faudrait pas que le processus électoral et les décisions politiques viennent diviser le peuple de Dieu qui est dans l’archidiocèse de Kinshasa.

 Le 8 août dernier, le président Kabila a renoncé à briguer à un troisième mandat, est-ce que vous y êtes pour quelque chose ?

 M.A. : dans la mesure où cette décision du président Joseph Kabila obéit aux dispositions de la constitution et à l’accord de la Saint Sylvestre, nous pouvons dire que c’est le travail que nous avons abattu de la médiation, je crois qu’on peut dire oui.

Vous avez joué un rôle ?

M.A : oui !

Les marches catholiques du 31 décembre et 21 janvier derniers ont été brutalement réprimées et il y a eu des morts. Est-ce qu’ils sont morts pour rien ?

M.A : je crois qu’ils ne sont pas morts pour rien et à cause de leur sacrifice, la situation a évolué dans la bonne direction.

Dans l’accord de la Saint Sylvestre de décembre 2016 dont vous êtes l’un de maîtres d’œuvre, il était prévu de nombreuses mesures de décrispations de l’espace politique, où est-ce qu’on en est aujourd’hui ?

M.A : effectivement il y a eu beaucoup de ratés dans la mise en application de l’accord de la Saint Sylvestre notamment sur le retour des exilés. Mais nous constatons sur ce plan-là qu’il y a eu plutôt une sorte de crispation au lieu de la décrispation qui était attendue.

Là, vous pensez à Moise Katumbi ?

M.A : nous pensons à Monsieur Katumbi, la manière dont le dossier Bemba a été traité et tous ceux qui ont été exclus de la course, Muzito et tant d’autres.

Jean-Pierre Bemba a tout de même été condamné pour subornation de témoins et du coup sa candidature n’a pas été validée par les autorités congolaises ?

M.A : à ma connaissance, jusqu’à maintenant Jean-Pierre n’a été condamné qu’en première instance pour subornation, il a fait appel et jusque-là ce dossier n’est pas encore clôturé ! Les juges en appel ne se sont pas encore prononcés et ce qui me surprend dans ce dossier c’est au niveau du pays que ceci soit considéré comme une condamnation définitive, je n’arrive pas à comprendre la motivation réelle de la Cour suprême.

Donc vous pensez que c’est une condamnation injuste ?

M.A : Je pense que c’est une décision politique, oui.

Le 10 septembre dernier la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) a écrit une lettre à la SADEC pour manifester ses inquiétudes. De quoi s’agit-il ?

M.A : parce que la question de la machine à voter est une question qui risque de bloquer la tenue des élections, ou bien les élections et le résultat ne sera pas accepté par les autres, et notre intervention auprès de la SADEC c’est d’interpeller la classe politique pour que cette question de la machine à voter soit traitée par la tripartite : la Majorité, l’Opposition et la CENI pour qu’on puisse trouver un consensus, mais que ça ne devienne pas un obstacle pour la tenue des élections.

La CENI a prévu le temps de passage d’une minute par électeur devant la machine à voter. Est-ce que c’est crédible ?

M.A. : pour nous c’est très difficile de croire. Tous ceux qui ont eu à faire avec cette machine estiment qu’une minute c’est trop peu, d’autant plus qu’il s’agit de trois élections couplées ! Mais nous constatons que les uns et les autres s’obstinent dans leur position, ça ne tient pas malheureusement.

Et quand vous dites que les uns et les autres s’obstinent dans leur position, cela veut dire que le pouvoir veut maintenir la machine à voter alors que l’opposition menace de boycotter. C’est ça ?

M.A : c’est tout à fait ça, oui.

Et votre position à vous Monseigneur, faut-il adopter un système hybride, moitié papier et moitié bulletin ?

M.A : s’il y avait vraiment de la bonne volonté de la part de la classe politique, on aurait déjà trouvé une solution intermédiaire. Par exemple pour l’élection présidentielle comme il n’y a pas trop de candidats, on pourrait utiliser le papier et pour les autres élections on pourrait utiliser la machine ! Là il y a trop de candidats ! Ça, ça pourrait être une solution intermédiaire, mais faudrait-il encore qu’il y ait la volonté politique.

Dans le fichier électoral, six millions d’électeurs sont enregistrés sans empreinte digitale. Est-ce que cela vous inquiète ?

M.A : Ça nous inquiète. Six millions, si vous ne prenez que ça, ça peut changer le résultat des élections, tout ça, ça doit être clarifié avant la tenue des élections pour créer un climat de confiance.

Dans les prisons congolaises, il y a -t-il encore de cas emblématiques ?

M.A : par rapport au dialogue et à l’accord de la Saint Sylvestre il y a toujours le cas de Diomi Ndongala qui est là,

Le patron de la Démocratie Chrétienne ?

MA : oui, il y a Me Muyambo qui sont là en prison jusqu’à maintenant, ces sont de cas qui ont été pris en compte, on en avait parlé pendant le dialogue de 2016, il n’y a rien qui est fait de ce côté-là, de même pour ceux qui sont en exil.

Il y a quelques mois votre prédécesseur Monseigneur Laurent Monsengwo avait eu cette phrase : il faut que les médiocres dégagent, vous êtes d’accord ?

M.A. : Je comprends ce que le cardinal Laurent avait voulu dire, sans peut être revenir sur cette expression, mais la réalité est que le peuple congolais a besoin d’une nouvelle classe politique qui réponde à ses aspirations.

Et vous-même, est-ce que vous allez garder votre fameux franc-parler ?

M.A. : je ne sais même pas si j’ai un franc-parler, mais je ne crois pas que mon arrivé à Kinshasa va changer ma nature !

Monseigneur Fridolin Ambongo, merci !

Interview réalisée par Christophe Boibouvier/RFI

  • Bendélé Ekweya té

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