En sa qualité de professeur émérite de droit pénal général et de doyen honoraire de la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, Raphael Nyabirungu Mwene Songa a tenu une conférence de presse, ce mardi 31 juillet à l’Hôtel Invest de Kinshasa. Objectif : apporter sa contribution scientifique à la question qui divise les juristes depuis l’annonce par Jean-Pierre Bemba de sa candidature à la présidentielle, celle de savoir si subornation des témoins est égale à la corruption. Pour ce faire, il présente sa réflexion en deux parties, à savoir la subornation au regard du code pénal congolais et la même subornation selon l’aperçu des traités internationaux.
Le prof reconnait dans la première partie de son exposé que le Code pénal congolais ne reconnait pas l’infraction de subornation des témoins comme faisant partie ou n’entrerait dans la définition de l’infraction de corruption. L’orateur affirme sans équivoque que dans les textes consacrant l’infraction de corruption, la subornation des témoins n’apparait pas. Celle-ci fait plutôt l’objet d’une disposition du code pénal (Titre III du code pénal, et celui en l’article 129 de la section V, intitulée « Du faux témoignage et du faux serment »). Dans sa conclusion de la première partie de son intervention, le professeur Nyabirungu Mwene Songa dit ceci : « Ainsi donc, au regard du code pénal congolais, la subornation des témoins ne relève pas des dispositions relatives à la corruption ou aux infractions voisines ».
Par ailleurs, dans la deuxième partie de son intervention, le pénaliste Nyabirungu va puiser dans les traités internationaux relatifs à la corruption ou comportant des dispositions relatives à la corruption et la subornation des témoins. Il se focalise sur trois traités : la Convention des Nations Unies de 2003 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption ; la Convention de l’Union Africaine du 11 juillet 2003 sur la prévention et la lutte contre la corruption et le Traité de Rome portant création de la cour pénale internationale. Pour lier ces trois textes juridiques au contexte congolais, l’orateur du jour évoque l’article 153, alinéa 4 de la constitution qui stipule : « les cours et tribunaux, civils et militaires, appliquent les traités internationaux dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ».
D’après le prof, la lecture de ces traités internationaux, par ailleurs dûment ratifiés par la RDC, ne laisse aucun doute possible quant à la subornation des témoins en tant qu’infiltration de corruption, forme de corruption ou acte de corruption. Rappelant l’article 70,1. C. du traité de Rome qui définit la « subornation de témoin » comme « manœuvres visant à empêcher un témoin de comparaitre ou de déposer librement, représailles exercées contre un témoin en raison de sa déposition, destruction ou falsification d’éléments de preuve, ou entrave au rassemblement de tels éléments », le professeur émérite ajoute que la même disposition , en son alinéa 4, demande aux Etats parties d’étendre les dispositions de leur droit pénal qui répriment les atteintes à l’intégrité de leurs procédures d’enquête ou de leurs systèmes judiciaires aux atteintes à l’administration de la justice commises sur leur territoire ou par l’un de leurs ressortissants, dans le cadre de la procédure relative aux crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
Dans sa conclusion, le professeur émérite confirme qu’il ressort de son analyse du droit pénal positif congolais, dans ses sources de droit interne et de droit international, que les atteintes à l’administration de la justice sous forme de subornation des témoins constituent une entrave à la justice et une forme de corruption.
Bien avant le professeur, l’analyse des experts de l’Institut de Recherches en Droits de l’Homme (IRDH) tout comme le leader de la Nouvelle Génération pour l’Emergence du Congo (NOGEC), Constant Mutamba, mais également la Majorité présidentielle avaient déclaré inéligible à la présidentielle la candidature du sénateur Jean-Pierre Bemba, condamné par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour subornation des témoins. Ils se sont tous basés sur l’article 10 de la loi électorale qui rend inéligible un candidat qui a été condamné pour corruption.
Assimiler la subornation à la corruption est un raccordement juridique frauduleux, selon Jacques Ndjoli.
L’interprétation de cette infraction par le tandem Nyabirungu-IRDH-NOGEC-MP n’est pas la même chez le professeur Jacques Ndjoli, constitutionnaliste et ancien magistrat militaire. Il n’est pas seul dans son camp, il est appuyé par les experts de l’Institut pour la Démocratie, la gouvernance, la paix et le développement en Afrique (IDGPA) que dirige le professeur André Mbata qui reproche surtout au professeur émérite Nyabirungu un raccordement frauduleux et une confusion juridique dans ses propres conclusions. D’ailleurs sa sortie médiatique est vivement critiquée dans l’opposition qui ne voit dans le chef du professeur émérite qu’une démarche politiquement téléguidée par la Majorité présidentielle, en vue de préparer le lit à la Cour constitutionnelle dont la configuration est déjà au garde-à-vous.
Usant de la même méthodologie de Droits comparés, doublement sur ses comptes WhatsApp et Tweeter, le professeur Jacques Ndjoli estime quant à lui qu’assimiler l’infraction de subornation des témoins à l’infraction de corruption, c’est faire de l’interprétation par analogie, du reste, réfuté en droit pénal. Ce dernier interdit l’application d’un texte qui vise un fait précis à un fait voisin, fait remarquer Jacques Ndjoli. « Conformément à la volonté du législateur congolais, la subornation des témoins et la corruption sont deux infractions qui existent séparément et ont des éléments constitutifs différents. L’une est prévu dans l’article 129 du code pénal livre II et l’autre (la seconde) dans l’article 147 et suivants du code pénal », explique l’ancien vice-président de la centrale électorale congolaise.
Pour lui, l’interprétation en Droit est une démarche suspecte, elle veut donner au texte le maximum de sens voulu par le législateur. Elle suppose une imprécision, obscurité, ou ambiguïté du texte. « En matière infractionnelle, l’interprétation est stricte. Le juge qu’il soit pénal ou électoral reste soumis et lié à la restriction du texte. Le juge ne peut inventer des incriminations encore moins étendre celles déjà existantes. On ne peut pas dire que la fourchette c’est la cuillère comme ce sont des ustensiles de cuisine. Il est interdit au juge de combler les lacunes d’une incrimination sous prétexte que l’acte commis ressemble à celui qui est défini par le législateur », soutient le professeur constitutionnaliste.
D’après lui, l’interprétation repose sur la fidélité et l’attachement au texte. « In claris non interpretatio : aux actes clairs, il ne faut apporter une quelconque interprétation. Quand on dit riz c’est riz, il ne faut pas parler du fufu comme les deux sont des aliments. Interpretatio cessat in claris : l’interprétation cesse lorsque le texte est clair. Ubi lex voluit dixit, ubi lex noluit : la loi a voulu elle a parlé, là où la loi n’a pas voulu, il ne faut pas procéder à une interprétation extensive », rappelle-t-il à l’ordre le tandem Nyabirungu-IRDH-NOGEC-MP.
Après le rappel de ces notions élémentaires de Droit, Jacques Ndjoli affirme sans crainte aucune que vouloir assimiler la subornation des témoins à la corruption pour donner sens à l’infraction de corruption est un non sens.
Nzakomba et Agnelo Agnade