Nord-Kivu : que cacherait la reddition du chef mai-mai Sheka ?

Ntabo Ntaberi Sheka, fondateur et chef de la milice mai-mai Nduma Defence for Congo (NDC), s’est rendu mercredi 26 juillet à la MONUSCO à Mutongo, environ 10 km au nord de Walikale, dans la province du Nord-Kivu. Il a été transféré à Goma. Sheka est recherché depuis 2011 après avoir été l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par la justice congolaise pour crimes contre l’humanité pour viols de masse.

D’après la Monusco, Ntabo Ntaberi Sheka s’est présenté de lui-même en pleine conscience et connaissance du fait qu’il est l’objet d’un mandat d’arrêt. La Mission onusienne se dit engagée à soutenir les autorités judiciaires compétentes menant des poursuites criminelles dans le cadre de violations des droits de l’homme, conformément aux règles du droit. Le chef mai-mai est-il fatigué de vivre dans la brousse ? Est-ce un engagement officieux avec les autorités de Kinshasa ? A-t-il eu des garanties pour sa sécurité ? Est-ce une mascarade ? Autant de questions que se posent plusieurs observateurs qui connaissent bien ce chef rebelle et son mouvement qui n’ont pas bonne presse dans la province du Nord-Kivu, surtout dans le territoire de Walikale.

C’est quoi la NDC ?

Essentiellement présente dans le territoire de Walikale, la Nduma Defence for Congo, dirigée par le général Ntabo Ntaberi dit Sheka,  commence à faire parler d’elle en 2010 en s’illustrant par de multiples exactions, notamment des viols massifs. Ce général autoproclamé est un ancien négociant en minerais de ce territoire de Walikale et allié aux FDLR. Il devient vers la mi-2011 un des hommes de main du général Bosco Ntaganda, un ex-CNDP devenu suite à l’accord de Goma de mars 2009, officier au sein des FARDC.

En novembre 2011, Sheka mène campagne en faveur de la réélection de Joseph Kabila à la présidentielle, ainsi que pour lui-même, pour devenir député national aux législatifs prévus simultanément le 28 novembre. Mais son activisme ayant choqué beaucoup de Congolais et d’étrangers, ce jour même du scrutin, Sheka voit son nom  ajouté par le Comité des sanctions du Conseil de Sécurité sur la liste de personnes sous sanctions internationales. Ses miliciens sont à la base de la perturbation du bon déroulement de ces élections de novembre  2011 dans le territoire de Walikale. « Elu », Sheka n’est jamais venu au Palais du Peuple à Kinshasa siéger à l’Assemblée Nationale.

En avril 2012, après que Bosco Ntaganda lui ait fourni des armes, munitions et matériel de communication, la NDC de Sheka liquide un groupe de militaires FARDC, dont le colonel Chuma, un ex-CNDP ayant refusé non seulement de rejoindre le M23, mais l’ayant surtout empêché d’accroître son contrôle sur les mines de la région.

En août 2012, la NDC fait une incursion dans le sud du territoire de Masisi, participant à une offensive coordonnée par le M23 visant à détruire des villages hutu. Au début 2013, la NDC semble étendre son contrôle sur les mines du territoire de Walikale, au détriment des Raïa Mutomboki. Le contrôle de l’exploitation et du commerce de minerais est sans conteste la principale activité de la NDC. Ce qui explique les combats avec les FARDC ou avec d’autres groupes armés. A plusieurs fois, autour de Pinga, dans le nord-est du territoire de Walikale, elle s’affronte durant 2013 aux FDLR, aux Nyatura, et à l’APCLS, provoquant le déplacement massif des populations. Elle finit enfin vers fin avril par avoir le contrôle de cette localité conquise un an auparavant par l’APCLS, suite à des défections massives au sein des FARDC. Avec l’APCLS, la NDC poursuit des combats jusque fin septembre, débordant ainsi dans le territoire de Masisi. Avec les FARDC, les combats sont régulièrement signalés à Luvingi et Kibua, à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Walikale-centre. De même dans la région minière d’Angoa, des violents affrontements se déroulent entre la NDC et les FARDC en juillet-août 2013, puis en septembre entre la NDC et les Simba venus du Maniema voisin.

Le 06 janvier 2014, Human Rights Watch demande aux autorités de la RDC d’intensifier leurs efforts pour arrêter et traduire en justice Sheka dont les troupes ont commis des meurtres d’une grande brutalité, des viols massifs, des mutilations et des enlèvements d’enfants. Cette organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme qui rappelle dans un communiqué que les autorités judiciaires congolaises avaient, le 06 janvier 2011, émis un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité à l’encontre de ce chef de milice maï-maï, remarque quatre ans après que depuis l’émission de ce mandat d’arrêt contre Sheka, ses forces ont tué au moins 70 civils, dont beaucoup ont été tués à coup de machettes. Plusieurs des pires exactions, note Human Rights Watch, ont été commis aux abords ou dans la localité de Pinga, située à un emplacement stratégique à la limite entre les territoires de Walikale et Masisi, entre août 2012 et novembre 2013.

Rappelant aussi le rapport les Nations unies qui indique que du 30 juillet au 2 août 2010, la NDC et deux autres groupes armés ont violé au moins 387 civils dans 13 villages situés le long de la route reliant les localités de Kibua et Mpofi dans le territoire de Walikale, dont 300 femmes, 23 hommes, 55 filles et 9 garçons, Human Rights Watch s’indigne que Sheka pointé du doigt par les Nations unies comme chef portant la responsabilité du commandement de ces viols massifs, bénéficie de la complicité de certains officiers de FARDC qui facilitent sa fuite lorsque l’on tente chaque fois de l’arrêter. A ce sujet, l’ONG américaine déclare avoir découvert que des officiers de l’armée congolaises ont collaboré dans le passé avec les forces de Sheka ou leur ont fourni un appui, parmi lesquels Etienne Bindu, un officier de l’ethnie Nyanga comme le chef de la NDC, ayant joué un rôle important dans la création du groupe de ce dernier en lui fournissant des armes, des munitions ainsi que des renseignements confidentiels sur les opérations de l’armée. Elle indique aussi que les combattants de Sheka auraient acheté des armes et des munitions auprès d’autres officiers de l’armée congolaise, les payant parfois avec de l’or.

Enfin, Human Rights Watch s’indigne également du fait qu’à trois reprises, en septembre et novembre 2013 et en avril 2014, que des représentants du gouvernement congolais et de l’ONU aient rencontré Sheka à Walikale pour entendre ses exigences et pour l’encourager à se rendre sans toutefois tenter de l’arrêter à l’occasion de ces rencontres. Il y a lieu de noter que fin novembre 2013, Sheka feint de procéder à un désarmement en envoyant 140 personnes, dont 15 enfants, se rendre aux casques bleus de l’Onu avec 12 armes non opérationnelles. Et de ces 140 personnes, quelques-unes seulement étaient réellement des combattants, les autres étant des civils à qui Sheka avait promis de l’argent pour se rendre.

Depuis le 27 mars 2015, deux factions rivales de Nduma Defence for Congo  s’affrontent dans la région de Walikale, occasionnant les déplacements des populations. Cheka est en opposition avec son ancien chef d’état-major en charge des opérations et des renseignements, un certain Guidon. Dans une lettre adressée aux responsables administratifs et militaires de Walikale, ce dernier accuse Cheka de plusieurs violations des droits humains et de vouloir maintenir un climat d’insécurité.

Agnalo Agnade

 

 

 

  • Bendélé Ekweya té

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